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A Malte, les 58 personnes débarquées de l’« Aquarius » en quête d’asile

le monde

C’est dans un centre fermé de l’île que ces rescapés qui ont fui la Libye seront entendus par les quatre Etats européens censés les accuellir.

La silhouette de l’Aquarius s’est éloignée pour ne plus être qu’une tâche brune à l’horizon. A mesure que se dessinait la roche calcaire des falaises maltaises, la coque orange du navire humanitaire disparaissait.

Dimanche 30 septembre, dans les eaux internationales, les cinquante-huit personnes secourues par le bateau de SOS Méditerranée et de Médecins sans frontières (MSF) ont été prises en charge par un navire maltais et conduites sur la terre ferme.

C’est dans un centre fermé à Malte que ces personnes qui ont fui la Libye seront entendues par les quatre Etats européens qui se sont mis d’accord pour se répartir leur accueil : la France, l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal.

« Nos équipes arrivent lundi soir avec l’objectif d’identifier dix-huit personnes relevant du droit d’asile », explique au Monde Pascal Brice, le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Recension des vulnérabilités

A bord de l’Aquarius, un travail de recension des vulnérabilités a déjà été entamé. « Il y a des gens qui fuient des persécutions religieuses, de la violence, des mauvais traitements, de la torture, explique Seraina Eldada de MSF. Nous avons aussi signalé un mineur isolé, une femme enceinte et une femme voyageant seule avec ses deux enfants. »

Fouad, 37 ans, a traversé la Méditerranée avec sa femme et ses quatre enfants, âgé de trois à sept ans. Originaire de la ville côtière de Zouara, il fait partie de la minorité berbère libyenne, les Amazigh. « Depuis l’âge de douze ans, j’ai cessé de croire en Dieu », témoigne-t-il. Fouad raconte avoir dû lutter contre sa famille et sa communauté. « On nous montre du doigt et on nous prend pour des fous », dit-il. Sa femme ne porte pas le hijab et il lui arrive de conduire leur voiture quand lui voyage en Europe pour les besoins de son commerce d’import de voitures d’occasion. « Elle se fait insulter, siffler et il est arrivé que des hommes provoquent volontairement des accidents de voiture », assure-t-il.

A l’école, cette année, la fille aînée de Fouad a subi les foudres de son professeur lorsqu’elle a avoué qu’il n’y avait pas de Coran à la maison. « Elle est rentrée angoissée et elle s’était fait pipi dessus parce qu’on lui avait dit qu’elle irait en enfer », se souvient Fouad. Ce père de famille veut « une vraie éducation » pour ses enfants et « une vie de liberté ». Il a dépensé 20 000 euros pour obtenir des visas via l’ambassade de France en Tunisie. En vain.

« Je n’avais plus le choix que de traverser la mer. Soit on mourrait ensemble, soit on vivait libre ensemble. »

« Je crains pour ma vie à cause de mes idées »

Khaled [le prénom a été modifié] a eu le même raisonnement. Lui et Fouad se sont d’ailleurs liés d’amitié sur Facebook, en partageant leurs rêves d’Europe. A 30 ans, Khaled se définit comme « agnostique ». « Je suis le seul de ma famille à ne pas croire et, en Libye, je crains pour ma vie à cause de mes idées. » Issu d’un milieu aisé tripolitain – son père est ingénieur pétrolier et sa mère enseignante –, Khaled a déjà fait plusieurs séjours en prison, notamment pour avoir été trouvé en possession d’alcool ou avoir participé à des fêtes.

« J’avais caché une bouteille de whisky sous ma voiture mais la brigade qui faisait les contrôles sur la route l’a trouvée. Je suis resté quatre jours en prison, j’ai été battu, raconte le jeune homme. La fois d’après, c’est une autre milice qui est entrée dans une fête où il y avait des filles. Je suis resté six jours en prison. »

Ingénieur du son, Khaled a traversé la Méditerranée en emportant son clavier numérique et sa paire d’Adidas à l’effigie du musicien américain Pharrell Williams. Quelques mois auparavant, sa mère l’avait chassé du domicile familial : « Elle m’a dit que j’avais fumé pendant le Ramadan et que mon grand frère me cherchait, qu’il valait mieux qu’il ne m’attrape pas. » Il s’est fait prêter un peu d’argent par un ami, il a vendu sa voiture et il est allé retrouver Fouad, à Zouara, pour prendre la mer.

« On est heureux d’être libres »

Parmi les cinquante-huit personnes secourues en Méditerranée centrale par l’Aquarius, figurent trente-sept Libyens. Onze Pakistanais se trouvaient aussi à bord.

« Quel que soit le pays où l’on finisse, on est très heureux d’être libres », confiait Waleed Chaudhary, un Pakistanais de 19 ans qui dit n’avoir aucune attache en Europe. Le jeune homme a fui son pays et la région de Pendjab car il craignait pour sa vie. Mais il ne veut pas que son histoire soit racontée dans la presse. Il a rejoint la Libye il y a quatre mois, en avion, en passant par Dubaï et l’Egypte.

Mohamed Wasim, 32 ans, est, pour sa part, passé par la Turquie, il y a quatre mois. Une fois arrivés, tous deux ont déchanté. « On est venu pour travailler, mais c’est la guerre à Tripoli », explique Mohamed, qui a été embauché comme maçon et électricien sur des chantiers de construction, sans toujours être payé. Il a laissé sa femme, sa fille de trois ans et son fils de dix mois au Pakistan. Sa famille ignorait encore dimanche qu’il rejoignait le continent européen.

Tout comme celle de Mazem. Ce comptable de 38 ans a quitté la Syrie avec sa femme il y a quatre ans. Ils ont d’abord vécu trois ans et demi en Jordanie. « On n’avait pas le droit de conduire, ni de travailler, ni de se déplacer librement », déclare-t-il. Mazem a déboursé 2 000 dollars pour tenter une première fois de traverser la Méditerranée. « La police de Zouara nous a arrêtés, j’ai perdu mon argent, on est resté vingt-quatre heures en prison », confie-t-il.

La seconde fois, lui et son épouse ont déboursé 3 000 dollars. Leur embarcation a été secourue en pleine nuit par l’Aquarius, à une vingtaine de milles marins des côtes libyennes. Mazem aimerait aller en Suède où deux de ses frères et deux fils d’un premier mariage sont déjà installés. Comme tous les autres rescapés, pourtant, il sait qu’il n’aura pas le choix de sa destination finale.

1 260 morts depuis le début de l’année

Depuis que l’Italie a fermé ses ports aux navires secourant des migrants en Méditerranée centrale, en juin, c’est la sixième fois que des Etats européens se mettent d’accord pour se répartir l’accueil des rescapés. « Je suis soulagé qu’une réponse européenne soit mise en place mais ce système doit être pérennisé et il ne concerne encore qu’un nombre très limité de personnes », reconnaît Pascal Brice, le directeur de l’Ofpra. Au total, 1 655 migrants secourus en mer ont bénéficié de cette forme de solidarité européenne ad hoc.

Dimanche soir, l’Aquarius faisait cap vers Marseille. Le navire humanitaire doit profiter de son escale pour trouver un nouveau pavillon depuis que Panama a décidé de révoquer son immatriculation. Ce retrait est « très inquiétant » et représente « une diminution dramatique des capacités de recherche et de sauvetage au moment précis où elles devraient être renforcées », a réagi dimanche l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), dans un communiqué. Depuis le début de l’année, 1 260 personnes sont mortes en essayant de traverser la Méditerranée centrale.

 

Le Monde, Julia Pascual, le 1er octobre 2018