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À Évreux, les demandeurs d’asile se rassemblent pour les fêtes

Publié le : 07/01/2019

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Ils étaient une cinquantaine à se réunir pour les fêtes de fin d'année, dans les locaux de la Jeanne d'Arc. Les demandeurs d'asile d'Évreux racontent leurs parcours.

« Libye, Mali, Albanie, Soudan, Pakistan, Centrafrique, Géorgie, Congo… » François et Margot, bénévoles de France Terre d’Asile, égrènent ces noms de pays, qui sont tous apparus au cours des dernières années dans nos journaux télévisés.

Ce sont les pays d’origine des demandeurs d’asile aujourd’hui accueillis à Évreux et à Louviers, dans l’attente d’une réponse de l’Office Français de l’immigration et l’intégration (OFII).

Mais ce jour, pas question de parler de paperasse, de dossiers à la préfecture et d’administration. L’association France terre d’asile organisait, une semaine avant Noël, une journée de fête dans les locaux de l’association Jeanne d’Arc d’Évreux pour rassembler les nouveaux Ébroïciens, et leur permettre d’oublier les nombreux traumatismes qui ont émaillé leurs parcours.

« Aujourd’hui, c’est une bonne journée, sourit Youssouf, Malien de 28 ans. On se vide la tête, on oublie que ça ne va pas. »


Expropriation et torture

Au milieu des cuisines de l’association dont sortent des montagnes de samossas, de beignets, de poulets rôtis et autres spécialités venues du monde entier, le jeune homme accepte de se replonger brièvement dans ses souvenirs.

Youssouf habitait dans la région de Bamako au Mali. En 2013, des hommes viennent chez son père pour tenter de s’approprier son terrain. Prêts à tuer pour récupérer ces terres par la force. « Ils m’ont torturé. J’ai encore des séquelles à plusieurs endroits du corps », raconte-t-il en montrant son pouce inerte.

Pourquoi avoir pris la fuite plutôt que de les confondre en justice ? Youssouf sourit de nouveau, amèrement cette fois : « Les hommes qui sont venus chez moi, ce sont des hommes puissants. La police, les tribunaux… ils ne font rien. Au Mali, ce n’est pas comme en France. La France, moi je la félicite pour ses lois. »

La formule est solennelle, mais elle est surtout révélatrice : expropriation, justice arbitraire ou corrompue… dans certaines régions, l’État de droit n’est qu’un idéal lointain.


La langue française comme ambassadrice

Dalir* a connu ça en Afghanistan. Un conflit entre les Talibans et la police de sa ville d’origine, et il a pris la fuite à la demande de son père, inquiet pour la survie de son fils. « Prison ou mort, avec les Talibans on ne sait jamais ce qui peut arriver. »

Dans un français étonnamment assuré, le jeune Afghan arrivé il y a un peu plus d’un an en France raconte : la solitude, le déchirement, les seize mois de marche à travers l’Iran, la Turquie et les Balkans. « En Grèce, j’ai rencontré une Française. Elle était tellement gentille avec nous… Je lui ai demandé comment on disait « hello », elle m’a répondu « bonjour », mime-t-il avec son petit accent et un air définitivement conquis. Je me suis dit tout de suite que je voulais vivre en France. »

Depuis son arrivée, Dalir étudie le français autant que possible. D’où son niveau déjà élevé dans une langue qu’il n’avait jamais parlée auparavant.

« Mais à Évreux, il n’y a pas de place pour moi dans les cours de français », regrette-t-il, frustré de perdre son avance.


Des papiers pour travailler

Les cours de français faisaient partie des obligations des Cada, les centres d’accueil de demandeurs d’asile.

« Mais ça, c’était avant Nicolas Sarkozy, grince Antoine Beaufort, directeur du Cada d’Évreux (lire encadré). Aujourd’hui ce sont les associations qui s’en chargent. Pourtant, la maîtrise de la langue française est une aide à l’intégration. »

L’intégration, c’est bien sûr l’objectif de l’association et de ses bénéficiaires. En cette fin d’année, les demandeurs d’asile espèrent obtenir leur statut de réfugié, synonyme de pérennisation de leur situation.

« Si j’obtiens mes papiers, je pourrai passer mon permis et trouver un travail, projette Youssouf. N’importe quel travail, je l’accepterais. » Dalir, lui, se verrait bien travailler dans le bâtiment, à la peinture ou au carrelage.

Alors en attendant des nouvelles de l’administration, Youssouf, Dalir et les autres profitent de la trêve des fêtes pour oublier leurs soucis, le temps d’un repas du moins. Ils reviendront bien assez vite.

 

 * Le prénom a été changé.

« Nos missions : héberger et accompagner »

Le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) d’Évreux met 129 places à disposition dans des logements disséminés entre Évreux et Louviers. « Nous accueillons entre 200 et 300 personnes par an, avec le roulement », explique Antoine Beaufort, son directeur.
Les Cada sont financés par l’État, mais leur gestion est déléguée à des associations, comme France Terre d’Asile à Évreux. Ils ont pour vocation d’héberger et d’accompagner les demandeurs d’asile pendant le temps que durera l’examen de leur demande.
À Évreux, 31 appartements sont partagés par des familles ou des personnes arrivées seules. « On leur apporte un accompagnement juridique, mais aussi social. Ça couvre l’accès à la santé, la mobilité, l’apprentissage de la langue française… »
France Terre d’Asile à Évreux, ce sont aussi dix salariés et une dizaine de bénévoles. « Les bénévoles aident dans les formalités administratives, donnent des cours de français, organisent des événements sportifs ou conviviaux… Chacun fait selon ce qui lui plaît », assure Antoine Beaufort.
Seules 36 % des 100 000 demandes d’asiles en France en 2017 ont été accordées. Pour les personnes accompagnées par le Cada d’Évreux, ce taux monte à 55 %.

 

Actu.fr par Claire Huille, le 27 décembre 2018