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Au nord de la France, l’intégration par le cricket

Publié le : 05/12/2018

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Portés par des habitants de la région et des migrants venus d’Afghanistan ou du Pakistan, plusieurs clubs ont été créés dans le nord de la France. A Saint-Omer et Amiens, ils conjuguent esprit sportif et intégration sociale.


Le parc municipal de Saint-Omer. C’est dans ce lieu atypique que Christophe Silvie interpelle un groupe d’Afghans il y a deux ans. Sur le gazon, bâton et balle de tennis en main, ils improvisent une partie de cricket, sport collectif aux faux airs de baseball, très populaire dans les pays de l’ancien Empire britannique. «Je ne connaissais pas ce sport, mais j’ai immédiatement pensé qu’il pouvait être un magnifique vecteur d’intégration», précise aujourd’hui Christophe Silvie. De cet échange est né en septembre 2016 le Saint-Omer Cricket Club Stars (SOCCS), première équipe de cette ville de 15 000 âmes du nord de la France.


Au cours des derniers mois, d’autres clubs se sont créés dans les Hauts-de-France, sous l’impulsion de migrants principalement pakistanais et afghans. La plupart ont traversé le globe pour rejoindre l’Angleterre, mais leur chemin s’est arrêté en France. Dernière attache à leur terre natale, le cricket facilite désormais leur intégration en France, notamment grâce aux liens tissés au sein de clubs avec des bénévoles qui les aident dans leurs démarches administratives.


Vision à long terme

Saint-Omer fait office de précurseur. Deux ans après la création du club, un gymnase a remplacé le parc municipal. Sur la trentaine de licenciés du club, un tiers est venu s’entraîner ce samedi. Une affluence modeste. «C’est la période creuse, le championnat débute en avril», relativise Javed. Casquette sur la tête et regard bleu azur, le capitaine du SOCCS vit en France depuis 2006. Fier de la réussite de son club, double champion régional, Javed n’aime pas être rappelé à son statut de migrant. Pour lui, «ce ne sont pas des réfugiés afghans qui ont gagné, mais Saint-Omer».


La saison dernière, la première des deux équipes du SOCCS – elles jouent dans le même championnat – a refusé d’intégrer la troisième division nationale, pour continuer à développer ses infrastructures. «J’aimerais créer un centre de formation régional à Saint-Omer. L’objectif, c’est d’accueillir de nouvelles générations», éclaire Christophe Silvie, qui prône une vision à long terme. Les yeux des joueurs brillent de leur côté à l’idée d’une victoire nationale. «Mon rêve, c’est la Coupe de France», sourit Attaullah. Attachés à leur club, ils sont heureux de trouver de la stabilité après des parcours tortueux et ne s’imaginent pas rejoindre une autre équipe.


Cette saison, le club est soutenu par plusieurs sponsors, dont Krys, Cartridge World ou Midas. Mais il n’oublie pas d’où il vient. «Nous avons bataillé pour obtenir ce gymnase de la mairie, grâce à l’aide de notre vice-président, Nicolas Rochas», se remémore Christophe.


Un esprit de famille

En période estivale, le SOCCS joue ses rencontres sur un terrain extérieur, cet après-midi balayé par le vent et la pluie. Rénové avec l’aide d’entreprises locales, il a depuis subi plusieurs dégradations. «Dès qu’il s’agit d’une initiative impliquant des immigrés…» regrette Christian, un des 15 bénévoles, qui s’improvise masseur pour soulager une douleur au dos d’un joueur.


L’intégration sociale, chère au club, est une réussite. Agés de 16 à 32 ans, les joueurs s’expriment tous en français et ont tous un toit sur la tête. «Les adultes sont au foyer des jeunes travailleurs, d’autres accueillis par France terre d’asile, ou par une famille d’accueil», liste Christian. Certains ont le statut de réfugié, d’autres sont demandeurs d’asile. La plupart d’entre eux travaillent dans la restauration ou le bâtiment. Imran, 16 ans, suit une formation dans le domaine de la mécanique. Depuis quelques mois, certains membres écument les écoles de la région pour présenter leur passion. Si les joueurs d’origine française restent rares, un licencié depuis une saison fait exception.


Après chaque lancer, les joueurs s’encouragent en pachto, dialecte parlé au Pakistan et en Afghanistan, pendant que les bénévoles apportent des pommes pour les sustenter. Ces scènes de fraternité se répètent durant toute la séance. «C’est une famille, commence Javed dans un français parfait. Les jeunes joueurs m’appellent tonton, c’est un surnom très fort pour nous.»


L’entraînement achevé, cette grande famille se réunit au penalty, bar du centre-ville de Saint-Omer. Entre deux gorgées de café et une poignée de main, Javed dévoile qu’il a été contacté pour aider à entraîner le club d’Arras, un des clubs qui viennent de se monter dans la région.


Amiens, l’un des derniers-nés

Le lendemain, à Amiens, une dizaine de Pakistanais et d’Afghans s’exercent depuis une heure. Certains portent fièrement le maillot orange de l’Amiens Cricket Club (ACC). Habitués à jouer depuis l’enfance, ils ont un niveau de jeu qui laisse penser qu’ils sont licenciés depuis des années. Pourtant, l’ACC n’a été fondé que la saison dernière, comme la section cricket de l’ASPTT Arras ou le Calais Cricket Club. Pendant longtemps, Lille fut le seul club de la région dédié à la discipline. Grâce à ces nouvelles associations, la HDF Cricket League, premier championnat des Hauts-de-France, est née en 2017. Avec 241 licenciés – majoritairement originaires d’Asie centrale –, la région est la deuxième de France en nombre de pratiquants, derrière l’Ile-de-France et ses 1313 licenciés.


    « On est comme des frères. On se voit en dehors du cricket, on va à la musculation ensemble »  

Lalagha


La séance se déroule sous l’œil du secrétaire Nicolas, et de la trésorière Nathalie. Institutrice en maternelle, elle a rencontré une partie de l’équipe via le Réseau solidarité Amiens, qui aide les personnes exilées. «Je leur donnais des cours de français. Un jour, je leur ai demandé de quoi ils voulaient parler et ils m’ont répondu: «de cricket!»


Après un an d’existence, le club continue de se structurer et cherche un volontaire pour une mission de service civique. La municipalité a elle décliné sa demande de subvention ou d’accès à un lieu d’entraînement. C’est finalement l’établissement scolaire catholique La Providence qui met à disposition un terrain de rugby et un gymnase chaque dimanche après-midi. «Nous n’avons pour le moment aucun sponsor, mais faisons appel à des dons et du mécénat», mentionne Nicolas, qui extrait des housses les battes achetées avec l’argent récolté. Nathalie poursuit: «Elles serviront pour les initiations que nous lançons dans des écoles.»

 

Le binôme compte également sur les membres du Réseau solidarité Amiens, régulièrement mis à contribution pour véhiculer les joueurs ou aider un membre. C’est grâce à ce réseau qu'Imran a obtenu son emploi dans un restaurant universitaire. Baskets aux pieds et longue chevelure noire, ce réfugié afghan de 20 ans occupe un poste clé au sein du club: coprésident. «C’est leur projet, leur équipe. Nous ne faisons que les accompagner», argumente Nicolas, complété par Nathalie: «Pour chaque réunion à la préfecture ou autre, ils viennent avec nous.» Une autonomie symbolisée par les maillots de l’équipe, directement confectionnés au Pakistan à l’initiative des joueurs.
«Ils pourraient être mes fils»


Agés de 17 à 27 ans, la plupart d’entre eux vivent à Amiens. Souriants, affables, ils acceptent d’aborder leur parcours entre deux lancers. Zabiullah Safi, le capitaine, est arrivé il y a un an, après sept années aux Pays-Bas. «Je n’ai pas obtenu le droit d’asile, j’ai dû venir en France pour ne pas repartir en Afghanistan.» Féru de cricket depuis l’enfance, il est animé par la même volonté que ses coéquipiers: remporter le championnat régional. Le cadet, Lalagha, suit lui une formation de peintre en bâtiment. «On est comme des frères. On se voit en dehors du cricket, on va à la musculation ensemble», détaille-t-il.


Le visage de Nathalie se ferme lorsqu’elle évoque un licencié transféré à Creil, et s’illumine pour féliciter un autre qui a obtenu le statut de réfugié pour un an. Parfois, elle accompagne ces jeunes au théâtre ou au cinéma. Elle ne cache pas le lien qui l’unit aux joueurs: «Ils pourraient être mes fils.»

Le Temps par Olivier TOURON, 4 Décembre 2018