fbpx
Main menu

Deux ans de la Loi Taquet : où en sommes-nous ?

Publié le : 25/03/2024

Image

© Gustave Deghilage

Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

 

Février 2024 a marqué les deux ans depuis l’adoption de la Loi « Taquet » censée améliorer la protection des enfants relevant de l’aide sociale à l'enfance et par conséquent concernant aussi les mineurs isolés étrangers. Les dispositions prévues dans la loi ont été saluées par les organisations, notamment celles travaillant dans l’accompagnement des mineurs isolés étrangers (MIE). Entre des décrets qui tardent à arriver et des mises en œuvre partielles ou inégales, retour sur une loi qui peine à être à la hauteur de ses ambitions.

 

L’interdiction d’accueil dans des hôtels : une mesure bienvenue mais difficile à appliquer 

La loi Taquet a interdit le recours aux hôtels pour l’hébergement des enfants et jeunes majeurs placés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Si l’interdiction était immédiate pour les jeunes placés de manière pérenne, un délai de deux ans durant lequel la mise à l’abri à l’hôtel était encore possible en cas d’urgence était prévu, pour permettre aux départements de se préparer à la fin de l’hébergement hôtelier auquel certains avaient largement recours. L’interdiction complète a pris effet le 1er février 2024, malgré l’absence de décret d’application attendu depuis deux ans par les acteurs de la protection de l’enfance, laissant planer un « flou juridique » dénoncé par la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE). Le 5 février, Départements de France, une association d’élus des départements français, qualifiaient la mesure d’« inapplicable dans les conditions actuelles », en référence à la saturation ainsi qu’au manque de moyens financiers et humains des structures de l’ASE. Un décret d’application est finalement paru le 16 février 2024 concernant les structures dites « jeunesse et sport », mais sans mention explicite des structures hôtelières, il n’a pas levé les incertitudes d’un secteur qui peine à appliquer les dispositions de la loi Taquet.

 

Un temps de répit sujet à interprétation

L’article 40 de la loi Taquet définit un « temps de répit » pour les jeunes se déclarant mineur pendant l’accueil provisoire d’urgence et avant l’évaluation de leur minorité et de leur isolement. Très attendu sur ce sujet, le décret du 22 décembre 2023, précise que l’identification des besoins de santé du mineur sera réalisée pendant cette période. Cependant, la durée du temps de répit n’est pas précisée : elle doit être déterminée par le président du Conseil départemental en fonction de l’état de santé psychique et physique du mineur et du temps nécessaire pour qu’il soit informé sur l’évaluation de la minorité et de l’isolement dans la langue qu’il comprend. Bien que l’inscription du temps de répit dans la loi soit à saluer, l‘absence de durée minimale ouvre la porte à une mise en œuvre hétérogène selon les départements. Lorette Privat de la CNAPE souligne ainsi la possibilité que certains départements interprètent ce temps de répit comme « une heure dans une salle d’attente ».

 

La répartition nationale

Le principe du système de répartition nationale des mineurs non accompagnés entre les départements en place depuis 2013, vise à éviter une surcharge des capacités d’accueil de certains départements. L’article 38 de la loi a modifié la répartition en ajoutant deux critères : le nombre de jeunes majeurs anciennement pris en charge par l’ASE en tant que mineurs isolés et le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) dans le département. Bien que le transfert de l’enfant vers un autre département ne peut être automatique et qu’il est censé respecter son intérêt supérieur, il est régulièrement constaté que le respect de la clé de répartition nationale prend le pas sur les besoins de certains mineurs isolés en attente d’orientation.

 

Utilisation obligatoire du fichier « AEM »

La loi rend désormais obligatoire l’enregistrement en préfecture des jeunes se déclarant mineurs dans le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM), « sauf lorsque la minorité est manifeste ».  L’objectif affiché de cette disposition pour le gouvernement est d’éviter que des jeunes se présentent dans plusieurs départements différents jusqu’à l’obtention de la reconnaissance de leur minorité.

Ainsi, le décret du 22 décembre 2023 prévoit une réduction partielle ou totale de l’aide financière de l’État envers l’ASE des départements qui refusent d’utiliser le fichier AEM. Or, jusqu’à présent, plusieurs départements refusaient d’y avoir recours, ce fichier mettant l’accent sur le contrôle migratoire plutôt que la protection de l’enfance. En 2019, Médecins sans Frontières avait ainsi souligné l’effet dissuasif du fichier dans les départements-pilotes, expliquant que de nombreux jeunes craignaient de donner leurs données personnelles et biométriques, renonçant in fine à leur demande de protection. Par ailleurs, d’après la Mission mineurs non-accompagnés du ministère de la Justice, certains départements conditionnent la mise à l’abri, l’évaluation et la prise en charge des mineurs à leur inscription au fichier AEM, bien que cette pratique soit illégale.

 

Contrat Jeune Majeur

Afin d’éviter les sorties sèches à 18 ans - c’est-à-dire les fins de prise en charge par l’ASE sans solution à la sortie -, la loi Taquet prévoit le droit pour les jeunes confiés à l’ASE de continuer de bénéficier d’un suivi jusqu’à leurs 21 ans, s’ils ne « bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants ». Perçu comme un progrès vers la réduction de la précarité des jeunes sortants de l’ASE, France terre d’asile a salué cette mesure comme une « avancée législative ». Néanmoins, dans la pratique, des acteurs de terrain constatent toujours des disparités territoriales et une discrimination envers les jeunes majeurs isolés étrangers. Ainsi, plusieurs départements délivrent des contrats jeunes majeurs de très court terme ou refusent les demandes d’accompagnement sans motif légitime. La loi asile et immigration du 26 janvier 2024 a encore fragilisé l’accès des jeunes isolés étrangers aux contrats jeunes majeurs en excluant ceux qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) du bénéfice de cette mesure : bien que les conseils départementaux gardent la possibilité de leur proposer cette prise en charge aux jeunes, ils n’en ont plus l’obligation, ce qui risque de fortement fragiliser le passage à la majorité de jeunes en demande d’accompagnement.

La loi « Taquet » présentait de réelles avancées, telles que l'interdiction de la réévaluation par leur département de prise en charge de jeunes déjà reconnus mineurs et isolés par un autre département. Pour autant, la lenteur de sa mise en œuvre, les mesures votées dans la loi du 26 janvier 2024 ainsi que les défaillances en termes d’accueil provisoire d’urgence des jeunes se déclarant mineur maintiennent ces jeunes dans une situation insatisfaisante. Pourtant, leur vulnérabilité appelle des solutions pérennes et une protection complète.