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Pas de sanction aux demandeurs d'asile (message de Thomas Hammarberg - 17/03/2008)

Publié le : 17/03/2008

" Les Etats ne doivent pas imposer de sanctions aux demandeurs d’asile à leur arrivée sur le territoire ", message de Monsieur Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, le 17/03/2008

 

Également disponible sur le site du Commissaire


Accueillir ceux qui sont persécutés dans leur pays est un acte de solidarité minimum. La Déclaration universelle des droits de l'homme énonce dans une disposition clé que « devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays ». Las, ce droit n’est pas totalement observé aujourd’hui dans certaines régions d’Europe où les réfugiés sont au contraire souvent considérés avec suspicion et sont trop souvent placés en détention.

Parmi ceux qui tentent d’entrer en Europe, certains, faut-il le rappeler, ont des craintes fondées d’être persécutés. Ils sont menacés en raison de leur origine ethnique, de leur religion, de leur nationalité, de leur opinion politique ou de leur appartenance à tel groupe social. Certains ont déjà été victimes de graves maltraitances dans leur pays d’origine. Ces réfugiés ont été obligés d’émigrer.

Leur histoire fait d’eux des migrants à part, de sorte que le droit international prévoit une protection spéciale pour les réfugiés. Malheureusement, leur statut de réfugié n’est pas toujours respecté. Certaines mesures engagées pour dissuader des groupes de migrants de venir en Europe interdisent aux réfugiés parmi eux de demander l’asile.

Les réfugiés qui entrent sur le territoire national sans autorisation ne doivent pas être sanctionnés. La restriction de leur liberté de circulation se justifie uniquement dans des cas exceptionnels. Il s’agit-là de principes fondamentaux, établis dans le droit international relatif aux réfugiés il y a près de 60 ans.

Aux termes de l’article 31 de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés de 1951 (telle qu’amendée par le protocole de 1967), « les Etats contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui […] entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières ».

Les Etats ne peuvent restreindre la liberté de circulation de ces réfugiés que si de telles restrictions sont considérées comme « nécessaires », c’est-à-dire dans des circonstances exceptionnelles clairement définies et après avoir pleinement considéré toutes les autres solutions possibles. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés fait valoir ce principe depuis des années.(1)

En 2003, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a explicitement soutenu cette position lorsqu’il a adopté la Recommandation Rec (2003)5 aux Etats membres sur les mesures de détention des demandeurs d’asile. En 2005, l’Union européenne a elle aussi expressément adopté ce principe dans l’article 18 de la Directive 2005/85/CE du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.

Il ressort de ces principes que la détention des demandeurs d’asile à leur arrivée ne doit être autorisée que pour des motifs définis par la loi, pour une durée aussi brève que possible et uniquement à l’une des fins suivantes :
• vérifier l’identité des réfugiés ;
• déterminer les éléments de leur demande de statut de réfugié ou d’asile ;
• traiter les cas dans lesquels les demandeurs d’asile ont détruit leurs documents de voyage et/ou d’identité ou ont utilisé des documents falsifiés pour tromper les autorités de l’Etat dans lequel ils ont l’intention de demander l’asile
• protéger la sécurité nationale ou l’ordre public.

Comme toutes les restrictions appliquées aux droits et libertés fondamentaux, ces exceptions devraient être appliquées de façon restrictive. Certaines catégories de personnes vulnérables – comme les enfants non accompagnés –, ne doivent jamais être placées en détention. Là encore hélas, ma propre expérience et les informations que j’ai reçues de sources crédibles témoignent d’une réalité radicalement différente.
Ainsi je suis très préoccupé par les rapports sur la situation des réfugiés en mer Egée et la détention par les garde-côtes grecs de tous les nouveaux arrivants, et notamment des demandeurs d’asile. Parmi les personnes détenues sur les îles proches des côtes, il y a des handicapés, des femmes enceintes et des mineurs. Ce cas n’est pas unique et il va de soi que le traitement réservé à ceux qui arrivent dans d’autres régions d’Europe mérite aussi d’être vérifié.


La détention des demandeurs d’asile dont le dossier a été rejeté est également préoccupante. Là encore, la privation de liberté ne se justifie que s’il existe un risque objectif qu’ils s’enfuient et en l’absence d’autres solutions telles que l’obligation de se présenter régulièrement à la police. Même dans ce cas, la détention doit avoir une durée restrictive et pouvoir faire l’objet d’un recours devant une autorité judiciaire.
Autre phénomène préoccupant : le fait que certains Etats membres de l’Union européenne maintiennent en détention des demandeurs d’asile lorsque leur transfert est en cours vers l’Etat membre responsable de l’examen de leur demande dans le contexte du « règlement de Dublin II » (n° 343/2003).


Le « règlement de Dublin II » devrait être révisé afin de tenir compte du principe fondamental de l’interdiction de la détention pour les demandeurs d’asile. Un système effectif de surveillance au niveau européen est également nécessaire pour faire en sorte que les lieux de détention des demandeurs d’asile soient sous la surveillance constante d’un organe indépendant. Il conviendrait, dans ce contexte, d’accorder une attention particulière à une pratique courante : la détention dans les zones de transit des aéroports.


L’Europe a besoin de procédures communes, c’est évident. J’ai rencontré des représentants de gouvernements inquiets qui redoutaient qu’une politique fondée sur le droit n’envoie des « signaux » susceptibles d’attirer de nouveaux réfugiés. Leur attitude tend son tour à alimenter une réaction en chaîne négative. Les politiques devraient au contraire être coordonnées sur la base des normes adoptées en matière de droits de l’homme.


J’espère sincèrement que l’arrêt de la grande chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Saadi v. RU (29/01/2008) ne sera pas compris comme une invitation à généraliser les détentions. La Cour a en effet conclut qu’un Etat peut retenir un demandeur d’asile pendant sept jours, « dans des conditions convenables » afin de permettre un traitement rapide de sa demande d’asile, si cet Etat est confronté à une situation « où le nombre de demandeurs d’asile connaissait une augmentation vertigineuse ».


Nul ne conteste que l’augmentation des demandes d’asile peut provoquer des problèmes administratifs, mais ce n’est pas une raison pour permettre l’érosion d’un principe établi du droit international qui interdit la détention des demandeurs d’asile dès leur entrée sur le territoire. Il est important que la raison d’État ne prime pas automatiquement sur l’État de droit.

Au vu de ce qui précède, il serait utile, je pense, de rappeler quelques principes essentiels que les Etats européens ont déjà adoptés, du moins en droit :
• les réfugiés sont des personnes particulièrement vulnérables persécutées dans leur pays ; par conséquent, ils ont besoin d’une protection spéciale dans les pays d’accueil ;
• L’interdiction de la détention pour les demandeurs d’asile à leur entrée sur le territoire doit rester un principe fondamental du droit international, respecté par les Etats dans la pratique ;
• La détention doit être autorisée de façon restrictive, et uniquement dans l’un des quatre cas de figure cités plus haut ;
• La détention doit se faire dans des établissements spéciaux réservés aux réfugiés ;
• Les Etats doivent étudier des solutions alternatives aux mesures de détention et les inscrire clairement dans leur législation nationale ;
• Les Etats doivent toujours accorder une attention particulière et réserver un traitement particulier aux réfugiés les plus vulnérables – victimes de tortures ou d’autres traumatismes, mineurs non accompagnés, femmes enceintes, mères seules, personnes âgées, personnes souffrant d’un handicap mental ou physique…
• Les Etats doivent effectivement appliquer les garanties procédurales et matérielles mentionnées à l’article 5 (Droit à la liberté et la sécurité) de la Convention européenne des droits de l’homme ;
• Les organes étatiques responsables des demandeurs d’asile en détention doivent être spécialement formés et suivre une formation continue spéciale.

Il ne s’agit pas uniquement de principes humanitaires. Selon les droits de l’homme internationaux et la loi sur les réfugiés, ils correspondent à des droits individuels qui à leur tour, engagent la responsabilité de l’Etat.


L’asile, en théorie et dans la pratique, représente certes un défi pour l’Europe moderne, mais c’est ici, sur ce continent, qu’il a ses racines. Les Etats européens devraient tout faire pour résoudre ce défi, tout en restant fidèles à leurs propres traditions.

Thomas Hammarberg

(1) Principes directeurs concernant les critères et normes applicables à la détention de demandeurs d'asile, UNHCR, janvier 1999 (en anglais, format .pdf)


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Ce «point de vue» peut être republié dans la presse ou sur Internet sans notre accord préalable, sous réserve que le texte ne soit pas modifié et qu'il soit fait mention de la source comme suit : « Également disponible sur le site du Commissaire, sur www.commissioner.coe.int ».