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De migrant à réfugié, le parcours du combattant

Publié le : 23/06/2016

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Libération 3A Marseille, le 16 septembre 2015, devant le service des demandeurs d'asile et des cartes de séjour de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Photo Patrick Gherdoussi pour Libération

 

Lorsqu’une personne arrive en France, elle doit passer par plusieurs étapes avant l'obtention éventuelle du statut de réfugié. Retour en détail sur cet itinéraire complexe. 

« En arrivant en France, tout prend du temps » : ce constat d’un associatif illustre la difficulté et la longueur de la procédure pour une personne migrante souhaitant obtenir l’asile en France. De la pré-inscription à la délivrance éventuelle du statut de réfugié, les délais atteignent, en moyenne, quinze mois. Il y a un an, ils étaient de dix-neuf mois. La loi votée à l’été 2015 fixait, elle, un objectif de neuf mois. C’est en Ile-de-France, où plusieurs centaines de personnes doivent patienter durant des jours avant même de pouvoir entrer dans la procédure, que le retard est le plus notable. Etape par étape, Libération a suivi ce parcours compliqué.

Le pré-enregistrement

« Peace for all » : sur son Tee-shirt rouge, à l’effigie de l’équipe de cricket des « Kabul Kings », une colombe prend son envol. Hamdard a le sourire. L’Afghan, venu avec un ami, a obtenu sa convocation pour se rendre à la préfecture de police après s’être fait préenregistrer dans des locaux de France terre d’asile, boulevard de la Villette (dans le Xe arrondissement de Paris). C’est la première étape d’une demande d’asile. Elle consiste à déclarer des informations basiques : nom, prénom, date de naissance, date d’arrivée en France, nombre d’enfants, nom du conjoint. Dans la salle, les demandeurs patientent après avoir passé un premier pointage fait par deux médiateurs à l’extérieur des locaux. Ils complètent ensuite le questionnaire avec un agent d’accueil à l’intérieur d’un box et obtiennent alors un rendez-vous à la préfecture pour l’enregistrement.

Le pré-accueil n’est aucunement inscrit dans la loi. C’est une étape obligatoire ajoutée par les préfectures afin de réduire les files d’attente et de fluidifier la procédure : on dénombre trente-quatre centresdans les principales villes de France. En Ile-de-France, on compte huit plateformes, une dans chaque département. Une fois préenregistrée, la personne obtient un rendez-vous dans un délai théorique de trois jours. Dix en cas de grosse affluence.

« Je suis venu sept fois pour obtenir un rendez-vous et j’ai dormi trois nuits devant la porte. Sans même avoir de couverture », explique Hamdard, sans pourtant perdre son air jovial. « Si tu ne restes pas devant la porte, tu n’as pas de chance d’obtenir un rendez-vous. » Devant les locaux de la plateforme de pré-accueil parisienne, les demandeurs d’asile isolés, quasiment uniquement des hommes, se sont installés dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous. En moyenne, « la file est constituée de 150 à 200 personnes », souligne Guillaume Schers, directeur de la gestion des situations d’urgence pour l’association. « Il peut y avoir des points de fixation et des tensions », reconnaît-il. Mais il est plutôt satisfait des progrès réalisés depuis quelques mois. Chaque jour, l’équipe de quatre opérateurs accueille en moyenne 60 personnes.

Si la plateforme existe depuis plus d’une dizaine d’années, « l’ouverture de ce nouveau site sur le boulevard de la Villette ainsi que l’augmentation des moyens de 30% ont été non négligeables », explique Guillaume Schers. Depuis la fin du mois de mars, les activités de France Terre d’asile ont été en effet redistribuées entre deux sites afin de gagner de l’espace : le pré-accueil se fait dans les nouveaux locaux du boulevard de la Villette ; les permanences sociales, la distribution du courrier et la domiciliation rue Doudeauville, dans le XVIIIe arrondissement, siège historique de l’association.

Cependant, force est de constater que la concentration de la demande en Ile-de-France (40% du total national) est toujours problématique. « Quand j’ai 50 places, mais que j’ai 300 migrants devant la porte, qu’est-ce que je fais ? » s’interroge Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile. « La situation est tendue à Paris. Les dispositifs sont basés sur les flux de 2014-2015 », explique-t-il. Une observation que confirme Jean-François Ploquin, directeur de Forum Réfugiés-Cosi, une association qui accompagne les demandeurs d’asile dans leur parcours et gère quatre plateformes de primo-accueil en Rhône-Alpes. « Il faut prendre en compte la question territoriale », indique-t-il. Quand, au mois de mai, Paris enregistrait 1 100 personnes isolées pour les faire entrer la procédure de demande d’asile, Lyon en accueillait 39. D’où la nécessité d’une réorientation, promise dans la réforme de juillet 2015. Pour désengorger Paris, les migrants pourront être redirigés en Ile-de-France ou d’autres régions. Pierre Henry attend avec impatience cette régionalisation, qui prend du temps à se mettre en place. « Nous gérons aussi un local de pré-accueil dans le Val-de-Marne, à Créteil. Et ce n’est pas du tout la même situation là-bas », explique-t-il. Contre 60 rendez-vous attribués chaque jour au préguichet de Paris, Créteil n’en distribue que 14.

En attendant, devant la plateforme de pré-enregistrement parisienne, les primo-arrivants continuent d’attendre. Venu d’Afghanistan, Hussain s’impatiente avec son neveu depuis plusieurs jours. Dans sa main, il tient un précieux papier rose : « RDV à la préfecture le 27 juin à 9 heures », est-il écrit. Il a dix jours à patienter, contre les trois réglementaires… 

 

Enregistrement au guichet unique des préfectures

Une fois pré-enregistrées, les personnes doivent aller s’inscrire au guichet unique de leur préfecture de référence. Celle-ci est définie lors du pré-enregistrement. Les associations plaident donc pour une meilleure répartition, dès la phase d’inscription, des demandeurs.

A la préfecture, un agent récupère le document complété en pré-accueil, relève les empreintes digitales et procède à un entretien individuel afin de déterminer quel pays est responsable de l’examen de la demande d’asile, conformément au règlement de Dublin II. Depuis juillet 2015, la procédure a aussi été simplifiée : il n’est plus obligatoire de posséder une adresse postale pour faire une demande d’asile, « ce qui submergeait les associations », rappelle Sandrine Mazetier, députée socialiste auteure d’un rapport sur l’asile en 2014.

Si la décision de la délivrance d’un titre de réfugié est réservée à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), la préfecture doit tout de même déterminer de la mise en place d’une procédure dite « accélérée » ou « normale ». La procédure accélérée est enclenchée dès lors qu’il s’agit du réexamen d’une première demande, si cela fait plus de quatre mois que la personne est en France, lorsque le pays d’origine est sur la liste des pays sûrs ou encore si la personne a fait une demande sous plusieurs identités. « En procédure accélérée, il y a moins de garanties procédurales, on vous sanctionne », regrette Eve Shashahani, avocate spécialisée dans le droit des étrangers. L’Ofpra n’a par exemple que quinze jours pour statuer sur la demande d’asile et des documents supplémentaires ne peuvent pas être apportés à un dossier. En 2015, 28,4 % des demandes ont été placés en procédure accélérée.


La constitution du dossier pour l’Ofpra

Chaque demandeur d’asile doit ensuite compléter un « récit de vie ». En quelques pages, il explique les raisons de son départ, ses craintes, les conditions dans lesquelles il a vécu son exil avant de l’envoyer à l’Ofpra. L’office a enregistré, l’an passé, 80 075 demandes. Chaque personne narre son histoire librement. Le demandeur d’asile a vingt et un jours pour constituer et envoyer son dossier à l’Ofpra afin qu’il y soit reçu.

Evidemment, la barrière de la langue est problématique. Si les associations sont nombreuses à proposer des aides à la constitution du dossier, beaucoup de demandeurs d’asile ne bénéficient pas de ce soutien. Pour le récit de vie, des traducteurs proposent leurs services. A 30 euros la page. « Les moins fortunés sont donc forcés de faire tenir le récit de toute une vie sur une seule page, ce qui est handicapant », déplore Eve Shahshahani.

 

L’entretien à l’Ofpra

 

Libération 2Entretien d’un Soudanais, accompagné d’un interprête, à l’Ofpra, dans le cadre de sa demande d’asile. (Photo Albert Facelly)

Fontenay-sous-Bois, le 12 juin 2015. Dans le cadre de sa demande d'asile, le Soudanais Mahadin, 21 ans, a passé une heure, accompagné d'un interprète, dans les bureaux de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).

Pendant un entretien, qui est enregistré et dure en moyenne une heure, un agent de l’Ofpra revient sur les craintes et la crédibilité du récit du demandeur d’asile. Ce rendez-vous, moment clé de toute la procédure, a lieu dans l’un des cinquante boxes vitrés de l’office, à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). Les documents constitutifs du dossier sont passés en revue et d’autres peuvent être ajoutés. Mais c’est l’exposé oral qui est déterminant et non le dossier écrit. Le cœur de l’entretien vient ensuite : le demandeur d’asile reprend point par point son récit. Celui-ci sera entrecoupé de questions. Parfois très spécifiques : « Vous parlez d’un commissariat. Pouvez-vous me décrire le lieu ? » Le but : vérifier des éléments qui ne pourraient être propres qu’à une personne.

Un traducteur peut accompagner la personne mais aussi, depuis juillet 2015, un tiers : avocat, membre d’association. Autre nouveauté, l’Ofpra peut choisir de déclasser une procédure « accélérée », décidée par la préfecture, vers celle « normale ». L’office prend aussi en compte les vulnérabilités de chacun, notamment si le demandeur d’asile a été victime de violences, de viols, de torture, etc.

L’accompagnement d’un tiers est encore peu utilisé,« mais c’est quelque chose qui monte en puissance », explique le directeur général de l’Ofpra, Pascal Brice. Cependant, « les conditions matérielles de l’entretien ne sont pas encore suffisantes pour mettre à l’aise les demandeurs d’asile », explique l’avocate Eve Shahshahani. Qui ajoute que le tiers « est muet jusqu’à la fin de l’entretien et, parfois, n’est même pas dans le champ de vision du demandeur d’asile ». Autre limite : certains demandeurs d’asile rencontrent des difficultés pour verbaliser les tortures ou les viols dont ils peuvent avoir été victimes. « Il peut arriver que l’on convoque une personne une seconde fois pour essayer d’y voir plus clair, estime une ancienne agente de l’Ofpra. Il y a toujours une part de subjectivité, la manière de raconter est déterminante. En cinq ans d’exercice, je ne peux pas assurer que je ne me sois jamais trompée. »


L’instruction du dossier

Une fois l’entretien achevé commence la phase d’instruction. Des documents peuvent être ajoutés au dossier et l’agent de l’Ofpra qui instruit le dossier, dit agent de protection, peut enrichir ses recherches. Il peut faire appel au service de documentation et aux archives, constituées de rapports sur les différents pays, de journaux locaux. L’agent échange également avec son chef de division ou avec ses collègues pour prendre sa décision, rendue collégialement avec son responsable. « Une lourde responsabilité », reconnaît une agente. L’Office met entre 4 et 6 mois, en moyenne, pour rendre sa décision. Un temps qui s’est réduit puisqu’en 2014, le délai était estimé entre 8 et 9 mois. A terme, l’objectif est d’instruire les dossiers en trois mois, en moyenne. Tout en sachant que le délai dépend de la complexité des dossiers mais aussi de la zone géographique concernée : certaines divisions de pays recensent plus de demandes que d’autres.

L’âge moyen du stock de demandes en instruction est aussi à prendre en compte. En effet, un dossier qui arrive aujourd’hui a des chances d’être traité plus rapidement qu’un dossier déposé il y a plusieurs mois. « Le stock de dossiers en instruction depuis plus de trois mois doit être à zéro, il était de 41,6% en décembre, on l’a réduit de 30% en 2015 », note Pascal Brice, directeur général de l’Ofpra. Il tempère en soulignant les améliorations : « L’âge moyen du stock est passé de 7 mois en 2014 à 4 mois, fin 2015. Nous n’avons plus que 6,5% des dossiers en attente qui ont plus d’un an contre 22% en 2014. »


La décision de l’Ofpra

Après avoir instruit le dossier, l’Ofpra rend sa décision et l’envoie au demandeur d’asile. Si la décision est négative, le formulaire rempli pendant l’entretien est envoyé à la personne pour qu’elle puisse s’en servir pour le recours.

Si la demande d’asile est acceptée, le statut de « réfugié » est reconnu à la personne et la préfecture lui délivre un titre de séjour d’une validité de dix ans. En cas de rejet, le demandeur d’asile peut faire un recours en saisissant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) dans un délai d’un mois. Pour les six premiers mois de 2016, l’Ofpra a décidé la protection de 26% des demandeurs d’asile, contre 9% en 2012. « Une révolution, car les trois-quarts des protections se font dès la première instance », note Pascal Brice, directeur général de l’organisme.

Pour Eve Shahsahani, les chiffres sont également à relativiser car certaines nationalités, qui ont vu leur part exploser ces dernières années, bénéficient d’un fort taux d’acceptation. C’est le cas des Syriens ou des Irakiens, qui ont déposé respectivement 3 403 et 2 145 demandes en 2015, et ont obtenu l’asile dans 97% des cas. Point noir de l’Ofpra, les délivrances d’actes d’état civil, une fois le statut de réfugié reconnu. Le délai légal est fixé à trois mois, mais il est aujourd’hui largement dépassé. La délivrance de ce document permet, entre autres, aux réfugiés de faire une demande de regroupement familial, une demande de RSA, de logement social, de bénéficier d’une aide à la réinsertion etc.

 

Le recours devant la Cour nationale du droit d’asile

 

Libération 3Audience à la Cour nationale du droit d’asile, en septembre 2013. (Photo Marc Chaumeil)

Si la décision de l’Ofpra est négative, le demandeur d’asile peut faire un recours devant laCNDA. Il a un mois pour l’envoyer et peut bénéficier d’une aide juridictionnelle en en faisant la demande dans un délai de quinze jours. C’est lors d’une audience à Montreuil, devant trois magistrats de la Cour nationale du droit d’asile, la juridiction administrative de France qui traite le plus de dossiers, que le demandeur d’asile doit expliquer pourquoi il conteste la décision de l’Ofpra. L’audience est présidée par un magistrat professionnel, accompagné par deux assesseurs, dont un représentant le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNCHR). L’an dernier, la CNDA a vu son activité augmenter puisqu’elle a enregistré 38 674 recours. Les juges ont cinq mois pour statuer sur le réexamen. En cas de procédure accélérée, le délai est réduit à cinq semaines et la décision est prise par un juge unique.

« Moins de moyens, moins de temps, cela peut être préjudiciable », explique Eve Shashahani. En 2015, la CNDA a accordé la protection à 8% des personnes ayant lancé un recours. Le délai moyen de jugement était fixé à 7 mois et 17 jours fin 2015, un temps qui s’est allongé. Si la CNDA refuse de revenir sur la première décision, la personne est déboutée du droit d’asile et peut faire l’objet d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Le débouté peut aussi demander un réexamen sous un autre statut tel qu’« étranger malade » ou une carte de séjour de travail etc. Dans ce cas, c’est le préfet qui prendra la décision.

Audrey FISNÉ, le 22/06/2016, Libération