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Débat: l’Europe doit-elle être une forteresse ?

Publié le : 15/11/2013

EuropaNova a organisé le 7 novembre un débat à l’Assemblée nationale sur le thème : « l’Europe doit-elle être une forteresse ? », en présence de deux députés et face à un jury citoyen, avec des lycéens de Seine-Saint-Denis et Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile.

À l'approche des élections européennes de 2014, EuropaNova a lancé un cycle mensuel d'auditions politiques "Tous Européens ?" qui réunit une fois par mois, pour un face à face, un leader politique français et un député européen. Philippe Juvin est maire de La Garenne-Colombes, député européen depuis 2009, conseiller politique de l'UMP, tandis que Christophe Caresche est député PS de Paris.

 

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Parmi les points abordés, la question de l’espace Schengen :

Faut-il suspendre les accords de Schengen ?

Patrick Juvin : La catastrophe survenue le 3 octobre dernier au large de l'île de Lampedusa est le rappel tragique, une nouvelle fois, de l'arrivée régulière de milliers de migrants qui souhaitent entrer sur notre territoire. La France reste attachée et fidèle à sa tradition d'accueil ; mais pour assurer sa cohésion, une société a besoin de réguler son immigration.

Il faut, compte tenu de la situation aigüe, envisager de restreindre l'application des accords de Schengen tant que tous les États membres n'auront pas donné des gages fiables de surveillance de leurs frontières.

La réforme Schengen, adoptée le mois dernier, a donné de nouveaux moyens aux États membres de Schengen pour pouvoir rétablir des contrôles temporaires de leurs frontières. Ce n'est pas suffisant. Il faut renégocier les conditions d'application de Schengen, et si nos partenaires n'y sont pas favorables, remettre en cause notre participation à Schengen.

Christophe Caresche : Non. Schengen est un acquis important qui permet de garantir la libre circulation en Europe. Son démantèlement se traduirait par la reconstitution des frontières à l'intérieur de l'Europe et donc la remise en cause de la libre circulation qui représente un des principes fondamentaux de l'Europe. La fin de Schengen signifierait le début de la déconstruction de l'Europe.

 

Face aux crises politiques en Méditerranée, faut-il assouplir les conditions du droit d'asile en Europe? 

Patrick Juvin : Le régime d'asile européen commun qui a été mis en place ces dernières années a permis d'établir un socle de règles communes en matière de droit d'asile pour les 28 États membres de l'UE. Les conditions sont déjà très généreuses. Elles ne demandent pas à être assouplies.

La solution réside plutôt dans la création des conditions de stabilité politique des pays d'origine de cette immigration.


Christophe Caresche : Le droit d'asile en Europe vient de faire l'objet d'importantes décisions qui permettent la création d'un véritable régime d'asile européen (REAC). Figurent dans ce « paquet » asile, la directive révisée sur les conditions que doivent remplir les demandeurs d'asile, la refonte du règlement de Dublin portant sur les procédures de réadmission, la directive relative aux conditions d'accueil, le règlement ERODAC qui vient de faire l'objet d'un accord. C'est donc un travail très intense qui a été fourni dans le sens d'une harmonisation des critères et des procédures en matière d'asile. Il faut maintenant mettre en œuvre ces orientations. C'est dans ce cadre qu'a été annoncée une réforme du droit d'asile en France par le gouvernement. S'agissant de l'afflux de demandeurs d'asile liés à certaines crises internationales il faut aider les Etats qui sont concernés par ces demandes à y faire face le mieux possible en termes d'accueil. La solidarité européenne doit jouer.

L'Europe est un continent vieillissant. Quelle politique d'immigration adopter? Immigration choisie?  

Patrick Juvin : Nous devons avoir la liberté de choisir nous-même le type d'immigration qui est acceptée sur notre territoire. Nous devons passer à une immigration choisie, selon nos besoins, sur le modèle canadien. La crise économique qui nous frappe est telle qu'on ne peut plus faire comme si ce débat n'était pas devenu fondamental.

De plus, depuis 60 ans, le contexte de l'immigration a été radicalement transformé par l'édification de systèmes de protection sociale.

Enfin, aujourd'hui, ce n'est pas seulement aller chercher ailleurs du travail ou de meilleures opportunités économiques, c'est devenir un ayant droit auquel s'offre tout un éventail de prestations. On répondra "tant mieux !", c'est aussi mon avis.

Mais cette solidarité rend d'autant plus indispensable que le pays d'accueil donne son accord.

Christophe Caresche : L'Europe est certes un continent vieillissant mais tous les pays d'Europe ne sont pas touchés de la même manière par ce phénomène. En outre, il ne faut pas exagérer l'apport de l'immigration pour répondre au vieillissement de la population, à moins que celle-ci ne se situe à un niveau très élevé. L'Europe doit d'abord compter sur sa propre dynamique démographique pour faire face à son vieillissement. De même, l'immigration économique peut permettre de combler certaines pénuries de main d'œuvre, mais elle n'est pas une réponse en terme de croissance économique dans des pays qui pour la plupart connaissent des taux de chômage élevé. Ces pays doivent d'abord améliorer leur taux d'emploi par la formation, l'assouplissement du marché du travail... L'immigration choisie est un concept ambigüe car il oppose les « bons » et les « mauvais » immigrés et qu'il stigmatise l'immigration familiale. Nicolas Sarkozy s'était employé à le mettre en œuvre sans succès en décrétant que la France devait accueillir au moins 50% d'immigrés économiques, hypothèse qui s'est révélée totalement irréaliste. Cependant, l'Europe doit continuer, en fonction des spécificités nationales, à accueillir des étrangers sur son sol et à favoriser la circulation tant à l'intérieur de ses frontières qu'à l'extérieur.

Êtes-vous favorable à une entrée totale de la Roumanie dans l'espace Schengen ?

Patrick Juvin : Non, les conditions d'entrée de la Roumanie ne sont pas réunies et nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à le déclarer : les Pays-Bas, l'Italie et l'Espagne refusent également son entrée dans l'espace Schengen.

En entrant dans l'espace Schengen, la Roumanie établira de nouvelles frontières extérieures que nous ne sommes pas capables de contrôler efficacement à l'heure actuelle. L'entrée de la Roumanie ne fera qu'accentuer le dysfonctionnement de Schengen.

Christophe Caresche : Non, pas pour le moment. Il y a trop d'incertitudes sur sa capacité à contrôler ses frontières.

Quelles propositions pour améliorer le contrôle aux frontières ? 

Patrick Juvin : La première évidence est qu'aucune barrière ne nous garantira complètement contre l'immigration illégale. Les pays d'origine des migrants doivent nous aider à lutter contre l'immigration illégale en faisant les efforts nécessaires pour stabiliser leurs populations et lutter contre les filières. Nous y sommes parvenus avec le Sénégal, par exemple. Je propose que l'Europe hausse le ton et conditionne désormais ses aides généreuses à la collaboration contre l'immigration illégale. Ainsi la Tunisie, qui reçoit 400 millions d'euros au titre de l'aide au développement, ne joue pas le jeu.

L'Europe doit cesser de payer sans contrepartie.

La deuxième évidence est que l'Europe a besoin d'une politique migratoire commune. Aujourd'hui, c'est le grand bazar. Dès lors que les frontières de mes voisins sont mes frontières, les conditions d'accueil chez moi doivent être les conditions d'accueil chez eux et réciproquement. Or, aux questions fondamentales : qui peut entrer ? Que faire des illégaux ? Peut-on les régulariser ? Quels droits leur octroyer ? Chaque État a sa réponse.

Il faut harmoniser nos règles : par exemple, fixer des quotas d'immigration sur des critères identiques entre pays de l'Espace Schengen, interdire les régularisations automatiques des illégaux qui agissent comme des encouragements à l'immigration illégale, harmoniser les droits des illégaux entre nous, mettre en place des procédures rapides de retour dans le pays d'origine. Ne pas adopter de telles règles, c'est tuer Schengen.

La troisième évidence est que l'Europe a besoin d'un corps européen de gardes-frontières homogène, placé sous la responsabilité d'une seule autorité publique identique et responsable. Il se substituera aux corps nationaux : même uniforme, même doctrine d'emploi, mêmes moyens, une sorte de mélange du corps de garde-côtes et du FBI américain.

Aujourd'hui, les gardes-frontières nationaux remis sous l'autorité de Frontex sont insuffisants et soumis aux instructions parfois divergentes de leurs autorités nationales. Par ailleurs, les moyens de Frontex sont ridicules : le Président HOLLANDE a même avalisé la diminution du budget de 118 à 85 millions d'euros au Conseil européen. Et des députés de la majorité présidentielle ont voté contre la mise en place de l'outil Eurosur qui permet à Frontex de mieux surveiller nos frontières !

Quel double langage où on promet en France de lutter contre l'immigration illégale mais où on vote contre en Europe

Christophe Caresche : L'idée que l'on pourrait « étanchéifier » totalement les frontières de l'Europe est une idée fausse car les échanges que l'Europe entretient avec le monde ne le permettent pas. Il faut donc contrôler les frontières notamment par le renforcement de la surveillance, mais il faut aussi accepter une certaine immigration irrégulière qui doit être régulée par des reconduites à la frontière mais aussi des régularisations. S'agissant du contrôle aux frontières de l'Europe, il faut renforcer Frontex, mais aussi la coopération avec les pays d'origine. L'Espagne a su nouer des liens avec les pays d'émigration dont devraient s'inspirer l'Europe pour maîtriser l'immigration.

Retrouvez l'article paru dans Paris Match : Les lycéens interpellent les politiques