
© Unicef
Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
En France, le mal-logement touche chaque année un nombre croissant d’enfants, notamment migrants. Leurs conditions de vie dégradées altèrent leur état de santé et entravent leur accès à l’alimentation, à un environnement de vie stable et à la scolarisation. Pour leurs familles et les associations concernées, faire respecter leurs droits est un combat quotidien.
Le 28 août 2025, à quelques jours seulement de la rentrée scolaire, 2 159 enfants – dont 503 ont moins de 3 ans - devaient passer la nuit dehors, selon le baromètre annuel de l’UNICEF et de la Fédération des acteurs de la solidarité. Ces chiffres, pourtant non exhaustifs, illustrent l’échec de l’engagement « Zéro enfant à la rue » pris en 2022 par le gouvernement. À la suite d’une tribune de nombreuses associations, Olivier Klein, alors ministre du logement, et Charlotte Caubel, ancienne secrétaire d’État chargée de l’enfance, s’étaient engagés à ne « plus avoir aucun enfant à la rue cet hiver ». Un an plus tard, le baromètre 2023 décomptait 1990 enfants sans hébergement à la veille de la rentrée des classes. En 2024, ils étaient 2043 – une hausse de 120% par rapport à 2020.
L’UNICEF dénonce des « politiques de court terme », qui nuisent aux personnes les plus précaires et se répercutent sur leurs enfants, à contre-courant des besoins, alors que la crise du logement s’aggrave chaque année en France. Le projet de loi de finances de 2025 a par exemple entraîné la suppression de 6 500 places d’hébergement dans le dispositif national d’accueil pour demandeurs d’asile et empêché l’ouverture de 3 000 autres, alors que plusieurs dizaines de milliers de personnes en demande d’asile n’ont pas accès à un hébergement adapté. Alors que le logement social, structurellement insuffisant en France, est de plus en plus inaccessible, l’hébergement d’urgence dit « généraliste », solution palliative, est lui-même saturé et n’est plus en mesure de répondre aux besoins.
En août 2025, plus de 200 personnes exilées accompagnées par l’association Utopia 56 ont occupé le parvis de l’hôtel de ville de Paris pour demander une mise à l’abri. En juin - lors d’une mobilisation similaire devant la mairie du XIe arrondissement - Habib, 13 ans, témoignait de la difficulté de la vie à la rue : parfois hébergé en hôtel, parfois contraint de dormir dehors, sous une tente, avec sa mère et sa petite sœur de 10 ans. Pourtant, nombreux sont les textes qui garantissent à tous les enfants l’accès à un hébergement et un logement décent, tels que la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), ratifiée par la France, ou encore le Code de l’action sociale et des familles, qui dispose qu’il incombe à l’État d’assurer à toute personne en situation de détresse sociale un accès à l’hébergement d’urgence.
En réponse aux manquements de l’Etat aux obligations qui lui incombent, en avril 2025, 40 associations (dont France terre d’asile) ont attaqué l’État en justice pour non-assistance à personnes mal logées, afin de faire reconnaître la responsabilité de l’Etat et que la justice l’enjoigne à respecter ses engagements en matière d’hébergement et de logement.
Mal-logement : des conséquences en chaîne sur la vie des enfants
Le mal-logement a des conséquences directes sur l’alimentation des enfants. Les faibles moyens financiers et le manque d’accès à une cuisine en hébergement d’urgence ne permettent pas aux familles de se nourrir correctement. En hôtel social, 8 personnes sur 10 sont concernées par l’insécurité alimentaire. Dans les hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA), plus d’une personne sur 2 mange moins de 3 repas par jour, et 2 parents sur 3 sont contraints de réduire leurs repas pour assurer l’alimentation de leurs enfants.
La santé des enfants victimes de mal-logement pâtit également de ces conditions de vie : à leurs parcours migratoires souvent traumatisants vient s’ajouter le manque de protection lié à la vie à la rue. La fréquence accrue de troubles de santé mentale illustre les effets néfastes de cette situation sur leur bien-être, avec 19,2% d’enfants sans-domicile concernés contre 8% pour la population générale. Le mal-logement les rend également plus sujets aux pathologies telles que l’asthme et les maladies infectieuses, et entrave leur développement. Une enquête de l’Observatoire du Samu social révélait ainsi une forte « prévalence de retard de développement (80,9 %) chez les enfants sans-domicile, notamment liée à la pauvreté, au défaut de recours aux soins et au stress parental. ».
Des scolarités malmenées et des équipes éducatives solidaires
L’accès à l’éducation des enfants migrants à la rue est restreint par différents facteurs inhérents à leurs conditions de vie. Les déménagements réguliers contraignent leurs parents à reprendre régulièrement à zéro leurs démarches d’inscription à l’école, déjà entravées par la méconnaissance du système français et les délais dans les procédures administratives. Armando, 12 ans, témoigne : « En tout, j'ai changé cinq fois de collège. Je n'ai jamais fait une année scolaire complète. » En 2021, dans son avis n°21-17, la Défenseure des droits alertait sur les discriminations subies par les familles migrantes hébergées en hôtel ou hébergement social, notamment les refus de preuves de domicile demandées pour l’inscription à l’école.
Pour beaucoup d’enfants, les interruptions dans la scolarité dues aux parcours migratoires et à la vie à la rue entraînent des retards dans l’enseignement, tandis que certains n’ont jamais été scolarisés avant leur arrivée en France. À cette éducation en pointillés s’ajoute la difficulté de l’apprentissage d’une nouvelle langue, ainsi que la faim, le manque d’intimité et de sommeil liés au mal-logement. Peu favorables à la réalisation des devoirs et à la concentration en classe, ce contexte entrave leur droit à l’éducation.
Dans ce contexte, les associations constituent une aide majeure pour les enfants à la rue. Le Réseau d’Aide aux Elèves sans Toit défend leur droit à un hébergement digne et les soutient à travers différentes actions : interpellations des pouvoirs publics, occupations d’écoles, visibilisation. Les équipes éducatives sont souvent au premier rang de ces mobilisation. Deux enseignantes ont ainsi été convoquées cet été par la justice après avoir participé, en avril, à une mobilisation pour héberger 32 enfants et leurs familles dans le collège Michelet à Tours, alors qu’ils se trouvaient sans solution d’hébergement à la fin de la trêve hivernale.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en France, 6 générations sont nécessaires pour sortir de la pauvreté. Sachant que le niveau de diplôme conditionne « à près de 50% le niveau de vie futur d’un jeune adulte », l’école constitue l’un des principaux vecteurs permettant aux enfants migrants d’entrevoir une perspective de sortie de la pauvreté. Face à la rue, à l’insécurité et à l’incertitude constantes, elle représente un repère et une source de stabilité. Elle leur permet de développer non seulement leurs compétences psychosociales, mais aussi de s’épanouir et de construire leur identité hors de leur environnement de vie instable et de leur statut administratif incertain. Garantir leur droit au logement, c’est aussi leur assurer une scolarité de qualité et la perspective d’une vie moins précaire.