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La vie des réfugiés rapatriés en Afghanistan

Publié le : 05/02/2014

irin 

 

JALALABAD, 3 février 2014 (IRIN) - Peu de temps avant son 18ème anniversaire, Naik Mohammad a été réinstallé en Afghanistan, un pays qu’il ne connaissait que par les récits familiaux et les informations télévisées.

M. Mohammad, un réfugié afghan né et élevé au Pakistan, est rentré chez lui dans le cadre de la plus importante opération de rapatriement volontaire de réfugiés – soit le rapatriement de près de six millions de réfugiés afghans suite à l’invasion menée par les États-Unis dans leur pays et la défaite des talibans en 2001.

 

photo1L'herbe n'était pas tellement plus verte de l'autre côté de la frontière.

 

Les rapatriés ont connu des fortunes diverses, tout comme l’Afghanistan.

Aujourd’hui, huit ans après son arrivée, M. Mohammad est propriétaire d’un salon de coiffure pour hommes situé sur la rue principale du camp de rapatriés de la commune de Sheikh Mesri, dans la province de Nangarhar. « C’est mon pays. Je suis propriétaire de mon entreprise et personne ne nous harcèle. La situation n’est pas parfaite, mais c’est mieux d’être ici. C’est chez nous, et nous avons des amis maintenant », a-t-il dit à IRIN.

Des millions d’Afghans ont fui au Pakistan après la prise du pouvoir par un mouvement communiste à la fin des années 1970. La majorité d’entre eux sont revenus dans le pays, pleins d’espoir. Ils ont emporté leurs effets personnels et pris place dans des camions bondés qui ont emprunté la passe de Khyber et le poste frontière de Torkham.

« Les trois générations de réfugiés afghans du Pakistan n’ont pas les mêmes attentes », a dit Neill Wright, représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Pakistan. « Les deux dernières générations ont choisi le rapatriement, elles n’ont jamais vécu dans leur pays, mais elles ont décidé qu’il était temps d’essayer. En ce qui concerne les générations plus anciennes, elles savent plus ou moins ce qu’elles vont retrouver, car elles l’ont quitté … mais il y a beaucoup de défis à surmonter pour réussir leur réintégration en Afghanistan ».

La chute des talibans a suscité des espoirs de paix et fait naître la promesse d’une aide au développement de plusieurs milliards, et la fermeture de certains camps de réfugiés du Pakistan a encouragé bon nombre de familles afghanes à rentrer chez elles.

Les familles de réfugiés qui rentrent chez elles dans le cadre de l’opération de rapatriement volontaire mise en œuvre par le HCR bénéficient d’une allocation de 150 dollars par personne, d’une aide non financière et d’une indemnité de transport pour financer leur voyage jusqu’à leur village d’origine. La majorité des réfugiés afghans du Pakistan appartiennent aux différentes ethnies pachtounes et sont originaires des provinces proches de la frontière pakistano-afghane.

Afin de garantir un rapatriement durable, les réfugiés ont besoin d’un certain nombre d’éléments essentiels, selon les acteurs humanitaires : des terres, des emplois et des services de base, le tout au bon endroit. Jusqu’à présent, les rapatriés- qui représentent environ un quart de la population actuelle du pays – ont été confrontés des difficultés.

 

Des logements en zone urbaine

En rejoignant le Pakistan, bon nombre de réfugiés ont dû passer à un environnement plus urbain. À leur retour, bon nombre d’entre eux ont choisi de vivre à proximité des villes.

« Nous n’avons pas vu beaucoup de réfugiés rentrer et repartir immédiatement au Pakistan. Mais ils arrivent dans un environnement difficile, et je pense qu’il y a un certain nombre de problèmes qui se posent », a dit Nigel Jenkins, directeur pays du Comité international de secours (International Rescue Committee, IRC) en Afghanistan. « Il ne faut pas oublier que l’Afghanistan est avant tout un pays agricole et que beaucoup de ces réfugiés vivaient dans des zones rurales moins sûres. Bon nombre d’entre eux ont grandi dans des camps, ils sont donc plus habitués à un environnement de type urbain ».

Plus d’un tiers des rapatriés se sont installés dans les provinces de Kaboul et Nangarhar, selon le HCR.

« Manifestement, ils ont voté avec leurs pieds, et si on leur propose un abri et même des terres en zone rurale, ils choisissent les sites urbains, même s’ils ne disposent que d’une tente, car ils pensent y trouver de meilleurs moyens de subsistance et de meilleurs services », a dit Bo Schack, représentant du HCR en Afghanistan.

La municipalité de Sheikh Mesri, située non loin de Jalalabad, est l’une des municipalités où le projet d’allocation de terres a rencontré le plus de succès. Malgré tout, le site est loin d’être idéal.

« À notre arrivée, le gouvernement [afghan] nous a donné ce terrain dans le désert, un terrain contaminé par les mines », a dit à IRIN M. Mohammad depuis cette municipalité poussiéreuse située à 15 km de la route la plus proche et de la périphérie de la ville.

Sheikh Mesri fait partie des cinq communes qui ont été choisies dans le cadre du projet national pilote d’allocation de terres aux réfugiés rapatriés, formalisé par le décret présidentiel 104.

« C’est difficile de vivre dans le désert, si loin de tout », a dit Qari Rahmatullah, membre de la choura (conseil) de Sheikh Mesri. La majorité des familles de réfugiés qui vivent ici sont originaires de la province de Nangarhar, mais aujourd’hui elles préfèrent vivre près de Jalalabad pour des raisons de sécurité, d’emploi et d’éducation. « La première année a été difficile, mais notre situation est bien meilleure qu’à notre arrivée. Malgré tout, la vie n’est pas particulièrement facile ici ».

Aujourd’hui, environ 1 800 familles sont installées sur le site ; les agences des Nations Unies, les acteurs du développement et les organisations non gouvernementales (ONG) leur ont proposé diverses formes d’aide. Elles ont notamment participé à l’installation de pompes à eau, la construction de route et l’établissement de quatre écoles.

Si le lotissement de parcelles et la proximité de Jalalabad ont donné au site l’apparence d’une communauté bien organisée, plus de cinq ans plus tard, les responsabilités n’ont pas encore été transférées à la municipalité locale, comme prévu initialement. Pour bon nombre de représentants locaux, le site reste un camp qui ne fait pas partie intégrante de la ville.

L’adhésion des populations locales est cruciale, selon M. Schack du HCR.

« Les parcelles allouées se situent de plus en plus souvent loin des communautés établies. Sans eau, sans engagement clair de la part autorités nationales et sans intégration dans les programmes nationaux, cela ne fonctionnera pas. La participation des pouvoirs politiques et la volonté générale sont nécessaires à l’intégration dans la communauté existante », a-t-il dit. « C’est à la communauté et aux autorités de s’en occuper – si l’un des éléments n’est pas là, alors tout s’effondrera ».

 

Sans terre dans leur pays

L’obtention de droits fonciers est perçue comme essentielle pour le succès du retour des réfugiés, mais elle se heurte à la pratique de l’accaparement des terres.

Alhaj Ghulam Haider Faqeerzai, directeur des bureaux du département chargé des réfugiés et du rapatriement à Jalalabad, indique qu’ils ont procédé à l’enregistrement de 142 000 familles de rapatriés et que 128 000 demandes de terrains ont été déposées, mais qu’ils ne disposent que de deux sites d’implantation officiels pour environ 10 000 familles.

Bon nombre d’autres familles occupent des terres qui ne leur appartiennent pas.

« Les efforts sont là, mais nous sommes confrontés à des problèmes importants. D’autres provinces disposent de terrains plus appropriés. Ici, ce n’est pas un problème de ressources, mais de terrains », a dit M. Faqeerzai.

Les familles qui n’ont pas de titre de propriété sont régulièrement en butte à des menaces d’expulsion, et les acteurs humanitaires et du développement se heurtent à des restrictions dans la fourniture de services et d’assistance aux familles qui vivent sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Il y a aussi un risque croissant de tensions avec les populations d’origine.

Au début de la route de gravier qui mène à la municipalité de Sheikh Mesri se trouve le campement de fortune de Lower Sheikh Mesri : les communautés y occupent des terrains appartenant à l’autorité en charge de l’eau et de l’assainissement

Nous avons refusé de nous installer sur le site où se trouvent les parcelles, car nous voulions rester près de la route », a dit Allah Gul, chef de la choura du Lower Sheikh Mesri. « Avec le temps, il y a moins de monde – il n’y a pas de travail, pas de sécurité, pas de terres ».

Ils gardent l’espoir d’obtenir des droits fonciers, mais d’ici là, ils recevront peu de soutien.

 

Reprendre le travail

Les travailleurs humanitaires indiquent que la question de l’emploi est tout aussi importante. Certains réfugiés rapatriés n’arrivent pas à trouver de travail et finissent par repartir au Pakistan – en tant que migrants sans-papiers cette fois.

Après avoir vécu dans un camp de réfugiés proche de la ville de Peshawar, Sher Ali a rejoint le site de Lower Sheikh Mesri en 2008. Il est heureux d’être revenu dans un pays qu’il a connu enfant. Comme bon nombre de rapatriés, il vit grâce aux emplois non qualifiés.

« Honnêtement, je suis heureux d’avoir décidé de revenir. Il y a plus de travail ici et j’ai moins de problèmes de dette ».

Bashir Ali, un autre rapatrié, ne partage pas cet avis. Après avoir rejoint Londres en passant par l’Iran et la Turquie, il a été renvoyé en Afghanistan : « Il n’y a pas de travail, pas d’argent et pas de sécurité ».

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Naik Mohamma, un coiffeur né au Pakistan, est heureux de rentrer chez lui, en Afganistan.

 

Les investissements réalisés dans le domaine de la construction ont débouché sur des créations d’emplois à l’arrivée des rapatriés à Sheikh Mesri, mais il y en a moins aujourd’hui. Il est possible de trouver du travail à la journée à Jalalabad, mais les frais de transport pour rejoindre la ville représentent la moitié d’un salaire journalier de 400 roupies pakistanaises (la principale monnaie utilisée dans l’est de l’Afghanistan, environ 3,80 dollars).

Récemment, la remise en état de la principale route d’accès a permis d’améliorer les liaisons de transport, mais le fait que seulement environ 20 pour cent des 10 000 parcelles familiales potentielles soient occupées à Sheikh Mesri est principalement lié au manque d’emplois disponibles à proximité du complexe.

Les membres des communautés formelles et informelles ont évoqué la possibilité d’envoyer leurs enfants travailler dans les briqueteries de Kaboul pendant les mois d’été pour s’assurer un revenu.

Des programmes de formation professionnelle sont proposés. L’Organisation internationale des migrations (OIM) vient de former 350 rapatriés sans-papiers dans des domaines comme le câblage, la construction, la plomberie et la réparation de motos. Mais la grande majorité des rapatriés ont peu de compétences à faire valoir et les parcelles qu’ils ont reçues sont souvent impropres à l’agriculture.

 

Le retour des sans-papiers

Tous les Afghans installés au Pakistan ne disposent pas du statut de réfugié. Le personnel de l’OIM indique qu’au moins un million de migrants afghans sans-papiers vivent au Pakistan, concentrés dans la province de Khyber Pakhtunkhwa.

Ces réfugiés n’étant pas pris en compte dans le processus de rapatriement officiel, ils sont particulièrement vulnérables lorsqu’ils rentrent en Afghanistan. Et certains sont menacés de déportation ou subissent le harcèlement des autorités pakistanaises.

Le centre de transit de l’OIM situé après le poste frontière de Torkham fournit de l’aide à environ 200 familles sans-papiers vulnérables chaque mois. Le nombre de retours enregistrés a explosé en avril 2013 : plus de 750 familles sans-papiers ont été enregistrées, dont environ 400 ont reçu un soutien.

« La majorité d’entre elles racontent la même histoire. Des soldats ou des policiers menacent de détruire leur domicile, et elles disent qu’elles ont été contraintes [ou se sont senties contraintes] de repartir », a dit Omar Majeedi de l’OIM, qui est chargé de fournir une assistance aux rapatriés sans-papiers. « Leur expérience du retour au pays est totalement différente de celle des réfugiés officiels », a-t-il dit.

Les rapatriés sans-papiers ne perçoivent pas d’aide en espèces en raison des risques entraînés par leurs allers-retours entre le Pakistan et l’Afghanistan pour obtenir de l’aide – une pratique baptisée « recycling ». En revanche, ils reçoivent un repas, un colis alimentaire du Programme alimentaire mondial (PAM) et d’autres produits non alimentaires, comme des couvertures, des casseroles et du savon.

Certains rapatriés ont passé plus de 20 ans à l’étranger et ne se souviennent plus du nom de leur district d’origine ; ils ont donc besoin de l’aide du personnel de l’OIM.

 

Réintégration

Les retours posent « un sérieux défi à la capacité d’absorption du pays », d’après le Récapitulatif des besoins humanitaires de 2014 réalisé par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).

Si les réfugiés rapatriés sont généralement perçus comme des personnes qui bénéficient le plus de l’aide et qui ont de meilleurs mécanismes d’adaptation que les 620 000 personnes touchées par le conflit et déplacées à l’intérieur de leur pays (PDIP), dans les faits, ils connaissent des situations assez identiques.

En Afghanistan, la communauté humanitaire parle désormais de « rapatriés vivant dans une situation semblable à celle des PDIP ». Les travailleurs présents sur le terrain ont rapporté que si les réfugiés rapatriés ont plus de facilité à obtenir des papiers d’identité que les PDIP, des difficultés demeurent pour leur faire bénéficier de l’aide des services de développement afghans en lieu et place de l’aide humanitaire.

« Nous mettons en avant la question du rapatriement », a dit M. Schack, « mais nous devons nous assurer que les rapatriés deviennent des Afghans ».

Environ 1,6 million de réfugiés afghans enregistrés continuent de vivre au Pakistan. Ils attendent qu’on leur donne une bonne raison de quitter leur pays d’accueil, et notamment qu’on leur propose des solutions en matière de terres et de moyens de subsistance.

« Nous disons aux gens de quitter le Pakistan », a dit M. Rahmatullah de la choura de Sheikh Mesri. « La situation n’est pas très bonne là-bas. Mais quelle sera la situation ici en 2014 ? Nous allons garder un œil sur la transition », ajoute-t-il.

De son côté, le gouvernement reconnaît qu’une brusque augmentation des rapatriements pourrait mettre à mal les capacités du pays.« Nous ne pouvons pas les accueillir [les réfugiés du Pakistan] ; nous ne sommes ni prêts ni préparés à les recevoir », a dit M. Faqeerzai du département des réfugiés et du rapatriement.

Mais les informations qui circulent entre les Afghans réfugiés à l’étranger et les rapatriés, ainsi que les visites ‘aller et voir’ (‘go and see’) parfois organisées par le HCR permettent aux Afghans vivant au Pakistan de déterminer ce qui est le mieux pour eux.

« Ces personnes ont des oreilles et des yeux ici », a dit Mahir Safarli, responsable du bureau du HCR à Jalalabad. « Elles savent mieux que nous s’il est prudent de rentrer ».

 

IRIN, le 03 février 2014.