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Parole à Tchérina Jerolon, responsable du programme Conflits, Migrations, Justice chez Amnesty International

Publié le : 27/11/2023

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Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

Amnesty International a lancé une campagne pour la protection des femmes afghanes en lien avec un rapport publié en mai dernier qualifiant les actions des talibans envers les femmes de crime contre l’humanité. La campagne d’Amnesty s’inscrit dans le prolongement de celle initiée par France terre d’asile et un collectif de journalistes qui demande l’accueil en France de femmes afghanes en danger. Tchérina Jerolon nous éclaire sur la position d’Amnesty International sur la persécution des femmes afghanes.

Dans un rapport sorti en mai 2023, Amnesty International qualifie les actions du régime taliban contre les femmes de « potentiels crimes contre l’humanité ». En quoi la persécution du régime taliban remplit les conditions juridiques définissant le crime contre l’humanité ?

Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, dont l’Afghanistan est un État partie, liste, dans son article 7, plusieurs crimes pouvant relever du crime contre l’humanité, parmi lesquels la persécution (L’article 7 définit la persécution comme un « déni intentionnel et grave de droits fondamentaux […] envers tout groupe ou toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste […] pour des motifs liés à l’identité du groupe […] »). Ces crimes relèvent du crime contre l’humanité dès lors qu’ils sont  commis dans le cadre d’une « attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ». Depuis août 2021, les talibans ont pris un grand nombre de mesures attentatoires aux droits fondamentaux des Afghanes : exclusion de la sphère publique et de l’éducation ou encore restriction des déplacements. Ce système oppressif, mis en place dans le but d’effacer complètement les femmes et les filles de l’espace public, constitue bel et bien un déni intentionnel et grave de leurs droits fondamentaux. De plus, ces violations découlent de politiques qui les désignent clairement comme un groupe visé : elles sont commises à leur encontre en raison de leur genre, c’est-à-dire pour ce qu’elles sont. Les femmes et les filles qui ont tenté de résister face à cette oppression ont fait l’objet d’une répression féroce : mauvais traitements, arrestations, détentions arbitraires dans des conditions inhumaines, isolements et actes de torture. Les restrictions imposées aux Afghanes par les talibans constituent des graves violations des droits humains qui, associées aux actes d’emprisonnement, de torture et/ou de disparition forcée, pourraient donc constituer un crime contre l’humanité de persécution sexiste.

A qui Amnesty International demande une telle reconnaissance ? Quelles avancées depuis cinq mois en la matière ?

La Cour pénale internationale (CPI), compétente pour juger les crimes contre l’humanité, a déjà exprimé son intention de poursuivre le crime de persécution liée au genre, notamment dans le document de politique générale relatif au crime de persécution liée au genre. Malgré cette reconnaissance, il reste encore que son application soit traduite par une décision de la Cour qui, selon le Procureur de la CPI, Karim Khan, s’est déjà engagé sur cette voie dans l’affaire Le Procureur c. Al Hassan (Mali). Nous demandons également aux autres États d’exercer leur compétence universelle (Principe selon lequel une juridiction nationale est compétent pour la poursuite et le jugement d’une infraction, lorsque celle-ci n’a pas été commise sur son territoire, qu’elle a été commis par une personne étrangère, à l’encontre d’une victime étrangère, et sans que cet Etat soit la victime de l’infraction) pour traduire en justice les membres des talibans soupçonnés d’être responsables de crimes relevant du droit international. Depuis mai, plusieurs rapports ont été publiés par d’autres organisations ou par les Nations unies ; des initiatives de femmes Afghanes défenseures, journalistes, artistes ; de films et documentaires ont été menés pour informer sur la situation. En octobre dernier, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a décidé de proroger le mandat du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan et « l’a prié d’établir un rapport sur le phénomène du système institutionnalisé de discrimination, de ségrégation, de non-respect de la dignité humaine et d’exclusion des femmes et des filles ».

Quelle est la situation actuelle et quels dangers encourent les femmes afghanes en exil au Pakistan ou en Iran ? Quels sont les objectifs de la campagne « Des visas pour la liberté des femmes afghanes persécutées » lancée en septembre 2023 ?

Pour les rares femmes afghanes qui réussissent à fuir dans les pays limitrophes comme l’Iran et le Pakistan, les difficultés et les persécutions continuent : exposées au harcèlement (AIF, 2023, « Pakistan. Le gouvernement doit cesser de harceler et d’arrêter arbitrairement les Afghan·e·s en quête de refuge » : https://www.amnesty.fr/presse/pakistan.-le-gouvernement-doit-cesser-de-harceler-et. AIF, 2023, « Pakistan. Le gouvernement ne doit pas expulser les réfugié·e·s afghans » : https://www.amnesty.fr/presse/pakistan.-le-gouvernement-ne-doit-pas-expulser-les) et à l’exploitation, difficulté d’accès aux soins et à l’éducation. L’expiration de leur visa les place en situation de vulnérabilité sur le plan juridique, notamment depuis que le 3 octobre 2023, le Pakistan a ordonné à tous les « immigrants illégaux » de quitter le pays avant novembre 2023. Les visas se font de plus en plus rares, ils sont délivrés au compte-goutte et obtenir un rendez-vous dans les consulats français au Pakistan ou en Iran prend plusieurs mois, parfois jusqu'à un an. L’objectif principal de la campagne lancée en septembre est d’obtenir des autorités françaises qu’elles prennent les mesures nécessaires pour mettre en place des voies légales et sûres permettant aux Afghanes qui le souhaitent de rejoindre la France. Parmi les actions, nous avons notamment lancé une pétition. En à peine quelques semaines, nous avons récolté plus de 60 000 signatures de la pétition, ce qui montre qu’il y a un véritable mouvement de soutien aux femmes et des filles afghanes qui se battent pour leur liberté. Nous avons également participé aux mobilisations du 25 novembre contre les violences fondées sur le genre, et nous organiserons des projections-débats autour du documentaire « Afghanes » de Solène Chalvon-Fioriti. Nous porterons bien sûr nos demandes auprès de l’exécutif ou encore des parlementaires.

Le 3 octobre 2023, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a reconnu (Cour nationale du droit d’asile (CNDA), 3 octobre 2023, n°22037537) l’existence d’un groupe social de femmes afghanes, ouvrant le droit au statut de réfugié. Quid de la position d’Amnesty International sur la protection des femmes afghanes ?

Dans notre rapport conjoint de mai 2023 avec ICJ, nous présentons une analyse juridique des raisons pour lesquelles les femmes et les filles fuyant les persécutions en Afghanistan devraient automatiquement être considérées comme des réfugiées ayant besoin d’une protection internationale, au nom de la Convention de Genève de 1951, compte tenu du caractère systématique et organisé des violences qu’elles subissent.

La ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Catherine Colonna déclarait en 2019 mettre en place une diplomatie féministe en mobilisant le réseau diplomatique. De quels outils dispose le gouvernement pour agir dans le futur ?

La France pourrait par exemple réduire les délais d’examen des demandes de visa (un renforcement des ressources humaines est nécessaire), permettre le dépôt du dossier en ligne en limitant les rendez-vous physiques pour éviter aux personnes d’être en situation irrégulière en Iran ou au Pakistan, faciliter la délivrance de laissez-passer en cas d’absence de passeport et enfin, annoncer publiquement la reconnaissance automatique du statut de réfugiée aux femmes et filles afghanes sur la base de la persécution liée au genre.