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Malgré le départ du Royaume-Uni, la frontière reste à Calais

Publié le : 05/07/2016

La Croix nouveau


Malgré les voix qui s’élèvent en France pour un rétablissement du contrôle aux frontières en Angleterre, il n’y aura pas de retour sur les accords bilatéraux entre la France et la Grande-Bretagne. Paris plaide plutôt pour l’organisation de l’immigration légale entre les deux pays.

 

Article La CroixDes réfugiés attendent sur un parking de poids lourds près de port de Calais en mars 2016.  / PHILIPPE HUGUEN/AFP

Calais s’impose comme l’un des enjeux incontournables du Brexit, après une campagne largement focalisée sur l’immigration. Mais Paris et Londres ne vont pas se presser de changer les règles existantes en matière de gestion des flux de migrants. Mercredi 29 juin, François Hollande et son ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, se sont employés à calmer les ardeurs de ceux qui veulent notamment revenir sur le traité bilatéral du Touquet entre la France et le Royaume-Uni. Cet accord de 2003 qui a déplacé la frontière franco-britannique de Douvres à Calais est aujourd’hui dans le viseur de plusieurs responsables de l’opposition. Il est critiqué notamment par le candidat à la primaire à droite Alain Juppé ou par le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Quant à la maire LR de Calais, Natacha Bouchart, elle réclame l’installation d’un camp de migrants sur le sol britannique.

« La frontière à Calais est fermée et a vocation à le demeurer »

Formellement, c’est possible : le traité du Touquet prévoit bien une clause de sortie, avec un délai de deux ans. Mais le gouvernement ne l’envisage pas. Cela créerait une « période d’incertitude » et sans doute « une situation d’extrême confusion », et « les conséquences en termes d’attractivité économique de la région seraient, à n’en pas douter, négatives », argumentait Bernard Cazeneuve, fin juin. En maintenant fermement le signal qu’on ne passe plus à Calais, l’État espère aussi décourager les candidats à l’exil d’emprunter cette route migratoire. « La frontière à Calais est fermée et a vocation à le demeurer », a rappelé le ministre de l’intérieur. Le gouvernement met encore en avant un argument humanitaire : replacer la frontière à Douvres reviendrait à faire de la Manche une Méditerranée bis, exposant les migrants à toujours plus de risques.

 

« C’est parce qu’on érige des murs qu’on crée des problèmes »

L’accord du Touquet n’a pas été porté par la gauche. Ce qui a d’ailleurs permis à François Hollande d’ironiser, mercredi 29 juin: « Ceux qui, aujourd’hui, demandent sa suppression sont ceux-là mêmes qui l’ont conclu. » Il n’est qu’une des nombreuses ententes bilatérales passées entre 1986 et 2014 (lire ci-dessous). Il était toutefois intervenu dans un contexte très particulier, où la France était dépassée par la situation à Sangatte. Le hangar de 25 000 m2 a hébergé jusqu’à 1 600 migrants désireux de rejoindre l’Angleterre. En 2002, la priorité de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, était de le fermer le plus rapidement possible avec la collaboration des Britanniques, qui acceptèrent finalement de prendre en charge les Afghans. « C’était un bon coup sur le court terme, mais un accord extrêmement défavorable sur le long terme », résume Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile. La fermeture de la frontière en France a eu pour effet de multiplier le nombre de migrants coincés face à l’Angleterre. Aujourd’hui, ils seraient entre 4 500 et 6 000 dans le seul bidonville de Calais, 700 à Grande-Synthe… « C’est parce qu’on érige des murs qu’on crée des problèmes. (…) Il faut que cessent les politiques restrictives en matière d’immigration en Europe », a déclaré jeudi 30 juin le défenseur des droits, Jacques Toubon, favorable à la renégociation du traité du Touquet.

Le règlement de Dublin pose question

Beaucoup d’observateurs ne sont pas convaincus par l’argumentaire de Paris pour justifier le statu quo. Olivier Cahn, maître de conférences en droit privé à Cergy-Pontoise et spécialiste des accords franco-britanniques, ne voit qu’une seule solution plausible : « La coopération en matière de renseignement contre le terrorisme pourrait être dans la balance, alors que la France n’a pas accès à l’espionnage électronique de masse des Anglo-Saxons », suggère-t-il. Les pactes bilatéraux ne sont pas les seuls à poser question. Il existe aussi des interrogations au sujet du règlement de Dublin sur l’asile. Londres n’en a retenu que les dispositions permettant de refouler les exilés vers les autres pays de l’UE par lesquels ils ont transité. En théorie, rien n’oblige les Anglais à sortir de ce système plutôt arrangeant.

Après tout, la Norvège, la Suisse, ou même l’Islande obéissent à ce règlement sans pour autant appartenir à l’UE. « À la nuance près que ces pays font partie de l’espace Schengen, ce qui n’est pas le cas de la Grande-Bretagne », souligne Matthieu Tardis, de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Appel à respecter le rapprochement familial

Dans l’hypothèse d’une sortie de Dublin, cela ne changerait pas grand-chose non plus, admet toutefois le spécialiste : « Les autorités anglaises pourront toujours reconduire les demandeurs d’asile vers des “pays tiers sûrs” basés sur le continent, à condition toutefois que ces derniers acceptent. » Plutôt que de revenir sur cet enchevêtrement d’accords internationaux, la France voudrait en conclure d’autres. Pas tant sur la gestion de l’immigration clandestine que sur les voies d’immigration légale. La diplomatie française presse les Britanniques de mettre en œuvre le rapprochement familial déjà prévu par Dublin. Concernant les mineurs isolés, un protocole de prise en charge reste à finaliser. Une mission confiée en début d’année à France terre d’asile a permis à une cinquantaine d’enfants de rejoindre des proches de l’autre côté de la Manche. Cette dernière devrait être reconduite.

L’exécutif français veut aussi être épaulé financièrement sur l’accueil des migrants. Il s’agit « d’éviter qu’il y ait un certain nombre de camps qui ne sont pas dignes » d’un « grand pays » comme la France, a annoncé François Hollande fin juin.

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30 ans d’accords franco-anglais

1986. Le traité de Cantorbéry fixe un cadre pour un futur contrôle de l’immigration en prévision de la liaison transmanche par le rail.

1991. Le protocole de Sangatte prévoit des contrôles embarqués entre Paris et Londres. Mais les migrants passent à travers. L’Angleterre inflige de lourdes amendes à la SNCF.

1995. Par un « gentleman’s agreement » entre les deux pays, Paris s’engage à récupérer les migrants interceptés par les Britanniques.

1999. Lionel Jospin ouvre Sangatte. Les Britanniques dénoncent une aide au passage.

2000. Le protocole additionnel fixe le contrôle douanier au départ de Paris. En échange, les Britanniques financent les équipements de sécurité dans les gares du Nord de la France.

2002. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, ferme Sangatte avec la collaboration des Britanniques, qui prennent en charge les Afghans.

2003. Traité du Touquet : Londres externalise ses contrôles douaniers en France, y compris dans les ports.

Depuis 2009. Une série d’accords fixent des aides financières de la Grande-Bretagne à la France pour contrôler les frontières (60 millions d’euros versés cette année par Londres, contre 25 millions par la France).

Le 05/07/2016, Jean-Baptiste FRANCOIS, La Croix