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« Toute personne a le droit de quitter tout pays » : l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme est-il remis en cause ?

Publié le : 01/03/2018

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Tribune de Matthieu Tardis, Membre du Conseil d'administration de France terre d'asile

 

Principal pays de transit des migrants avant d’entrer dans l’enfer libyen, le Niger est présenté comme le bon élève de la coopération avec l’Union européenne en matière migratoire. Depuis la création en novembre 2015 du fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique visant à lutter contre les causes profondes des migrations irrégulières, des dizaines de millions d’euros ont été attribués à des projets au Niger pour organiser le retour des migrants de transit dans leur pays d’origine, renforcer la résilience des populations locales, améliorer les conditions de vie des réfugiés et appuyer les capacités des autorités nigériennes à contrôler leur territoire et leurs frontières.

Le plan national de lutte contre la migration clandestine constitue le cadre d’action des autorités nigériennes. Selon le suivi des flux de population effectué par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) dans la région d’Agadez, les flux sortants enregistrés sur les routes en direction de la Libye et de l’Algérie ont connu une baisse notable passant de 333 891 en 2016 à 52 161 sur les neuf premiers mois de 2017. À première vue, ce plan est un succès. Dans une communication du 7 décembre 2017, la Commission européenne se félicite du soutien de l’UE à ces actions des autorités nigériennes. Derrière ces chiffres, la réalité vécue par les migrants s’est pourtant fortement dégradée. Les personnes arrêtées étaient principalement de jeunes conducteurs de camionnettes qui profitaient des opportunités économiques liées aux migrations. La fin de cette activité a entrainé une plus grande insécurité pour les migrants qui doivent emprunter des routes plus périlleuses et s’en remettre à des passeurs relevant davantage du grand banditisme. Depuis la mise en œuvre de ce plan, le nombre de décès constatés dans le désert a été multiplié.

La preuve est une nouvelle fois faite des impasses de l’approche purement sécuritaire du contrôle des frontières. Même si, en l’espèce, le Niger et l’UE entendent protéger les migrants des traitements qu’ils sont susceptibles de subir en Libye, force est de constater que ces mesures ont des effets secondaires indésirables et dramatiques. Mais nous assistons ici à une nouvelle étape de la politique dite de gestion des flux migratoires. Jusqu’à présent, ce sont les pays de destination qui dressaient des obstacles à l’entrée sur leur territoire soit par la politique des visas soit par des contrôles aux frontières. Les mesures adoptées par le Niger instaurent elles une sorte de présomption de migration irrégulière avant même la sortie de son territoire, sachant que la majorité des personnes enregistrées sur la route goudronnée vers la Libye sont de nationalité nigérienne et ou de pays d’Afrique de l’Ouest qui disposent pourtant d’une liberté de circulation sur le territoire nigérien. Or, ces mesures ne sont pas compensées par l’ouverture importante de voies de migration légale, notamment pour les réfugiés pour lesquels le HCR considère que les besoins de réinstallation concernent 160 000 personnes sur la route de la Méditerranée centrale.   

En 1948, l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme a consacré le droit de toute personne de quitter tout pays, y compris le sien. L’article 14 garantit le droit de demander l’asile. Il a fallu plusieurs années avant que ce droit de demander l’asile soit effectif. L’Europe a joué un rôle important dans cette reconnaissance. La Cour européenne des droits de l’homme rappelait en 2012 qu’un accord entre l’Italie de Berlusconi et la Libye de Kadhafi ne pouvait en aucun cas remettre en cause le droit fondamental de demandeur l’asile aux frontières de l’Europe ou sur son territoire…encore faut-il que le demandeur d’asile puisse atteindre l’Europe. On comprend alors que les interdictions de sortie permettent aux Européens d’éviter de se poser des cas de conscience et de trouver le bon équilibre entre gestion des flux migratoires et respect des droits de l’homme. Méfions-nous des effets de ce glissement et espérons que les félicitations du ministre français de l’Intérieur adressées à son homologue albanais pour la hausse du nombre de refus de sortie du territoire ne soient qu’une erreur de débutant.

Catherine Wihtol de Wenden a souligné à plusieurs reprises, qu’au 19e siècle, il était plus facile d’entrer dans un pays que de sortir du sien. La situation s’est inversée progressivement au cours du 20e siècle : le droit de sortie s’est imposé presque partout depuis la chute du mur de Berlin tandis que le droit d’entrer est resté soumis à la souveraineté des États d’accueil. Le 21e siècle sera-t-il celui de l’interdiction de sortie et des restrictions d’entrée ?

 

 

Article issu de notre Newsletter de février 2018.