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Centres de rétention: ces enfants enfermés en dépit des promesses

Publié le : 29/06/2017

l express

En 2012, François Hollande avait promis de mettre fin à la rétention des familles avec enfants. Cinq ans plus tard, leur nombre a explosé.

 

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Des étrangers dans la cour du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot le 4 juin 2007 près de Roissy.

afp.com/JOEL SAGE

 

En 2016, près de 4 500 enfants transitaient par les centres de rétention administrative français (CRA) - sur les 45 000 personnes concernées. Cet enfermement, prévu pour les étrangers faisant l'objet d'une procédure d'éloignement et ne pouvant quitter immédiatement le pays, est strictement encadré par la loi. Durée limitée, contrôle juridictionnel, conditions de rétention définies... Rien n'a été laissé au hasard, sauf pour les mineurs.

Dans leur rapport annuel, six associations -dont France terre d'asile et la Cimade- dénoncent les dérives et abus liés à cette privation de liberté. Au cours de l'année écoulée, plusieurs violations de droits ont été rapportées. Et les enfants ne sont pas épargnés. Enfermés dans des conditions inadaptées, arrachés des bras de leur mère, retenus plus longtemps que la loi ne le permet, ils sont parfois soumis au même traitement que les adultes, malgré leurs besoins spécifiques.  


Une augmentation perpétuelle depuis 2013

 

Si les associations se réjouissent de certaines avancées portées par la réforme du 7 mars 2016, elles déplorent les conséquences de ce même texte, qui a élargi le recours à la rétention pour les familles avec enfants. En métropole, il s'agit principalement de familles enfermées la veille du vol, avec un départ en pleine nuit. Un enfermement qui n'est "pas nécessaire, même s'il n'est que temporaire", selon Mathias Venet, responsable à l'Ordre de Malte, cosignataire du rapport. "Cette rétention relève du confort de l'administration. Elle lui permet d'avoir les familles à disposition lorsque vient l'heure du départ," note-t-il.

Malgré l'engagement pris par François Hollande de refuser la rétention des familles avec enfants "au nom de [leur] l'intérêt supérieur", leur nombre est en perpétuelle augmentation depuis 2013. En métropole, ce chiffre a plus que triplé, passant de 41 en 2013 à 182 en 2016 -dont une augmentation de 70% entre 2015 et 2016. A Mayotte, il est encore plus massif, avec 4 285 enfants, pour près de 20 000 personnes en tout.


Des lois à géographie variable

 

Dans le département, où la situation générale est particulièrement difficile, la rétention de mineurs est massive et "continue à s'exercer en violation de tous les standards du droit interne comme européen," notent les auteurs du rapport. La plupart d'entre eux - arrivés en kwassa-kwassa des Comores - sont écartés de l'Aide sociale à l'enfance (ASE). "Il y a entre 3000 et 5000 mineurs isolés à Mayotte qui devraient être pris en charge", indique Romain Reille, directeur de Solidarité Mayotte. "Cependant, l'ASE est largement défaillante sur le territoire. Il n'y a donc pas ou peu d'accompagnement de ces mineurs [qui sont donc placés en CRA]."

En France métropolitaine, l'inquiétude se porte sur les plus jeunes. Selon la loi, leur rétention n'est possible que 48 heures avant le départ. Cependant, cette durée est parfois dépassée, comme en témoigne l'expérience d'une famille kosovare retenue à Metz durant trois jours. "A peine arrivés au CRA, l'état de santé générale des deux petits garçons, de 2 et 4 ans, s'est très rapidement dégradé", racontent les associations. Le plus jeune ne parvient pas à dormir et développe des éruptions cutanées. Puis les enfants cessent de s'alimenter "obligeant le père à les y contraindre," décrivent les associations.  


Dix-sept heures pour agir

 

Pour d'autres, la situation est d'autant plus compliquée qu'ils sont séparés. Le 10 mai dernier, un Afghan est interpellé dans le Pas-de-Calais. Comme le raconte la Cimade, il avertit les autorités de sa situation familiale, qui décident tout de même de le placer seul au CRA du Mesnil-Amelot (en Seine-et-Marne) en vue d'un renvoi en Afghanistan. Le lendemain, son épouse lui rend visite avec leur fille de huit mois. Elle réclame la sortie de son mari, en colère, avant d'être extraite du centre pour être menée en garde-à-vue. L'enfant est laissé au père, enfermé derrière les barbelés, puis placé en famille d'accueil durant douze jours avant de retrouver sa mère. Le 31 mai, le père était toujours au CRA dans l'attente de son expulsion.  

A Mayotte, cette séparation parents-enfant est inversée. Outre leur nombre important dans les CRA, les mineurs sont régulièrement rattachés à des personnes majeures qui n'exercent aucune autorité parentale sur eux. "Nombre d'entre eux sont ainsi renvoyés aux Comores alors que leurs parents se trouvent à Mayotte", précise le rapport. Pour éviter l'éloignement, les associations tentent de rétablir le lien de filiation, "mais nous disposons que de très peu de temps, 17 heures en moyenne," précise Romain Reille.


Anxiété, stress, traumatisme

 

Etant donné l'âge des intéressés (de 2 à 12 ans pour la grande majorité), la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France à cinq reprises, le 12 juillet 2016, pour l'enfermement des enfants. Elle avait ainsi estimé que cette rétention pouvait être constitutive d'un traitement inhumain ou dégradant. Forte présence policière, absence de sécurité adaptée, bruits incessants de jour comme de nuit... Ces éléments, cumulés aux interpellations parfois violentes, peuvent "engendrer des traumatismes," selon Mathias Venet.  

"Les centres de rétention restent des constructions carcérales avec privation de liberté. Cela génère énormément d'anxiété et de stress, surtout pour de jeunes enfants", rappelle le responsable de l'Ordre de Malte.

Pour l'éviter, certaines préfectures ont décidé depuis 2012 de ne plus procéder à l'enfermement des enfants. C'est le cas de celle de Marseille, de Lille, de Nîmes et d'Hendaye, dont la décision ne semble pas avoir de répercussions sur les chiffres. "A ce jour, il semble ne plus y avoir de volonté manifeste de changer quoi que ce soit à l'enfermement des enfants," conclut Mathias Venet, qui précise que depuis janvier dernier, 118 enfants ont été enfermés en métropole.

Par L'Express, le 27/06/2017