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Le musée de l'histoire rance

Publié le : 15/10/2010

Le musée de l’histoire rance


Patrimoine. La Maison de l’histoire de France est une vitrine du débat sur l’identité nationale.


Par Nicolas Offenstadt Maître de conférences à l’université de Paris-I. 
 
«La promotion de notre identité nationale doit être placée au cœur de votre action.» C’est ainsi que Nicolas Sarkozy et François Fillon définissent une des tâches centrales du nouveau ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de ladite identité, pour Eric Besson, dans la lettre de mission qui lui est adressée le 31 mars 2009.

Dans le paragraphe qui suit, il est demandé au ministre de prendre part «au côté du ministre chargé de la Culture à la mise en place du Musée de l’histoire de France, qui contribuera à faire vivre notre identité nationale auprès du grand public». Ainsi le projet culturel phare du quinquennat s’inscrit-il d’emblée dans l’offensive idéologique de retour au roman national d’exaltation des racines qui marque les discours sur l’histoire tenus par et autour du Président. Il devient en quelque sorte la vitrine historique du douteux débat sur la si incertaine notion d’«identité nationale». Faut-il espérer, quand même, avec Roger Chartier, moderniste et professeur au Collège de France, que le projet puisse développer une «autonomie relative» par rapport aux intentions idéologiques qui le guident au départ ?

L’idée d’une «Maison de l’histoire de France» est née, pendant la campagne électorale de 2007, de la convergence idéologique entre les grands discours de Nicolas Sarkozy sur le passé du pays et les inquiétudes politiques d’un conservateur du patrimoine, Hervé Lemoine. Les deux sont en phase pour diagnostiquer une «crise identitaire» de la France et dénoncer les menaces du «lobbying mémoriel», celui des groupes et communautés qui cherchent une reconnaissance publique à un passé souvent douloureux.

Désarroi. Une fois élu, le nouveau président demande à Hervé Lemoine de réfléchir à un centre «dédié à l’histoire civile et militaire» du pays. Deux rapports successifs du conservateur envisagent de l’installer aux Invalides (2008), avant que la question du lieu d’implantation ne s’élargisse (rapport Rioux, en 2009, et Hébert, en 2010). Les discussions portent notamment sur les châteaux de Vincennes et de Fontainebleau. En janvier 2009, le président de la République annonce officiellement la création du musée pour «renforcer l’identité» et répondre au «besoin de sens» du pays. Là encore, les objectifs sont clairs. La prise en main du dossier par le nouveau ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand (juin 2009), qui en fait son affaire, conduit au choix des Archives nationales pour accueillir le projet. A leur grand désarroi, car l’institution manque cruellement de place.
Une intersyndicale s’y oppose. Le bâtiment est toujours occupé. A trop discuter du lieu, le risque pointe de considérer le projet d’un musée d’histoire de France au XXIe siècle comme naturel. Dès la publication des premiers rapports, plusieurs historiens se sont inquiétés du périmètre du projet, de son contenu idéologique et de ses ambitions, aussi, à régenter la recherche. Faut-il vraiment une Maison de l’histoire de France ? Et d’abord, pourquoi la limiter à la France ?

Pour Christophe Charle, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-I, un «débat public productif» sur l’histoire de France doit se situer «dans un cadre non national et européen, voire plus vaste». Il faut renouer avec un regard universel ou universalisable «à mesure que la France s’intègre dans l’Europe et doit intégrer des populations venues du monde entier». Jean-Pierre Rioux, inspecteur général honoraire de l’Education nationale, auteur du rapport sur les sites possibles d’implantation, trouve toujours pertinent le cadre national pour réfléchir à «l’art du vivre ensemble et de se présenter au monde». Il ajoute : «Le cadre national n’a pas disparu de l’horizon de l’histoire de l’humanité.»

Roger Chartier ne voit pas les choses ainsi : le cadre de l’Etat-nation pour appréhender l’ensemble de l’histoire est «une projection rétrospective sur de longues périodes» où il se révèle sans pertinence. C’est créer un isolat qui tient trop peu compte des multiples liens qui tissent les mouvements de l’histoire. Le musée néglige les tendances actuelles de l’historiographie. Tout cela «sonne» décidément son «XIXe siècle», dit encore Chartier. Le médiéviste Jacques Le Goff n’est guère enthousiaste, non plus, pour un tel projet. Autant l’historien se réjouit des politiques du patrimoine qui ont permis de découvrir et partager des héritages communs, autant il ne voit pas l’intérêt d’une maison propre à l’histoire de France, avec les risques nationalistes toujours possibles.

Amiral. L’enjeu dépasse d’ailleurs la mise en scène de l’histoire nationale, car le projet exposé dans les derniers rapports entend embrasser de multiples tâches : mise en réseau des musées d’histoire, activités pédagogiques, soutien à la recherche. La maison de l’histoire pourrait ainsi devenir le navire amiral de la muséographie historique, voire de programmes historiens. Tout cela pour «promouvoir» l’«identité nationale» ? On comprend dès lors que les tenants du projet ne sont guère enclins à ouvrir le débat. Il faut la lutte actuelle du personnel des Archives pour réveiller les enjeux de fond.

Dernier ouvrage paru : «14-18 aujourd’hui, la Grande Guerre dans la France contemporaine», éditions Odile Jacob, 2010.