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Jeunes en recours : les oubliés de la politique d’accueil française

Publié le : 02/05/2024

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Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

Depuis le début du mois d’avril, un centre culturel parisien est occupé par des jeunes se déclarant mineurs non accompagnés mais dont la minorité n’a pas été reconnue par le département et qui ont saisi le juge des enfants pour faire reconnaître leur minorité et leur isolement. Dans l’attente de la décision du juge, ces jeunes se retrouvent souvent contraints de vivre à la rue plusieurs mois.

Le 6 avril, plus de 200 « mineurs en recours » ont commencé à occuper la Maison des Métallos, à Paris. Ces jeunes, rassemblés dans le « Collectif des Jeunes du Parc de Belleville » après l’évacuation d’un campement établi dans ce parc en octobre 2023, passent d’un lieu de squat à l’autre, sans solution pérenne d’hébergement. Depuis juin 2020 et l’installation d’un premier campement de jeunes en recours, soutenus par Médecins sans frontières, Utopia 56 et le Comede, dans le square Jules Ferry à Paris, les campements et leurs évacuations par la police se succèdent en Ile-de-France. Lyon, Bordeaux et Toulouse - où 116 jeunes en recours ont été expulsés d’un gymnase début mars - ont également vu progresser le nombre de ces jeunes en situation de grande précarité.

Ces jeunes récemment arrivés en France se déclarent mineurs et non accompagnés par un représentant légal sur le territoire français, et demandent à être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). En France, un étranger mineur et isolé, considéré comme en danger, est pris en charge par la protection de l’enfance. Mais leur minorité et/ou leur isolement font d’abord l’objet d’une procédure d’évaluation que tous les départements doivent mettre en place, et qui précède leur éventuelle entrée dans la protection de l’enfance.

Au cours de l’évaluation de la minorité et de l’isolement, le jeune bénéficie d’un accueil provisoire d’urgence adapté. Ceux dont la minorité est reconnue sont protégés par l’ASE, et pris en charge jusqu’à leurs 18 ans, voire jusqu’à leurs 21 ans. À l’instar des autres enfants protégés, ils bénéficient d’un accompagnement socio-éducatif, d’un accès à l’éducation et à la formation professionnelle ainsi que d’une prise en charge de leurs besoins de santé.

Ceux dont la minorité n’est pas reconnue ont la possibilité de saisir le juge des enfants afin de faire reconnaître leur minorité et leur isolement. Cette procédure souvent qualifiée de « recours », vise à faire reconnaître la situation de danger dans laquelle se trouve le mineur, afin que le juge ordonne son placement à l’Aide sociale à l’enfance. Ce recours peut durer plusieurs mois, au cours desquels aucune prise en charge spécifique n’est prévue pour la plupart de ces jeunes.

 

Ni mineur, ni majeur : un flou juridique vecteur de précarité

S’il n’existe pas de chiffre officiel et consolidés, ils seraient actuellement près de 3 500 dans cette situation en France, et 1 067 d’entre eux, soit plus de 30 %, seraient contraints de vivre à la rue, selon une enquête de la Coordination nationale des jeunes exilés en danger.

Dans l’attente de la décision du juge des enfants, le flou juridique qui entoure leur situation les exclue des dispositifs de prise en charge classiques. N’étant pas reconnus mineurs, ils ne sont plus pris en charge par les dispositifs de protection de l’enfance, mais se déclarant mineurs, ils n’ont pas non plus accès aux dispositifs d’hébergement d’urgence généralistes, réservés aux adultes. Ni mineurs, ni majeurs, ces jeunes se retrouvent finalement sans aucune solution de prise en charge adaptée. 

L’absence de solution d’hébergement, l’isolement et leur jeune âge rend ces jeunes d’autant plus vulnérables, les exposant à des risques d’exploitation, notamment de réseaux de traite d’êtres humains. En 2022, les mineurs non accompagnés représentaient 92 % des mineurs victimes de traite contraints à commettre des délits. Par ailleurs, le manque d’information et d’accompagnement pour les démarches administratives et sociales laisse une grande partie des jeunes seuls face à des procédures complexes. La situation de précarité importante dans laquelle ils se trouvent entrave leur accès aux droits et prolonge leurs parcours d’errance. 

 

Quelle protection pour ces jeunes isolés ?

Actuellement, il n’existe pas de politique harmonisée au niveau national pour l’accueil des jeunes en recours. L’État, responsable de la politique d’accueil au niveau national, et les départements, chargés de la protection de l’enfance, se renvoient la responsabilité de trouver une solution durable pour ces jeunes. Face à cette carence des politiques nationales et locales, les associations tentent de combler ces lacunes. Les pouvoirs publics, État ou départements, financent ponctuellement des dispositifs de prise en charge ad hoc. À Paris, par exemple, un dispositif d’hébergement d‘urgence de 100 places, dédié aux jeunes en recours particulièrement vulnérables, est géré par France terre d’asile, et le CHU Emile Zola, géré par l’Armée du Salut, accueille 50 jeunes en recours. À Lyon, l’État et la métropole de Lyon financent 92 places d’hébergement pour ces jeunes au sein des Stations, gérées par l’association Le Mas. La Ville de Lyon et le diocèse, quant à eux, ont mis à disposition 170 places d'hébergement d'urgence pour accueillir les jeunes en recours qui se trouvaient en situation de rue depuis avril 2023. Mais en l’absence de politique nationale coordonnée sur la prise en charge des jeunes en recours, ces initiatives demeurent insuffisantes au regard des besoins de centaines de jeunes sans solution d’hébergement, en particulier à Paris.

Lors de l’évaluation de la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies en 2023, les rapporteurs avaient partagé leurs inquiétudes concernant la situation des mineurs non-accompagnés et plus particulièrement des jeunes en recours en soulignant notamment un manque de considération de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Pour mettre fin à la précarité générée par ce flou juridique et garantir la protection de ces jeunes, plusieurs voix s’élèvent pour défendre le respect du principe de présomption de minorité, consacré par le droit international dans la Convention relative aux droits de l’enfant, et son inscription dans la loi. L’application de ce principe qui garantit qu’une personne se présentant comme mineur soit « trait[é] comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur », assurerait la prise en charge de ces jeunes jusqu’à la décision définitive du juge, mettant fin à leur attente à la rue.