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L’Autriche adopte un « état d’urgence » migratoire

Publié le : 27/04/2016

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En Autriche, la nouvelle loi prévoit la possibilité de proclamer un « état d’urgence » migratoire, bloquant les migrants aux frontières.
KERSTIN JOENSSON / AP

 

Le mercredi 27 avril restera un jour noir pour les défenseurs des droits humains d’un pays, l’Autriche, qui fut longtemps synonyme de terre d’asile pour les dissidents soviétiques, les juifs de l’Est persécutés ou les élites persanes et arabes.

Tétanisés par la montée inexorable de l’extrême droite, arrivée largement en tête au premier tour de l’élection présidentielle du 24 avril, les députés de la majorité au pouvoir ont en effet adopté à une large majorité une loi inédite d’« état d’urgence » migratoire, qui risque d’inquiéter Bruxelles.

Sociaux-démocrates et chrétiens conservateurs, unis dans une coalition gouvernementale depuis 2008, ont choisi de suivre la politique du voisin hongrois Viktor Orban en introduisant des dispositions qui, sauf à Budapest, n’ont guère d’équivalent au sein de l’Union européenne (UE).

 

Plusieurs freins au droit d’asile

Désormais, les réfugiés syriens, afghans ou irakiens auront un permis de séjour limité dans le temps. Au bout de trois ans, la situation dans leur pays d’origine sera examinée. Si la guerre y est finie, ils devront rentrer chez eux. Ils auront également plus de difficultés à faire valoir leurs droits à une vie maritale. Un frein drastique est mis aux conditions du regroupement familial. Cette mesure vise spécifiquement à décourager les jeunes hommes afghans, qui ont été les plus nombreux parmi les 90 000 requérants à l’asile en Autriche (8,5 millions d’habitants) pour l’année 2015.

Anticipant une possible arrivée massive, cet été, de réfugiés en provenance d’Italie, Vienne veut pouvoir mettre en place un régime d’exception, valable deux ans, afin de refouler les migrants à ses frontières, si son administration se juge dépassée.

Les réfugiés, même de nationalité syrienne ou irakienne, devront alors prouver qu’ils sont persécutés dans le pays par lequel ils sont arrivés en Autriche. C’est cette dernière disposition qui choque le plus, car elle est très clairement destinée à faire pression sur l’Italie, accusée par Vienne de ne pas contrôler efficacement ses frontières extérieures et, surtout, de laisser beaucoup de migrants continuer leur route vers le Nord, sans les enregistrer.


Contrôle aux frontières

L’Autriche s’estime poussée à agir face à ce qu’elle considère comme l’incurie de l’UE, elle qui se trouve à la jonction finale des deux routes migratoires, celle de l’Italie et celle des Balkans. Les 18 000 demandes d’asile déposées depuis le 1er janvier exaspèrent le gouvernement, qui a dépensé des millions d’euros pour lutter contre les réseaux de passeurs, pesé de tout son poids pour dévier les flux migratoires, et qui subit par ricochet sans broncher depuis six mois la politique du « zéro réfugié » ouvertement xénophobe de ses voisins d’Europe centrale.

L’Autriche a plafonné à 37 500 le nombre de réfugiés qu’elle entend accueillir en 2016, arguant du fait qu’il s’agit d’un chiffre généreux, encore supérieur à la moyenne des efforts consentis par les autres pays européens.

La police a également détaillé, mardi, les mesures adoptées pour instaurer des contrôles au col du Brenner, point de passage névralgique des échanges ferroviaires et routiers entre le nord et le sud du continent. Une barrière de 370 mètres y sera installée. Le trafic routier sera entravé. Les trains s’arrêteront à la frontière, afin de permettre aux forces de l’ordre de réclamer des pièces d’identité.

Le Tyrol, dont les autorités réclament une coopération transalpine plus poussée, n’a pas encore avancé de date précise pour le début de ces blocages au cœur de l’espace Schengen. Mais, afin de convaincre de sa détermination, Vienne a annoncé une rallonge de 1,3 milliard d’euros pour l’armée et de 1,1 milliard pour le ministère de l’intérieur. Ce jusqu’au-boutisme fait craindre aux défenseurs des droits humains un effet boule de neige dans tout le continent.


Critiques de l’Eglise catholique

Alors que l’extrême droite a des chances de remporter le second tour de l’élection présidentielle le 22 mai, il n’est pas certain que ces nouvelles mesures, prévues et discutées depuis longtemps, mettent un terme aux divisions des Autrichiens. Le Parlement s’est déchiré, mercredi, lors des débats sur leur adoption. L’extrême droite du parti FPÖ a voté contre, ce texte « placebo » n’allant, selon elle, pas assez loin. Les Verts et les libéraux (NEOS, Das Neue Osterreich) lui ont emboîté le pas, pour la raison inverse.

Les écologistes s’émeuvent d’une politique qui « met fin de facto au droit d’asile », alors que l’Autriche ne cesse parallèlement de réduire son aide au développement dans les pays d’origine des migrants. Des sociaux-démocrates dissidents accusent le chancelier de gauche, Werner Faymann, de vouloir « doubler le FPÖ sur sa droite » et parlent d’une « Orbanisation » galopante de l’Autriche.

L’Institut Ludwig-Boltzmann pour les droits humains prévient aussi que les plaintes auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pourraient se multiplier. Il doute de la conformité de cette loi avec la Constitution autrichienne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – l’agence censée garantir sa bonne application étant par ailleurs à Vienne…

Mais les critiques les plus virulentes ont émané d’associations de défense des migrants, très actives en Autriche, et surtout de l’Eglise catholique. Alors que Vienne abrite aussi un siège de l’ONU et que le commissariat aux réfugiés s’est déclaré « inquiet » d’une telle atteinte au droit international, le cardinal Christoph Schönborn, influent au Vatican, a estimé que la situation dans son riche pays ne nécessitait – « Dieu soit loué » – nullement de telles « mesures d’urgence ».

Le 27/04/2016, par Blaise Gauquelin, Le Monde