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Hommage à Fernand

Publié le : 04/01/2012

Fernando Terran nous a quittés il y a quelques jours. Au nom de France terre d'asile, Pierre Henry lui rend hommage

Oui, Fernand, « Tu es là avec ton sourire en coin, ton air provocateur, et ta main portée à hauteur de tes lèvres pour me dire : vas-y mais fais pas trop de pipeau, hein ! »


Tu sais, je vais faire comme je peux parce que je n’aime pas l’exercice auquel tu me contrains aujourd’hui !


Qu’est ce que l’unité d’un homme ? Dans ton cas, Fernand c’est tous tes amis ici rassemblés. Des tranches de vie par dizaines sans forcément de cohérence apparente entre elles. Un puzzle dont chacun d’entre nous est dépositaire et dont tu es le grand ordonnateur, dans une alchimie dont tu détiens seul le secret et qui se défera tout à l’heure lorsque chacun repartira vers sa maison. C’est ton absolu, Fernand, chacun, chacune d’entre nous représente une part de ta  vérité et de ta mémoire  –  c’est du temps passé, des paysages, des amours où nous nous étions tour à tour Roméo pour une même  Juliette, des odeurs, des fêtes, pardon Fernando, des fiestas, de l’alcool, des rêves partagés, des chansons entonnées à boire et à pleurer, de la musique, des mondes défaits et toujours à refaire, à moins que ce soit plus sûrement les mines défaites du petit matin. Et c’est notre humanité rassemblée dans sa diversité qui te donne, qui te rend aujourd’hui présence au milieu de nous. C’est comme cela que tu as voulu ta vie. C’est comme cela que nous parlerons de toi- par fragments.


Nous le savons tous, mais toi un peu plus que nous, la vie est tragique. Elle peut être gaie aussi. Elle est surtout éphémère. Heureusement, nos abondantes vanités nous font jouer à Carnaval pour oublier cette triste réalité. C’est un jeu dans lequel tu as toujours excellé. Parce qu’il faut bien se l’avouer, tu étais meilleur que nous – un tantinet plus hâbleur, plus mystificateur, plus mythomane – la perfection mon ami, tu le sais, est réservée aux dieux. Alors oui, tu étais le meilleur – y compris et surtout dans la générosité, dans cette façon de dire à l’autre pour un instant et dans l’instant que tu l’aimais, que lui seul comptait. Et le moment d’après appartenait à quelqu’un d’autre parce que le temps s’écoule et que chaque seconde a sa vérité. Voilà pourquoi finalement le temps n’a pas eu de prise sur notre amitié malgré presque deux décennies d’absence - tu es la nostalgie – c'est-à-dire littéralement ce qui a été vécu.

 
Nous avons traversé nos vingt ans ensemble, celui des ruptures et de l’espérance, de l’après 68, le monde nous appartenait, nous n’avions pas froid aux yeux et nous pensions que nos talents supposés et pour un temps conjugués allaient nous permettre de  le conquérir. 
Certes, les éclats et les coups suffisent parfois à entretenir l’illusion. A condition, Fernand, de travailler les dons que la nature t’a légués. Et elle t’en a pourvu en abondance. Rappelles-toi, l’homme libre ne l’est que parce qu’il est maître de son art quel qu’il soit.

 
Je t’ai perdu de vue, fâché par une de tes foucades au début des années 80. Tu m’as retrouvé au tournant du millénaire et nous venons de passer une décennie ensemble dans la formidable aventure de France terre d’asile. Tu as su y amener ta loyauté, ta bonté, ton apparente insouciance.
Fernand, je n’ai jamais su si tu étais amoureux de la vie car tu l’as malmenée au-delà du possible – et ce n’est pas le chant de ta voix ou de la guitare qui t’accompagne qui me démentira, j’ai perdu cette bataille avec toi ! J’ai une idée de la blessure secrète qui te tiraillait, qui te tordait le cœur mais nous allons garder cela entre nous.
C’est maintenant aux vivants de marcher avec ton sourire lumineux, en toute lucidité. Je pense en ce moment à Jonathan et à Katia et je leur dis toute ma tendresse !
Te voilà fils du vent, du côté de Lorca et de Murcia dans ton Espagne fantasmée, celle des aficionados, des toros - braves forcément - celle des champions du monde de football –« entre nous, Fernando, ils sont un peu dopés tes champions, non ? »
Fils du vent, te voilà à galoper au-dessus des terres et de la mer, je sais cette image te plaît.
Le vent du sud sera dorénavant pour moi le vent de Fernando, de la moiteur, de l’embrasement,  des colères soudaines de la Méditerranée, mais aussi du bien-être et du repos. Nous n’avons pas fini de nous croiser. Salut camarade.


Pierre HENRY, Paris, le 3 janvier 2012