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Interview de Pierre Henry : « Le pays est si tendu qu’il est difficile d’avoir une approche apaisée »

Publié le : 21/02/2018

libration net

 

À la tête de France terre d’asile, Pierre Henry insiste sur l’importance du premier accueil et déplore un manque de concertation avec les associations.

Directeur général de France terre d’asile, une organisation d’aide aux réfugiés, Pierre Henry juge le texte du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, déséquilibré.

 

Comment analysez-vous le projet de loi «asile et immigration» ?

Il comporte un angle mort : il ne pense pas le premier accueil, qui est fondamental. Quel que soit l’endroit d’où vous venez, vous devez pouvoir vous poser en dignité à votre arrivée en France. Il manque un dispositif de centres de transit qui permettrait à chacun de dormir, manger, se laver, être informé sur ses droits et bien orienté. À la frontière franco-italienne, à Paris ou à Calais, c’est la police qui assure ce premier accueil, ce n’est pas tenable.

 

Le gouvernement martèle qu’il veut traiter plus vite les demandes d’asile mais qu’il doit aussi pouvoir «éloigner» davantage. Ce lien vous paraît-il logique ?

La réduction de la durée des procédures fait consensus parmi l’ensemble des acteurs, dès lors que la qualité de la décision n’est pas mise en cause. Quant à l’éloignement, nous n’en faisons pas un sujet tabou dès lors qu’on respecte les textes européens et ceux de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais comment voulez-vous parler d’éloignement si le dispositif écarte d’emblée des milliers de personnes qui ne peuvent pas accéder à leurs droits dès leur entrée en France ? Voilà pourquoi j’insiste sur la notion de premier accueil. Par ailleurs, ce projet de loi comprend des dispositions préoccupantes.

 

Lesquelles ?

La plus emblématique est l’allongement de 45 à 90 jours, voire à 135, de la durée maximale de rétention. Il s’agit d’une mesure d’affichage, où on s’adresse à l’opinion mais qui s’avère inefficace. Faut-il durcir un dispositif pour 10 % des personnes, dont on nous dit que les consulats d’origine ne donnent pas les visas [les laissez-passer nécessaires au renvoi des personnes en situation irrégulière dans leur pays d’origine, ndlr] ? À chaque loi, c’est la même chose : on enflamme le débat pour des politiques qui vont porter sur 5 000 à 10 000 personnes.

 

On parle aussi de la réduction du délai pour faire appel en cas de rejet de la demande d’asile…

Cette mesure me paraît excessive et portera atteinte à l’exercice effectif du droit d’asile. La plupart des grands pays d’accueil européens ont en moyenne un délai de 30 jours : l’Allemagne est à 14 jours, mais avec la possibilité pour le demandeur de disposer d’un mois pour documenter son recours. En réalité, on manque d’une réflexion d’ensemble à l’échelle européenne.

 

Faut-il justement réformer le règlement de Dublin ?

Une réforme est en cours dans l’Union européenne pour aboutir à « Dublin IV ». Mais la recherche d’une solution européenne suppose un rapport de confiance entre États, et cette confiance s’est extraordinairement dégradée. Oui, il faut le réviser avec des clauses de niveau de personnes accueillies, une répartition selon la population des pays, leur PIB, la prise en compte du rapport entretenu par les demandeurs avec le pays (langue, attaches familiales…). On fait porter les dysfonctionnements d’un système très asymétrique aux demandeurs d’asile. C’est inadmissible.

Pour justifier sa fermeté, le gouvernement insiste sur la distinction entre réfugiés et migrants économiques. Qu’en pensez-vous ?
La question de la migration régulière n’est pas mise en cause, à l’inverse des programmes que défendaient Marine Le Pen et François Fillon. On a raison de distinguer asile et immigration. Pour autant, on ne résoudra par la question de l’immigration irrégulière par une posture strictement jugulaire.

Il y a des personnes qui sont sur le territoire depuis des années, dans des hébergements très précaires, avec des enfants scolarisés, dont on sait qu’elles ne repartiront pas. Il faut les régulariser, mais c’est le mot qui fâche aujourd’hui. Le pays est tellement tendu, qu’essayer d’avoir une approche apaisée est difficile.

 

Sentez-vous le gouvernement ouvert au dialogue ?

On peut l’espérer, mais l’accroche du projet de loi est très nette. Dès lors que le ministre de l’Intérieur s’est vu confier la totalité du dossier, je pense que le texte n’évoluera qu’à la marge. On prendra la marge ! Il ne faut jamais jouer la politique du pire. Les députés LREM ont, eux, une grande diversité d’appréciations, certains se posent des questions. Après, on entre dans la mécanique parlementaire. Je ne peux pas dire quelle sera la marge de manœuvre réelle.

 

Ces dernières semaines, les échanges ont été tendus entre le ministère et les associations…

Le quinquennat précédent avait été marqué par un processus de concertation et un travail de « faire ensemble ». L’évacuation de Calais n’était pas une petite opération, on l’a fait en commun, même s’il y a eu des divergences. On a appris ensemble, on s’est départis des préventions que l’on pouvait avoir. À présent, on est dans une autre période : chacun est revenu chez soi. Ce travail de compréhension commune de la question migratoire est derrière nous. Il reste des discussions, mais on est dans un cadre classique dans lequel le politique sait et décide.

 

Libération, par Laure Equy et Kim Hullot-Guiot, le 20/02/2018.