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La parole à Sylvie Guillaume, députée européenne

Publié le : 18/07/2014

La parole à Sylvie Guillaume sur les orientations stratégiques de l'Union européenne en matière d’asile et d’immigration

 

 "Nous devons trouver les moyens pour que le cercle entre solidarité, responsabilité et confiance mutuelle redevienne vertueux"

 

France terre d’asile a choisi de proposer aux eurodéputés de commenter les textes et décisions adoptées par l’Union européenne en matière d’asile et d’immigration. Sylvie Guillaume, députée européenne et Vice-présidente du Parlement européen, s’exprime ici sur l’adoption des orientations stratégiques dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Elle revient sur certaines dispositions du texte et l’impact que ces orientations auront sur les politiques migratoires et d’asile en Europe.

Sylvie 

 Militante et responsable locale et nationale du Parti socialiste depuis 20 ans, issue du secteur de l’économie sociale et solidaire, Sylvie Guillaume a été élue députée européenne une première fois en 2009, puis à nouveau en 2014, sur la liste socialiste pour le grand Sud-est. En juillet 2014, elle a été élue Vice-présidente du Parlement européen. Elle est également, depuis 2009, membre titulaire de la commission parlementaire pour les libertés civiles, la justice et les affaires intérieures. Elle a été, entre autres, la rapporteur de la directive sur les procédures d’octroi du statut de réfugié et sur le Fonds Asile, Migration et Intégration.


1.    Selon les orientations stratégiques adoptées lors du dernier Conseil européen, « il est nécessaire de mettre en place une approche globale, qui utilise au mieux les avantages de la migration légale et offre une protection à ceux qui en ont besoin, tout en luttant résolument contre la migration irrégulière et en gérant les frontières extérieures de l'UE avec efficacité. »
Selon vous, les orientations stratégiques développées par le Conseil en matière d’affaires intérieures sont-elles à la hauteur de ces objectifs ?

Quelques pages seulement ont été nécessaires au Conseil européen pour définir les orientations stratégiques pour la planification législative et opérationnelle des prochaines années au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. La tâche étant colossale, force est de reconnaître que le programme fixé a davantage des airs de lendemain de Noël : quelques branches au sapin, mais la décoration est encore, disons-le, minimaliste.

Dans la perspective annoncée d'une « approche globale », on peut bien évidemment reconnaître les grands axes de cette stratégie. Il faut tout d'abord saluer cette volonté d'appréhender les questions migratoires de manière transversale et holistique et de renforcer ainsi les synergies entre les politiques intérieure et extérieure de l'UE. Jusqu'à présent, les politiques migratoires de l'UE ont souffert en effet d'une vision trop souvent morcelée et à tiroirs.

Formulées de manière générale, certaines orientations ne semblent toutefois pas à la hauteur des enjeux actuels. La politique d'immigration légale ne peut pas se cantonner aux seuls travailleurs qualifiés. La coopération avec les pays tiers ne peut pas être envisagée dans le seul cadre de la lutte contre l'immigration irrégulière. Au-delà des affirmations sur le principe de solidarité, rien n'est envisagé concrètement pour donner corps à ces incantations théoriques.

Mais soyons optimistes, considérons cette stratégie très – trop ? – générale comme la première ébauche esquissée d'une politique migratoire ambitieuse ! C'est en tout cas, l'impulsion et la réorientation que je compte bel et bien défendre au sein du Parlement européen.  


2.    Ces orientations stratégiques restent très vagues et sont d’une application très incertaine pour les États. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose en matière de garantie des droits des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés ?

Les orientations stratégiques proposées sont en effet très générales et ne proposent pas – ou très peu – de mesures concrètes. À la lecture, on a l'impression que l'heure n'est malheureusement toujours pas à l'élaboration de nouvelles recettes pour répondre à des défis qui, eux, ne sont pas nouveaux.

Pourtant, si on décide de voir le verre à moitié plein, on peut également considérer qu'il existe une marge de manœuvre pour influencer et transformer l'essai à partir de ces considérations, il est vrai, très générales. De ces grandes lignes directrices, quelles seront les interprétations que les 28 États membres souhaiteront privilégier ? Face à cette feuille de route, quel sera le degré d'imagination de la Commission pour proposer des solutions innovantes et mettre à profit son droit d'initiative ? À peine doté d'un nouveau visage, quelles seront enfin l'impulsion et la réorientation que le Parlement européen pourra insuffler ?

En bref, si l'on peut regretter le manque d'ambition et de vision de ces lignes stratégiques définies à ce stade de manière trop imprécise, on peut également y lire une opportunité pour donner de la voix et des idées à une autre politique migratoire vraiment cohérente, vraiment protectrice, vraiment solidaire et vraiment prospective.

3.    Les orientations stratégiques envisagent la possibilité de créer un corps de gardes-frontières européen. Pensez-vous qu’un tel corps pourra voir le jour dans les cinq prochaines années ?

Le débat autour d'un corps de gardes-frontières européen n'a rien de nouveau ; l'idée avait notamment été longuement évoquée dans le cadre de la révision du mandat de Frontex il y a quelques années. Un corps européen de gardes-frontières fait partie des composantes envisagées pour une gestion des frontières extérieures de l'UE qui se veut de plus en plus intégrée. Mais si les États s'accordent généralement pour renforcer la surveillance aux frontières extérieures de l'Union, les modalités exécutives souhaitées par les uns et les autres ne sont pas forcément similaires.

Aux manettes de la Présidence du Conseil pour les six prochains mois, l'Italie réclame de son côté davantage de solidarité européenne ; elle souhaiterait notamment voir son opération "Mare Nostrum" progressivement remplacée par Frontex en Méditerranée. En amont du Conseil européen, d'autres États, comme la France, ont également plaidé pour la création d'un corps européen de gardes-frontières.

Si l'idée n'est ni inédite, ni forcément mauvaise, il faudra examiner quels sont les missions et les contours donnés à ces gardes-frontières supranationaux. Signes d'une confiance réciproque renforcée entre les États, ils devront également être les vecteurs d'une formation et d'une culture commune et d'une application effective des droits fondamentaux, notamment s'agissant du principe de non refoulement et de l'accès aux procédures. La question n'est donc pas tant si oui ou non les gardes-frontières sous bannière européenne pourront voir le jour, mais davantage quelles seront les bases de cette super-coopération et quel sera son impact en termes de protection des droits des migrants et de solidarité à la fois interne et externe à l'Union.

4.    La première version de ces orientations stratégiques contenait la référence à la reconnaissance mutuelle entre États des décisions en matière d’asile, déjà mentionnée dans la communication de la Commission européenne sur l’avenir des affaires intérieures en mars 2014. Celle-ci ne figure plus dans la version finale des orientations stratégiques. Cela veut-il dire qu’un tel objectif est inatteignable ?

Que cela s'explique par un pragmatisme aigu ou par une ambition défaillante, l'absence de référence à la reconnaissance mutuelle des décisions d'asile n'est pas signe d'une vision ambitieuse et à long terme du Régime d'asile européen commun. La transposition du nouveau Paquet asile est en cours dans les États membres, il aurait par conséquent été opportun d'envisager logiquement la prochaine étape. Certains États, comme l'Italie et Malte, ne cessent d'appeler à davantage de solidarité, il aurait été également opportun de donner corps au principe énoncé.

Dans les circonstances actuelles, à la fois parce que le Régime d'asile européen commun n'a encore de commun que le nom et parce que la mise en œuvre effective de la solidarité reste encore trop souvent un vœu pieux, la reconnaissance mutuelle des décisions d'asile peut en effet paraître hors de portée.

Mais à lire entre les lignes des conclusions, le Conseil européen n'a pas totalement fermé la porte : si chaque État s'acquitte de ses responsabilités et naît alors un climat de "confiance mutuelle", alors les "prochaines étapes" pourront été franchies. Doit-on y lire une sorte de contrat entre les États fervents défenseurs de la solidarité et ceux qui freinent des quatre fers ? Si l'analyse aujourd'hui ne peut se priver d'être critique, nous devons trouver les moyens pour que le cercle entre solidarité, responsabilité et confiance mutuelle redevienne vertueux pour la cohérence du système dans son ensemble et la protection des migrants.