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Les mineurs isolés afghans à Paris

Publié le : 24/03/2010

Le canal Saint-Martin, "terre d'asile" des mineurs afghans


Lisa Vitturi, assistante sociale de France Terre d'Asile, longe tous les soirs les rives du canal Saint-Martin, dans le Xe arrondissement de Paris, et tente d'offrir un toit aux mineurs sans papiers.


Dans la petite chambre de l'hôtel d'accueil de France Terre d’Asile, il y a un lit de camp dans chaque coin, un téléviseur accroché au mur, et un lecteur dvd posé sur une étagère. Ahmad*, Bernamuddin, Zamir, Mohammad et Abibula se sont retrouvés ce jeudi 11 mars au soir, entre Pachtounes, pour regarder une comédie indienne. Ces jeunes afghans, âgés de 16 à 17 ans, parlent déjà franglais, en plus du pachtoune, du dari, de l'hindi, du farsi, et de l'ourdou. Les histoires invraisemblables d'enfants qui ont traversé l'Iran, la Turquie, la Grèce, l'Italie et la France, cachés dans des containers, ou des moteurs de voiture, ce sont les leurs. Ils les minimisent et ne parlent pas de leur famille, pour éviter les cauchemars. Ils viennent de Calais ou d'Italie.


Quand ils arrivent à Paris l'année dernière, ils ne savent où aller. Un inconnu un peu moins pressé que les autres, un commerçant, ou une vieille dame compatissante, qui avaient entendu parler du square Villemin, leur ont indiqué le Xème arrondissement. Avant d'être épaulés par France Terre d'Asile, ils vivaient le long du canal Saint-Martin. Zamir y a passé deux nuits. Mohammad un mois.

 

"C'est un cauchemar"


En face du métro Jaurès, le long du canal, il fait déjà sombre quand Lisa Vitturi arrive. La soixantaine pimpante, elle porte autour du coup une écharpe verte délicatement nouée et un sac rouge rempli de médicaments. A 19 heures, elle commence la maraude des mineurs. "Les SDF français sont prioritaires", avoue-t-elle un brin gênée avec son accent italien. En haut des berges, une centaine de sans logis attendent en silence la soupe populaire entre les barrières. "Salam", lance-t-elle, complice, aux Afghans qui attendent leur tour dans le froid, les bras serrés autour du corps. Ceux qu'elle connaît l'accueillent respectueusement. Les autres, tout aussi avenants, se présentent et échangent quelques mots. Un habitué lui confie qu'il n'a pas vu de nouveaux mineurs. "Quel âge as-tu", demande-t-elle à une nouvelle tête. "16 ans", répond Sayed. Elle lui donne rendez-vous à une centaine de mètres, place du Colonel Fabien, à 19h30. "Sans rien lui promettre", parce qu'elle ne sait pas encore si elle pourra offrir un lit à tout le monde.

Trente-deux adolescents sont au rendez-vous ce soir-là. Lisa Vitturi, aidée par une interprète, leur demande de s'aligner le long des vitrines du magasin de surgelés. Les habitués s'exécutent sans broncher et expliquent la procédure aux autres. Elles les passent en revue. Il n'y a que vingt-cinq places dans le centre de l'Armée du Salut, Un choix s'impose. Mais "il n'y a pas vraiment de critères, admet l'interprète gênée, "on prend ceux qui semblent les plus jeunes. C'est un cauchemar". Lisa Vitturi accompagne les heureux élus. Les autres se dépêchent de rejoindre le bus Atlas. Mis à la disposition par la RATP, ce car les emmènera au centre d'accueil de la Boulangerie, près de la Porte de Clignancourt. S'ils le ratent, ils passeront la nuit dehors.

 

"Tu veux demander l'asile ?"


Lisa Vitturi a dirigé le service des mineurs de France Terre d'asile pendant plusieurs années. Après avoir déposé les adolescents au centre d'hébergement, sa soirée n'est pas terminée. A 20h30, elle entreprend un tour des deux campements. Le premier est situé sous la rue Louis Blanc. Entre le pied du pont et le bord de l'eau, dans le passage, à peine un mètre et demi de large. Ici, une dizaine de tentes se chevauchent en enfilade. Le second est plus à l'écart, derrière des grilles, tout au bout du canal. Cette fois, c'est Fayçal qui est son interprète. Le jeune homme de 22 ans, né en France de parents Afghans, assure aussi sa sécurité, bien qu'elle ne semble pas en avoir besoin. Elle a le contact facile, une longue expérience du travail de terrain, et une ténacité qui n'entame pas sa sensibilité. Elle recherche d'éventuels mineurs qu'elle aurait manqués pendant la soupe populaire.

Sous le pont, elle enjambe les tentes où des hommes dorment déjà. Elle ne voit pas leur visage, mais elle sait qu'ils sont là. Un petit "pardon" ou un "bonsoir" à chaque pas, jusqu'à déboucher sur un groupe de trois jeunes, qui discutent autour d'un feu et tentent de se réchauffer. L'un d'eux casse les lattes d'un cageot pour alimenter les flammes. "Tu as mangé ? ", interroge Fayçal. Signe négatif de la tête. Lisa Vitturi lui demande s'il veut rester en France, tout en donnant des gouttes et une pastille pour sa gorge à ses compagnons. "England or Norway", répond-il, la tête dans la fumée, les cheveux clairs ébouriffés. Le visage baissé, il nous raconte qu'il est déjà allé à Calais. Il a dormi dans une étable, et il a eu très froid, alors il est retourné à Paris, en train. Il pense qu'un journaliste ne changera rien à leur situation, que "tout le monde s'en fiche". Elle insiste : "Tu veux demander l'asile ?" Après réflexion, il finit par acquiescer. Lisa Vitturi lui tend un plan avec l'adresse du bureau où il doit se rendre pour présenter sa demande. "Do you have prints ?", demande l'assistante sociale. La convention Dublin prévoit que lorsqu'un réfugié arrive en Grèce, par exemple, s'il se fait arrêter, la police relève ses empreintes digitales. S'il est pris dans un autre pays, il devra être renvoyé en Grèce, considéré comme pays d'entrée sur le territoire européen. Par chance, aucune empreinte du jeune homme n'a été relevée. En revanche, elle ne peut pas l'héberger. Il a 19 ans, et elle ne s'occupe que des mineurs. Avant de quitter le groupe, elle rappelle aux trois jeunes hommes qu'il faut s'inscrire sur la liste pour avoir une place dans le bus Atlas.

 

"Six mois en centre de rétention"


Elle rejoint l'autre campement, en passant devant la caserne de pompiers et un restaurant, le Point éphémère. Un autre groupe. Ils sont une vingtaine. Pachtounes pour la plupart, autour d'un feu, plus grand que l'autre. A ceux qui viennent lui parler, elle demande s'ils ont réclamé l'asile. Certains l'ont fait il y a six mois. Ils attendent toujours des nouvelles de leur dossier. Pendant ce temps-là, derrière eux le ton monte. Deux hommes se battent. Ils sont un peu éméchés mais finissent par se réconcilier. "Il est l'heure d'y aller", lance Fayçal, le temps de distribuer un autre plan à un jeune homme de 15 ans. Que celui-ci refuse : "Je suis arrivé des Pays-Bas cette après-midi, j'y ai passé six mois en centre de rétention", justifie-t-il, "mais je pars en Norvège demain". "C'est le pays à la mode", ajoute Fayçal.

C'est dans ces conditions que Lisa Vitturi a trouvé Ahmad, Bernamuddin, Zamir, Mohammad et Abibula. Ils n'avaient pas tous prévu de rester en France. Aujourd'hui, ils dorment au chaud et vont au lycée, dans une classe spéciale, français langue étrangère. "Je ne rêve pas de devenir médecin, juste de parler le français afin de trouver un travail comme peintre", explique Abibula dans la chambre de France Terre d'Asile. "Pour faciliter leur intégration, on leur demande de s'orienter vers des secteurs dits "en tension" (où il y a des opportunités d'emplois, comme dans le bâtiment)", raconte Lisa Vitturi. " Mais c'est difficile, nous ne mangeons pas tous les jours à notre faim", reprend Abibula. "J’aimerais juste avoir de la lessive, conclut-il en soulevant sa manche de sweat shirt. Au bout d'un mois, mes bras commencent à me gratter". L'association leur distribue deux coupons alimentaires de cinq euros par jour. Mais pour les à côté, les jeunes Afghans les échangent contre du liquide. Trois euros pour un coupon de cinq. "Cela me rassure de les voir se plaindre", confie Lisa Vitturi, "après ce qu'ils ont vécu, ça montre qu'ils commencent à avoir une vie un peu plus normale".

*Les prénoms des sans-papiers ont été modifiés pour préserver leur anonymat.

 

Par Donald HEBERT

Nouvel Obs, le 23/03/2010 

 


 

Où vont aller les Afghans de l'hôpital Saint-Lazare ?


Le service d'accueil mis à la disposition des sans-papiers afghans par la Ville de Paris doit fermer le 31 mars, signant le retour à la rue de ces exilés.


L'ancien hôpital Saint-Lazare, mis à la disposition par la Ville de Paris pour héberger les Afghans en errance dans le 10ème arrondissement, doit fermer ses portes le 31 mars. Après cette date, la centaine de réfugiés qui y ont trouvé refuge retourneront vraisemblablement dans la rue, faute d'une autre solution, s'ajoutant ainsi à la centaine qui dort déjà dehors le long du canal Saint-Martin.


Depuis la fermeture du centre de Sangatte en 2003 et celle de la « jungle » de Calais en novembre dernier, les réfugiés afghans affluent à Paris. Trente à quarante migrants arrivent et partent chaque semaine. Pierre Henry, président de l'association France Terre d'Asile dénonce "le manque d'organisation" des dispositifs d'urgence mis en place par le ministère de l'Immigration. Les moyens font défaut : 71 millions d’euros ont été dépensés en France en 2009 et seuls 31 millions ont été inscrits au budget en 2010. Pierre Henry pointe également les défaillances du système de prise en charge des réfugiés sous convocation Dublin. Appliquant un arrêt du Conseil d'Etat, les tribunaux obligent l'Etat à proposer un logement à ces demandeurs d'asile sous peine d'une amende de cent euros par jour. Au lieu de prendre les devants, les autorités françaises attendent systématiquement d'y être contraintes par la justice, "une judiciarisation absurde", selon Pierre Henry, qui ne fait que prolonger la situation précaire des demandeurs d'asile.

 

Le kiosque


Même si elle ne peut prendre en charge seule une question qui relève de la compétence de l’Etat, la Ville de Paris met en place plusieurs dispositifs d’aide et de soutien, en collaboration avec les associations. "C'est une des seules municipalités qui agit", explique Pierre Henry. Depuis novembre 2008, un kiosque d'accueil et d'orientation, géré par Emmaüs et France Terre d’Asile, entièrement financé par la Ville, accueille ces migrants. "La plupart des migrants qui arrivent ici sont d'origine afghane et viennent à plusieurs", explique sur le site de France Terre d'Asile Marc Ryschenkow, responsable du kiosque. Permettant d'assurer une prise en charge de "première ligne", son rôle est d'informer et d’orienter les exilés, qui peuvent y trouver un soutien sanitaire et social.


Un centre d’hébergement pour mineurs étrangers isolés a été ouvert boulevard de Strasbourg, dans le 10ème arrondissement, depuis le 6 janvier 2010, d’une capacité d’accueil de 25 places, géré par France Terre d’Asile. Un gymnase municipal rue du Château-Landon, toujours dans le 10ème arrondissement, a été mis à la disposition d’Emmaüs depuis le 17 décembre dernier afin d’abriter chaque nuit 35 exilés. Enfin, la Ville de Paris propose des actions de soutien éducatif et d’accompagnement aux mineurs dans un centre d’hébergement provisoire rue Bertillon, dans le 15ème arrondissement, géré par l’association Aurore, et qui accueille depuis quelques semaines 95 hommes adultes et 30 mineurs étrangers, en partie des exilés d’Afghanistan.

 

Les trois bus Atlas


Le long du canal Saint-Martin, la plupart des exilés tentent tous les soirs de monter à bord des bus Atlas mis à disposition par la RATP et géré par Aurore, pour se rendre au dortoir de l'Armée du Salut de la Boulangerie, près de la Porte de Clignancourt. Ils doivent inscrire, quelques heures auparavant, leur nom sur une liste mise à jour par des membres de l'association, et attendre qu'on les appelle à monter dans le bus, sous le regard des forces de l'ordre. "Il y a trois bus de 56 places. Le premier pour les 'SDF français', le second pour les Afghans, le troisième est multiethnique (Iraniens, Palestiniens, Pakistanais, etc)", explique Jean-Michel Centres, membre du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap), qui tous les soirs conseille les sans-papiers le long du canal. Les bus ne peuvent emmener tout le monde. La situation risque de s'empirer après la fermeture de l'hôpital Saint-Lazare.

 

"La naissance d'un repli communautaire"


"Certains exilés Afghans préfèrent dormir dans la rue", précise toutefois Pierre Henry. "Ils n'apprécient pas les conditions d'hébergement et ne souhaitent pas se mélanger aux SDF". Le gouvernement refuse toute distinction ethnique, ce qui n'empêche pas "la naissance d'un repli communautaire", explique-t-il, faisant allusion aux quelques Pachtounes qui vivent de façon plus indépendante dans le campement au bout du canal, en bas du métro Jaurès. "Certaines tensions entre les ethnies afghanes peuvent venir de la situation dans notre pays en ce moment", explique un jeune Hasara (ethnie minoritaire en Afghanistan). "Mais les tensions se dissipent quelques temps après l'arrivée", ajoute-t-il. A l'exception de quelques incidents sporadiques, jusqu'ici la cohabitation se passe plutôt bien. "Seuls quelques riverains se sont plaint parce qu'ils faisaient trop de bruit en bas de chez eux, en pleine journée !" s'étonne Jean-Michel Centres, également membre du Collectif de soutien des exilés du Xe (regroupement de plusieurs associations). "Mais le gouvernement a tout intérêt à ne rien faire. Ils ne veulent pas d'un nouveau Sangatte", ajoute-t-il.

Les mineurs isolés


Bien que plutôt calmes, les rives du canal restent toutefois un danger pour les mineurs qui sont amener à y dormir. France Terre d'Asile tente de repérer ces mineurs, en organisant des maraudes le soir. Depuis 2004, l'association met à leur disposition une plate-forme d'accueil, dont l'Etat finance 50 places d'hébergement, et la ville de Paris 20 places. A ces 70 places, dont 52 était occupés par de jeunes Afghans en novembre dernier, s'ajoute un dortoir de 25 places géré par l'Armée du Salut. Le jour, la plateforme assure un suivi individuel : accompagnement vers la demande d'asile et vers les dispositifs de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), ainsi qu'un début de scolarisation. Bien que beaucoup de jeunes Afghans soient en transit, ils sont de plus en plus à souhaiter rester en France. A condition que la France leur donne la possibilité de vivre dignement. Certains baissent les bras à cause des procédures administratives longues et compliquées, pendant lesquelles ils doivent faire face à la faim. Dans ce cas, ils continuent leur long et dangereux voyage, vers le Royaume-Uni via Calais, où la diaspora afghane, plus implantée qu'en France, leur donnera peut-être un emploi.

 

Par Donald HEBERT

Nouvel Obs, le 23/03/2010 

 


 

Les mineurs isolés afghans face à l'administration française

Les jeunes demandeurs d'asile afghans peuvent bénéficier du système social français voire obtenir la naturalisation. A condition qu'ils prouvent leur minorité.


Les mineurs sans-papiers sont un cas à part d'un point de vue administratif. Ils ont accès aux dispositifs de l'Aide sociale à l'enfance, une chance d'intégration par le système social français. Après deux ans de scolarité et trois ans de séjour, ils peuvent prétendre à une naturalisation. Mais ils doivent être pris en charge suffisamment tôt avant leur majorité, après quoi ils risquent d'être soumis à la convention Dublin lors de leur demande d'asile, et reconduit vers le premier pays d'accueil sur le sol européen qui a enregistré leurs empreintes digitales, souvent la Grèce.

 

Une méthode dépassée


Mais apporter la preuve de leur minorité reste un défi. Jean-Michel Centres, bénévole du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, a obtenu jeudi 11 mars d'un juge de Créteil qu'un jeune Afghan soit reconnu mineur. "Lorsque les jeunes n'ont pas de papiers, les juges demandent une expertise osseuse pour évaluer leur âge. Le problème, c'est que cette méthode n'est pas fiable", peste-t-il, fatigué de voir l'Etat se défiler devant "ses obligations". Le 20 octobre 2005, une question d'un sénateur au ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, faisait référence à cette méthode : "le Comité national consultatif d'éthique a pour sa part rendu un avis très négatif, le 23 juin 2005, sur cette méthode de détermination de l'âge. En effet, la méthode d'évaluation de l'âge la plus couramment utilisée se fonde sur la radiographie de la main et du poignet gauche par comparaison avec des clichés de référence, répertoriés dans l'atlas de Greulich et Pyle. Or, ces clichés de référence datent des années 1930 et sont issus d'une population américaine 'd'origine caucasienne'". La marge d'erreur est de 18 mois, selon le comité. Bien qu'il n'existe pas vraiment de méthode fiable de substitution, cette méthode a été abandonnée par plusieurs pays, dont la Suisse. En France, elle est toujours utilisée.

 

La perte du père, motif principal de migration


Pour contredire l'expertise osseuse, la seule solution pour un jeune Afghan est de se faire envoyer des papiers d'identité probants par sa famille en Afghanistan. Mais beaucoup n'ont plus de parents. Sur 52 mineurs qui ont intégré le dispositif de mise à l'abri de France Terre d'Asile, 34 ont perdu un ou deux parents, dont 20 violemment (bombardements, assassinats, attentats), selon une étude du Centre d'information et d'études sur les migrations internationales (Ciemi) à paraître dans la revue spécialisée Migrations société en mai prochain. La perte du père est d'ailleurs le motif principal de migration, explique Lisa Vitturi, auteur de l'étude et responsable des maraudes pour les mineurs de France Terre d'Asile : "dans le cas, assez fréquent dans une société rurale, de vendettas ou de conflits tribaux liés à la possession des terres, le jeune adolescent porte le poids de l'héritage du père et doit répondre des dettes et des éventuelles vengeances", écrit Lisa Vitturi. A ce motif principal s'ajoutent les dangers liés aux talibans (embrigadement des garçons, destruction des écoles, etc), à la misère et à l'insécurité, poursuit l'étude. Les conditions d'un pays en guerre dans lequel les jeunes Afghans n'ont aucun avenir et ne souhaitent pas retourner.

 

Par Donald HEBERT

Nouvel Obs, le 23/03/2010

 


 

Le voyage d'Abibula depuis l'Afghanistan


Abibula, adolescent de 17 ans, a été recueilli par France Terre d'asile alors qu'il dormait le long du canal Saint-Martin. Il raconte à Nouvelobs.com son incroyable voyage depuis l'Afghanistan.

Je suis parti de la région de Kundar, en Afghanistan. J'ai passé la frontière iranienne, mais on m'a arrêté, et enfermé deux jours en prison, sans rien à manger. Les autorités iraniennes m'ont renvoyé en Afghanistan, mais j'ai réessayé de passer la frontière, avec six autres personnes. On nous a déposés en voiture, et nous avons fait le trajet à pied. Les passeurs nous ont repris derrière la frontière. Nous devions nous cacher pendant le voyage jusqu'à Shiraz, car les contrôles de police sont fréquents sur la route en Iran. J'ai passé une nuit à Shiraz, puis j'ai rejoint Arama, près de la frontière turque, via Téhéran. J'ai dormi pendant six jours dans une étable. Il faisait très froid. Nous attendions le meilleur moment pour passer la frontière. Pour rejoindre la Turquie, il fallait traverser deux montagnes du Kurdistan. Nous avons marché vingt-quatre heures, dans le vent, la neige, le froid. Nous étions quatorze. Un Pakistanais et un Afghan se sont évanouis. Nous étions trop faibles pour les aider. Ils sont morts.

 

"De faux policiers, de mèche avec nos passeurs"


"J'avais payé l'intégralité du voyage avant mon départ d'Afghanistan. Un membre de ma famille a mis à disposition une partie de ses terres en échange de la somme nécessaire, environ quatorze mille euros. Arrivés en Turquie, des passeurs nous ont hébergés. Nous nous sommes reposés pendant quatre jours. Nous n'avions plus de quoi manger. Les passeurs nous ont demandé cent dollars par repas et par personne. Ensuite on nous a transportés jusqu'à Istanbul. Des policiers nous ont arrêtés, et nous ont demandé trois cents dollars par tête pour nous relâcher. Je pense que c'était de faux policiers, de mèche avec nos passeurs. En partant du Kurdistan, j'avais deux mille dollars sur moi. En arrivant à Istanbul, plus que neuf cents. Les passeurs nous ont même fait mettre des vêtements hors de prix qu'ils sont allé acheter pour nous. Ils ont dit qu'il fallait être "class".


"Nous étions huit dans le container"


"D'Istanbul nous sommes allés à Izmir, pour rejoindre la Grèce par la mer. Nous avons pris un canot pneumatique, nous étions dix-huit, mais le moteur nous a lâché vingt minutes après le départ. Une seule solution, rebrousser chemin. Nous n'avions que nos bras pour ramer, ça nous a pris cinq heures. On a pris un autre bateau, et avons rejoint une île grecque. De là nous avons pris un ferry. Le billet coûte vingt-cinq euros pour Athènes, mais on nous a fait payer six cents euros. Je suis resté vingt-cinq jours à Athènes, et j'ai rapidement compris qu'il n'y avait aucun avenir pour moi là-bas. J'ai donc décidé d'aller en Italie. Cela m'a coûté quatre mille euros. Je suis monté dans un container réfrigéré, que les passeurs ont monté sur un camion. Le container est passé directement sur un bateau de marchandise en direction de Bari. Nous étions huit dans le container, enfermé avec des légumes. Les passeurs n'ont pas arrêté le système de réfrigération, pour pas que nous soyons détecté. Nous avons eu très froid. Le voyage nous a pris quinze heures. Plus longtemps, nous aurions manqué d'air.

 

"J'ai dormi deux nuits le long du canal Saint-Martin"


"A Bari j'ai dormi sur la route, sans manger, puis j'ai pris le métro et le train vers Rome. J'ai dormi deux jours à Rome dans la rue. Il n'y avait pas d'Afghans. J'ai rencontré un Bengali. Il m'a dit qu'il n'y avait rien à faire ici, il m'a indiqué la gare de Termini, pour prendre le train pour Paris. A la gare de Lyon, j'ai rencontré une vieille dame, très gentille, qui m'a conseillé d'aller gare de l'est. J'ai dormi deux nuits le long du canal Saint-Martin. Puis France Terre d'asile m'a aidé. Je suis arrivé il y a un mois. Je prends des cours de Français. Je voudrais travaillé dans la peinture ou dans la restauration."

 

Par Donald HEBERT

Nouvel Obs, le 23/03/2010