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Accès à la nationalité : tribune de Patrick Weil

Publié le : 29/10/2012

Comme souvent depuis que Manuel Valls est devenu ministre de l'intérieur, ce qui est important réside moins dans ce qu'il dit que dans ce qu'il ne dit pas. Entre 2010 et 2011, le nombre des naturalisations a baissé de 30 %. La baisse, massive, a continué au cours des six premiers mois de 2012 et risque d'atteindre, voire de dépasser 50 % en deux ans.

 

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En rupture complète avec la politique de tous les gouvernements depuis 1927 (à l'exception de Vichy), pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, l'objectif n'a plus été de favoriser les naturalisations, mais de les freiner par tous les moyens, plus exactement par l'addition de trois décisions :

1. depuis le 1er juillet 2010, les préfets se sont vu octroyer le pouvoir réel de décision en matière de naturalisation ;

2. depuis février 2011, des conditions de travail beaucoup plus restrictives - des CDI - ont été exigées de personnes ayant pourtant en France une résidence stable et ancienne ;

3. depuis le 1er janvier 2012 enfin, l'examen de français nécessaire à toute naturalisation depuis longtemps a été soudainement durci. Pour répondre à cet effondrement de la naturalisation, l'instruction adressée par Manuel Valls aux préfectures est pourtant insuffisante et inadaptée.

La baisse de 30 %, intervenue entre 2010 et 2011, s'explique d'abord par le nouveau pouvoir donné à chaque préfet de décider des naturalisations de son département. Quand, avant le 1er juillet 2010, toutes les demandes remontaient à une administration centrale compétente, pour y être traitées de façon semblable, 40 % des propositions de refus des préfets devenaient positives et 9 % de leurs propositions positives devenaient négatives.

Depuis cette date, lorsqu'un préfet dit non à un dossier, celui-ci n'est même plus réexaminé au niveau central, et lorsqu'il dit oui, les agents du service central, dépendant pour la première fois de toute l'histoire de la France du ministère de l'intérieur, ont reçu comme consigne de l'entériner.

Il s'ensuit des inégalités de traitement selon le département où l'on habite, auxquelles s'ajoutent des risques de discrimination et de clientélisme.

Le test de français, instauré le 1er janvier, n'est plus effectué par les préfectures. Délégué à des organismes publics ou privés, plus sévère, il est pour les postulants, même bien préparés, coûteux, dissuasif et stressant.

Ce pouvoir préfectoral et l'introduction du test de français expliquent la majorité de la baisse intervenue depuis 2010, mais ils ne sont pas visés par l'instruction de M. Valls. Celle-ci ne porte que sur l'assouplissement des critères d'emploi. Elle va dans la bonne direction, mais elle est inadaptée.

Imaginez un jeune arrivé en France avec ses parents à l'âge de 6 mois. Il ou elle est l'aîné(e) et les frères et soeurs qui vont suivre naissent en France. Dès l'âge de 13 ans, ces frères, ces soeurs pourront acquérir par une simple déclaration la nationalité française. L'aîné(e) - sauf si ses parents ont été naturalisés - devra attendre l'âge de 18 ans et subir la longue et pénible procédure de naturalisation pour rejoindre ses frères et soeurs dans notre nationalité. Il restera cependant dépendant de l'instruction d'un ministre qui pourra exiger qu'il ait un emploi stable alors que, ayant passé toute sa jeunesse en France, français d'éducation autant que tous les jeunes de France, il ne trouvera pas facilement d'emploi tant qu'il ne sera pas français.

Ces jeunes non nés en France mais, y ayant été éduqués, subissent la plus grande incertitude sur leur statut et leurs droits différents de leurs frères et soeurs. Souvent, de ce fait, les plus fragiles de leur fratrie, ils ont été la cible la plus injuste des instructions de Claude Guéant. M. Valls a ordonné de traiter leur demande de façon plus positive. Mais son instruction ne change pas ce fait que la loi qui les traite injustement est toujours en vigueur et doit donc être changée.

Est-il cohérent que des conjoints de compatriotes vivant à l'étranger puissent devenir français par une simple déclaration après cinq ans de mariage, sans avoir jamais vécu en France, tandis que le jeune ayant grandi en France doive encore en passer par la naturalisation ?

Le Parlement doit donc intervenir par la loi pour rétablir l'égalité dans l'accès à la nationalité : d'abord en en revenant à ce que le général de Gaulle avait décidé à la Libération : le traitement centralisé et homogène de toutes les décisions de naturalisation ; aucun dirigeant politique français - de droite ou de gauche - ne peut sérieusement justifier que la nationalité française ne soit plus nationale ; que son attribution puisse varier selon que l'on habite Lille, Marseille ou Saint-Denis.

Ensuite en permettant aux étrangers arrivés très jeunes en France de devenir français à leur majorité par la procédure plus simple de déclaration.

La situation de ces jeunes est si injuste qu'en Allemagne c'est le gouvernement de M. Kohl qui, en 1993, a fait inscrire dans la loi le droit des enfants étrangers éduqués dans ce pays de devenir allemands par simple déclaration. Mesdames et Messieurs les parlementaires, en matière de nationalité, le vrai changement dépend de vous.

Historien et politologue, directeur de recherche au CNRS

Patrick Weil

Lemonde.fr, 23/10/2012