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Les mineurs isolés de Calais démunis après le refus du Royaume-Uni

Publié le : 22/12/2016

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Depuis l'annonce de la clôture des admissions en Grande Bretagne, le plus grand flou demeure sur l’avenir des mineurs. Entre incertitude et découragement, les responsables associatifs alertent sur le risque de les voir s'éparpiller dans la nature pour tenter de passer clandestinement.

 

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Mineurs de Calais, à Cerdon (Loiret) le 02 novembre 2016.
Photo: Pascal Proust/PhotoPQR/République du centre
 

La confusion et un certain abattement règnent dans les CAOMI – centres d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés – où environ 2 000 jeunes sont hébergés depuis leur évacuation de Calais, fin octobre. Le 9 décembre, le Royaume-Uni – qui a accepté d’accueillir près de 800 de ces jeunes gens – a annoncé que les admissions étaient closes. Ces derniers jours, les services des préfectures se sont donc rendus dans les CAOMI pour communiquer aux mineurs qui y restent le refus des autorités britanniques. En Loire-Atlantique, aux centres de Batz-sur-Mer et Préfailles, « la sous-préfète est venue avec une psychologue traductrice, raconte Thomas Bayol, coordonateur pédagogique de la Ligue de l’enseignement, qui gère l’hébergement et l’animation socioculturelle des centres. Elle a dit qu’elle avait de mauvaises nouvelles, qu’ils étaient refusés par les Britanniques. Aucun motif n’a été précisé, aucun document remis. » La plupart des refus ne sont pas motivés, et les modalités du recours possible restent encore inconnues.

Dans cette période de vacances scolaires, les effectifs sont réduits, les interlocuteurs peu nombreux. « On manque surtout d’information de la part des Britanniques, on a du mal à comprendre leurs décisions et donc à les expliquer », déplore Raphaël Ficagna, directeur du CAOMI de Champtercier (Alpes de Haute-Provence). « La préfecture n’a reçu qu’un tableau excel avec les noms et des motifs succints de refus comme : minorité non reconnue, famille impossible à joindre, ou “simple cousin” en Angleterre. Un recours est possible, mais personne ne sait comment le former, auprès de qui, avec quels moyens... » Le lendemain de l’annonce du refus, vendredi 16 décembre (collectivement, avec un traducteur au téléphone sur haut-parleur), deux des vingt-et-un jeunes du centre ont fugué. Depuis, certains font part de leur souhait de rester en France et d’y demander l’asile, même s’ils sont mineurs, avec l’aide d’un représentant légal qui doit être nommé par la préfecture.


Tout les pousse à partir, puisque rien n’est clair” Orsi Hardi, bénévole


A Taizé, en Bourgogne, les quatorze Soudanais et Erythréens ont reçu, samedi 17 décembre, la visite du secrétaire général de la préfecture. Chacun a eu un entretien, avec une traduction par téléphone, très approximative (l’interprète, Algérienne, utilisait de nombreux mots français, que les jeunes ne comprennent pas). « Certains sont ensuite venus nous dire qu’ils ne nous croyaient pas, que leur famille au Royaume-uni n’avait reçu aucune notification de refus, que ce n’était pas possible », raconte Orsi Hardi, bénévole. Là encore, aucun document officiel n’a été remis aux jeunes, qui ont seulement pu consulter une feuille A4, imprimée par la préfecture, sans tampon officiel ni en-tête. Ils n’ont pas pu la garder, et la bénévole n’a même pas eu le droit de la photographier. Certains refus étaient motivés, d’autres non. On leur a dit qu’ils pourraient former un recours contre cette décision, mais ils ne savent pas comment, et deux d’entre eux n’ont pas droit à ce recours. Personne ne sait pourquoi. « Tout le monde tâtonne, résume Orsi Hardi. Plusieurs jeunes sont partis à Paris, en laissant leurs affaires ici. Ils vont revenir, mais ils prennent des contacts, se renseignent. Ils passent beaucoup de temps au téléphone, et consultent des cartes et des applications d’itinéraires. Certains se préparent clairement à reprendre la route. Tout les pousse à partir, puisque rien n’est clair. »

Pour les bénévoles et les associations qui les ont accueillis en urgence il y a un mois et demi, la grande inquiétude est que ces jeunes s’évanouissent de nouveau dans la nature, pour tenter un passage clandestin. « S’ils se retrouvent dans un mois à Calais ou à Paris pour contacter de nouveau les passeurs, on aura juste gagné trois mois de repas chauds et de sécurité. Et tout repartira à zéro », déplore un intervenant de Bretagne. A Champtercier, Raphaël Ficagna confirme : « Ma grande crainte, c’est que ces jeunes fuguent, ou soient de nouveau trimballés, envoyés par l’ASE (aide sociale à l’enfance) dans des foyers un peu partout en France. Ils ont déjà parcouru des milliers de kilomètres, puis traversé la France pour arriver ici depuis Calais. On risque d’achever de les déstructurer, et de détruire le peu de confiance qui leur reste. »


Il faut absolument continuer la pression sur les Britanniques, qui n’ont pas rempli leur part du contrat” Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile


Les missions des CAOMI arrivent en principe à échéance entre fin janvier et fin février. Et ensuite ? Théoriquement, les jeunes dont la minorité est reconnue seront pris en charge par l’ASE, dont les services – qui dépendent des départements – ont commencé des entretiens dans certains centres. Mais les situations sont très disparates selon les départements, dont certains sont en grande difficulté financière. « Ils seront réticents, on le sait, prévient Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, association qui gère un CAOMI dans les Hautes-Alpes. Il faut s’attendre à ce qu’au moins la moitié des jeunes concernés ne soient pas reconnus mineurs, et donc pas admis par l’ASE. »

Ceux qui se déclarent ou sont reconnus majeurs peuvent déposer une demande d’asile en France, et ainsi entrer dans le dispositif d’hébergement des CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile). « Le plus grand défi sera de les convaincre de rester en France, poursuit Pierre Henry. En très grande majorité, ils ne sont pas du tout prêts à renoncer à l’Angleterre. Nous leur devons une information franche et claire. Et il faut absolument continuer la pression sur les Britanniques, qui n’ont pas rempli leur part du contrat de départ. La route légale ne peut pas être fermée définitivement, d’autant qu’outre les 1 200 jeunes qui sont encore là après leur évacuation de Calais, d’autres continuent d’arriver tous les jours. En Italie, des sources nous parlent de 20 000 jeunes sur place, que le pays ne peut pas gérer. »


Juliette Bénabent, Télérama, le 22 décembre 2016