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Jour 3 - Lesbos : chaos à Moria

Il y a longtemps que les murailles du château de Mytilène ne dissuadent ni ne protègent plus personne. Le Chaos, dit-on, préexistait à Dieu. Le voici en tout cas revenu dans certains endroits de Lesbos. Ce matin à Moria, sur la route qui mène au « hot spot » il y a affluence. Des baraques à frites et à kebabs se sont installés juste en face de l'entrée du "bidule" orné de fils de fers barbelés, destiné, à l'origine, à être un camp de détention. Des jeunes filles outrageusement maquillées et quelque peu boudinées dans leurs vêtements trop serrés proposent à la vente des cartes sim aux réfugiés hagards qui sortent des bus du HCR. D'autres font commerce de sacs de couchage et de sacs à dos. Une longue file de taxis jaunes s'est formée. Les naufragés ont été ramassés pendant la nuit par des bénévoles le long des plages. Le ballet a repris. En tout cas, les policiers turcs ont cessé leur contrôle et les mafias ont repris leur lucratif business après leur avoir graissé la patte. 

Cette nuit, près de mille personnes sont arrivées jusqu'ici. Des hommes jeunes, mais surtout  des femmes et des enfants en bas âge, des vieillards lourdement handicapés, des familles entières qui n'ont rien laissé derrière elles. Monique, l'officier de protection du HCR qui nous accompagne, explique les futurs développements du camp : les « hot spots » 2 et 3  sont en construction et seront bientôt prêts. Il est en effet nécessaire d'augmenter la possibilité d'enregistrement pour alimenter la plus grande base de données d'empreintes digitales d’Europe, car un hot spot c'est cela et rien d’autre. C’est, au mieux, un centre de transit de quelques jours : personne ne veut rester ici et personne ne souhaite les retenir. À cet instant précis, nous sommes certains que nous retrouverons quelques-unes de ces visages à Calais dans quelques semaines.

À la sortie du car du HCR, chacun se voit attribuer un numéro par des policiers assez dissipés et attend son tour. Tous seront enregistrés et recevront le "papier" comme ils l'appellent, une feuille A4 écrite en grec, avec une photo, précisant leur identité, leur nationalité et la durée de leur séjour autorisée sur le territoire s'ils ne demandent pas l'asile. Or personne, ou bien peu le souhaite. 

Au milieu des préfabriqués des autorités, EASO (le bureau européen d’appui pour l’asile) distribue des prospectus pour tenter d'intéresser les Syriens et les Irakiens à la relocalisation. "Dites oui au transport légal et voyagez vers un pays européen sans rien payer !" promet le document. Le stand ne semble toutefois pas faire recette. On peut le comprendre : il y a eu moins de 300 personnes relocalisées depuis la Grèce en 6 mois. Les Syriens reçoivent un permis de 6 mois, quand les Afghans, eux, ont 30 jours pour disparaître. Les moins chanceux, les Maghrébins arrivés par avion depuis Rabat, Casablanca, Alger et qui tentent leur chance pour entrer en Europe par la Turquie, sont soit placés directement en rétention, pour les hommes seuls, soit enjoints de quitter le territoire sous 7 jours.

Une fois le "papier" en main, tous s'empressent de quitter Moria, direction le port où ils pourront acheter un billet pour le prochain ferry pour Athènes, voire directement un billet de bus jusqu'à la frontière macédonienne. La prise en charge s'arrête aux portes du camp où les taxis et les bus de l'île font la queue en attendant le chaland. Les premiers enregistrés parviendront peut-être à attraper le ferry de 11h, les autres attendront 20h. Pendant ce temps, la municipalité de Lesbos se prépare au pire et craint que le nombre d'arrivées ne double au printemps. 

L'équipe municipale, qui se targue de bien gérer la situation et "d'accueillir dignement" jusqu'à 8000 personnes par jour, craint pour son image et l'impact à long terme sur sa première source de revenu, le tourisme. Le maire a saisi ses homologues à travers l'Europe et les institutions européennes en proposant que l'UE établisse directement ses centres d'enregistrement en Turquie avec la possibilité pour les réfugiés de rejoindre leur destination sans passer par l'île. Cette proposition ne saurait se confondre avec celle exprimée par les Néerlandais, qui doit être débattue les 18 et 19 février prochain, et qui veut faire de la Turquie un pays tiers sûr. Elle endosserait alors, seule, la gestion des réfugiés. 

Manuel Valls peut bien déclarer à Munich que l'Europe ne doit plus accueillir de réfugiés. Vue de Lesbos, la question semble bien plutôt comment allons-nous faire ensemble, européens, pour éviter de nous enfoncer dans le chaos.

Pierre Henry, Directeur général de France terre d'asile, et Hélène Soupios-David, Service Europe

 

tentes du hcr

   


l attente 1

     
barbeles   attente 2

 

© Photos par France terre d'asile

 

Zoom sur...

Les Hot spots

Les Hot spots sont définis comme des centres d’identification et d’enregistrement des migrants arrivant sur le territoire européen, notamment par la prise de leurs empreintes digitales, établis suite à l’adoption de l’Agenda sur la migration de la Commission européenne le 13 mai 2015. L’Union européenne s’est accordée sur la mise en place de six hot spots en Italie et cinq en Grèce, dont un à Lesbos. Les hotspots visent également à  identifier les personnes pouvant bénéficier du plan de relocalisation, et de faciliter le retour de celles ne demandant pas l’asile ou des déboutés. Les hot spots sont gérés conjointement par les autorités nationales et plusieurs agences européennes dont Frontex et le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) et incluent également des places d’accueil temporaire.

Sous la pression de la Commission européenne et des États membres, la Grèce a créé un « organe central de coordination pour la gestion des migrations » contrôlé par l’armée, en vue d’accélérer leur mise en place. Une proposition de loi est aussi discutée pour permettre à l’armée de prendre le contrôle des hotspots. Le texte prévoit un placement en rétention de trois jours minimum pour tous dans les hotspots.

La Commission a souligné mercredi 10 janvier les efforts effectués par la Grèce pour remplir ses obligations, notamment avec l’augmentation de la prise d’empreintes digitales, passant de 8% en septembre à 78% en janvier 2016. Le ministre grec de la Défense, Panos Kamimenos a annoncé le 15 février que trois nouveaux hot spots, en plus de celui de Lesbos étaient “prêts à fonctionner”. Toutefois, le gouvernement grec fait face à la contestation de certains habitants des îles grecques touchées, notamment à Kos, ou des heurts ont eu lieu avec la police.

Une fois tous les centres opérationnels, les capacités d’enregistrement sur les îles grecques seront de 11 000 personnes par jour. Frontex apporte son aide à la Grèce, en envoyant des patrouilles côtières sur les îles et des experts chargés de détecter les documents frauduleux.

 

 

Focus sur les plans de relocalisation :

L’Union européenne a adopté au mois de septembre 2015 deux plans visant à relocaliser, sur deux ans, 160 000 demandeurs d’asile depuis la Grèce et l’Italie et (et possiblement d’autres États en faisant la demande), vers les autres Etats européens. Peuvent bénéficier de ces plans les demandeurs d’asile, vulnérables, de nationalité dont le taux de reconnaissance de la protection international est supérieur à 75% au niveau européen. Actuellement, seuls les ressortissants syriens, irakiens et érythréens sont concernés. Enfin, la relocalisation ne se substitue pas à la demande d’asile : une fois relocalisée, une personne devra déposée sa demande d’asile dans le nouveau pays hôte.

À ce jour, où en sont ces deux plans, en France et au niveau européen ?

Pour l’heure, le processus de relocalisation tourne au ralenti  seules 583 personnes ont effectivement été relocalisées au 16 février 2016. La France, qui a promis de recevoir 30 298 personnes sur deux ans, n’en a accueilli que 135. Malgré ce chiffre modeste, elle se situe en 2e place en terme d’accueil des relocalisés.

Malgré la très lente mise en place de ces plans, la Commission continue d’encourager les Etats à accélérer leur mise en œuvre. En parallèle, une proposition de Règlement pour la mise en place d’un mécanisme « permanent » de relocalisation à activer en temps de crise est actuellement en débat. Comme les deux plans temporaires déjà adoptés, ce mécanisme serait fondé sur une clé de répartition prédéfinie.

Pour plus d’informations :