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Au camp tunisien de Choucha, l’interminable attente des réfugiés

Publié le : 27/01/2012

la-croix

Près d’un an après le début du conflit en Libye, 3 400 personnes vivent encore dans le camp de Choucha, dans le sud-est de la Tunisie. La plupart sont originaires d’Afrique subsaharienne.

choucha-camp© JOEL SAGET / AFP

« Seul un réfugié sur cinq du camp de Choucha pour lesquels une demande de réinstallation a été faite a pour l’instant été accepté par un pays d’accueil ».

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés les prend en charge.

C’est un bout de désert habité de tentes blanches, qui s’alignent à perte de vue. Quand le vent se lève, un sable fin balaie les abris de fortune. Depuis bientôt un an, le camp du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) à Choucha, dans le sud-est de la Tunisie, a accueilli 200 000 personnes poussées sur les routes par la guerre en Libye.

La plupart ne faisaient que passer, mais 3 400 sont encore là. Ils sont pour la plupart soudanais, somaliens, érythréens, éthiopiens, tchadiens ou ivoiriens, et demandent l’asile.

Capacité d’accueil limitée

« Ma vie n’est qu’attente », dit Idriss Awil, né en Somalie il y a trente-quatre ans. Depuis son arrivée à Choucha, en mars 2011, il a obtenu le statut de réfugié, puis un document certifiant que son dossier a été soumis aux États-Unis. Une promesse qu’il porte sur lui comme un papier d’identité, mais qui ne le rassure pas tout à fait.

Depuis que la guerre l’a séparé de sa famille à 13 ans, en 1991, il a souvent été déçu. Comme ce jour de 2009 où son arrestation, en Libye, a empêché le sans-papiers de partir pour l’Europe. Quelques semaines après sa libération, en janvier 2011, la révolution libyenne éclatait. « Combien de temps vais-je encore rester dans ce camp ? demande-t-il. Je ne serai soulagé qu’une fois dans l’avion. »

Les États-Unis ne sont pas la destination la plus populaire à Choucha. Les réfugiés savent la procédure particulièrement longue en raison des multiples contrôles de sécurité. Mais l’UNHCR y place de grands espoirs. « Les États-Unis sont très accueillants, explique Rocco Nuri. Ils recevront probablement la majorité des réfugiés du camp. » Les autres pays qui ont ouvert leurs portes, comme la Norvège, la Suède ou le Danemark, estiment leurs capacités d’accueil limitées, parfois à quelques personnes.

Résultat : seul un réfugié sur cinq pour lesquels une demande de réinstallation a été faite a pour l’instant été accepté par un pays d’accueil. Environ 900 ont quitté le camp. Parmi eux, 33 mineurs, arrivés seuls en Tunisie, sont partis vers la Norvège, le 15 janvier, à l’issue d’une procédure simplifiée. Dans les jours qui viennent, huit doivent les rejoindre.

« 144 enfants non accompagnés sont arrivés à Choucha depuis mars 2011, explique Myriam Marcuello, chargée de la protection de l’enfant. Ils sont vulnérables et doivent partir vite. » Dans les pays d’accueil, les mineurs suivent des programmes d’intégration dans des institutions spécialisées.

Rejoindre l’Europe

Abdelkarim Ahmed Ibrahim, réfugié somalien de 17 ans, avait placé tous ses espoirs en Norvège, avant d’apprendre qu’il ne partirait pas. « Je voudrais avoir un avenir », dit-il. Il prend des anxiolytiques, pour ne pas trop penser à la question qui le tourmente : où ira-t-il, et quand ?

Il se demande aussi pourquoi la Norvège lui a fermé ses portes. « J’ai la même histoire que ceux qui sont partis », souligne-t-il. Après la mort de son père et de sa sœur, en 2007, sa mère le « prie de rejoindre l’Europe » pour échapper au chaos.

L’enfant de 13 ans entame alors un long voyage vers le Nord. À son arrivée en Libye, en décembre 2008, il est arrêté et placé en détention. À sa sortie, un an plus tard, il vit de petits boulots. Pas de quoi réunir la somme nécessaire pour traverser la Méditerranée.

Le conflit en Libye lui fait reprendre la route, jusqu’au camp de Choucha, où il tente, avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), de retrouver sa mère. Sans succès. « Elle est peut-être morte », conclut-il.

Ayant peur d’arriver à la même conclusion, Mamadou Kamara, 17 ans à son arrivée à Choucha, en juin dernier, se refuse à lancer des recherches. Comme 400 autres personnes au camp, le jeune Malien n’a pas encore obtenu le statut de réfugié. Il a fait appel d’un premier rejet, il y a un mois et demi. Il sait que ses chances sont minces : sur 282 appels, 19 ont pour l’instant été concluants. « J’attends parce que je n’ai nulle part où aller », dit-il.

Parcours du combattant

« Le plus difficile, pour les enfants et les adultes, c’est l’absence de perspectives », explique Ahlem Cheffi, coordinatrice des activités psychosociales à l’école du camp. Les affections psychologiques sont nombreuses, et les tensions entre communautés ont dicté la réorganisation du camp. Le départ de certains ressortissants attise la rancœur de ceux qui restent.

« Le statut de réfugié nous est presque systématiquement refusé, car le Tchad est considéré comme un pays sûr », dénonce Aboubaker Mouli Mbodou, leader de la communauté tchadienne à Choucha.

L’UNHCR s’en défend. « Il n’y a pas de discrimination sur la base de la nationalité, assure Rocco Nuri, chargé de la communication. Nous prenons en compte le parcours personnel du demandeur d’asile pour savoir s’il fait face à un réel danger. » Il admet en revanche que la réinstallation des réfugiés n’est pas aussi rapide pour tous : les pays d’accueil privilégient certaines nationalités, « qui s’intègrent mieux ».

Dans la section réservée aux Tchadiens, la tristesse se lit sur les visages des femmes. Dochi Hassan Salah, 21 ans, est enceinte de neuf mois. Elle et son mari n’ont pas obtenu le statut de réfugié. « C’est fini », dit-elle. Ils ont deux semaines pour quitter Choucha. « Quand le HCR ferme le dossier d’un demandeur d’asile, il se décharge de toute responsabilité à son égard », explique Rocco Nuri.

« Peur au ventre »

L’organisation internationale pour les migrations (OIM) se propose de faciliter le retour dans le pays d’origine, mais rares sont les volontaires. Dochi Hassan Salah se souvient à peine du Tchad, où elle n’a vécu que cinq ans.

L’homme qu’elle a épousé en Libye est un ancien rebelle, qui a fui en 2002. « Si on rentre, il sera tué », assure-t-elle. Certains partent à travers le désert, vers la frontière libyenne ou vers les villes tunisiennes. Nul ne sait ce qu’ils deviennent.

Dochi Hassan Salah refuse de retourner en Libye. Pendant le conflit, son mari a été accusé d’être un mercenaire à la solde de Mouammar Kadhafi. « Ils sont nombreux à rester dans le camp sans statut, dit Rocco Nuri. Nous continuons à subvenir à leurs besoins. »

Les autorités tunisiennes peuvent venir les chercher à tout moment, pour les renvoyer dans leur pays d’origine. Ils vivent « la peur au ventre ».

Camille Le Tallec, à Choucha (Tunisie)

La Croix, le 26/01/2012