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Les droits de l'homme, une autre crise européenne

Publié le : 26/01/2012

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En 2011, les Européens ont beaucoup parlé du Printemps arabe et de ses conquêtes pour les droits de l'homme. Oui mais, note l'ONG Human Rights Watch, l'Europe ferait mieux de balayer devant sa porte. L'année dernière, c'est chez elle qu'ils ont reculé. Etat des lieux de l'autre crise européenne.

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Frontière de l'espace Schengen, en Roumanie / Vadim Ghirda/AP/SIPA

Une crise peut en cacher une autre. Pendant que l’Europe économique part à vau-l’eau, les citoyens européens encaissent les lourds tributs d’une autre crise, plus silencieuse, mais tout aussi violente. Celle des droits humains. Dans son rapport annuel, l’ONG Human Rights Watch s’alarme d’une Europe moins démocratique en 2011, et d’un recul des droits humains éclipsé par le Printemps arabe.

"Au-delà des belles paroles [sur le Printemps arabe], les droits humains en Europe sont en réalité bien mal en point. Une nouvelle idée chemine, celle selon laquelle :

1. Les droits des minorités "problématiques" devraient être infirmés dans l’intérêt général
2. Les politiciens élus qui mènent ce genre de politiques agissent en toute légitimité démocratique", écrit Benjamin Ward, directeur adjoint de la division Europe et Asie centrale, dans un essai joint au rapport [PDF].

Plus précisément, HRW cible trois thématiques responsables de la crise des droits humains en Europe en 2011 :

1. Les discriminations et l’intolérance à l’encontre des minorités, en particulier contre les Roms
2. Les migrations et l’asile, et l'accueil réservé aux migrants de Tunisie et de Libye
3. Les politiques antiterroristes et leurs atteintes au droit.

Le rapport de l’ONG retient 9 pays européens - parmi lesquels la France, l'Italie ou l’Allemagne -, où les droits humains ont reculé dans l’une ou l’autre des trois catégories l’année dernière.

1. DISCRIMINATIONS ET INTOLÉRANCE CONTRE LES MINORITÉS

  • Les Roms, bouc émissaire de l’Europe en 2011 : Grèce, Italie et Hongrie

La Grèce est épinglée sur la "discrimination systémique dans les domaines du logement et de l'éducation" à l’encontre des Roms. Les jeunes sont particulièrement visés par une "ségrégation à l’école", qui a d’ailleurs fait l’objet d’une plainte collective menée par 140 familles et jugée recevable par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

HRW note par ailleurs que la violence raciste représente un "problème grave", en particulier à Athènes, marquée par des attaques contre la communauté pakistanaise, et des raids de militants d’extrême droite dans les quartiers d’immigrants. L’un d’eux avait fait 25 blessés en mai 2011, parfois à coups de couteau.

La communauté rom a aussi souffert en Italie, et, encore une fois, les enfants sont les premières victimes. L’ONG liste les domaines où la discrimination y est critique : santé, éducation, conditions de vie, etc. Les enfants roms sont également surreprésentés dans le système italien de justice pour mineurs.

Même constat en Hongrie, où les Roms subissent "harcèlement et menaces de la part de milices d'autodéfense dans les régions rurales". En avril, rappelle HRW, la Croix-Rouge hongroise avait dû évacuer 277 Roms d'un campement menacé par un groupe d'autodéfense anti-Roms.

  • Autres discriminations ciblées : Constitution hongroise, avortement en Pologne, et manifestants espagnols

La Hongrie de Viktor Orban, mauvaise élève de l’année, concourt dans plusieurs catégories. HRW critique ainsi la nouvelle Constitution, entrée en vigueur en janvier 2012. Le texte, rédigé par le Fidesz, le parti au pouvoir, porte en lui "des provisions discriminatoires à l'encontre des femmes; des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) ; et des personnes handicapées". La presse n’est pas épargnée : la nouvelle loi hongroise en la matière est "une atteinte à la liberté d'expression", souligne le rapport.

En Pologne, ce sont les droits des femmes qui ont pris un coup. Le pays, doté de "l'une des législations sur l'avortement les plus restrictives d'Europe", a d’ailleurs été rappelé à l’ordre en 2011 par la CEDH. Celle-ci a estimé que "le refus d'accès à un avortement légal équivalait à une violation de l'interdiction des traitements cruels et inhumains". La Pologne a failli adopter une loi interdisant totalement l’avortement, en août, rappelle HRW.

En Espagne, la réforme de la loi de 2010 sur l’avortement est pour bientôt, et risque de suivre la même pente. Le gouvernement l’a annoncé le 25 janvier 2012 : les mineures devront désormais avoir l’accord de leur père pour avorter. 2011, ce fut aussi l'année des manifestations en Espagne. HRW y déplore les violences policières caractérisées à l’encontre des manifestants, lors des mobilisations contre les mesures d’austérité.

2. LES MIGRANTS ET L'ASILE : LA FORTERESSE EUROPE

C’est la crise la plus aiguë en matière de droits humains en Europe, selon HRW.

"L’intolérance envers les migrants en Europe est omniprésente. D’après un sondage réalisé en 2010, la majorité des habitants de huit États de l’UE trouvent les immigrants trop nombreux, la moitié des répondants ayant le même avis concernant les musulmans".

La crise migratoire suscitée par le conflit en Libye et l’exode des Tunisiens en 2011 ont montré l’incurie des gouvernements des pays européens face à cette question. Le dispositif de répression réservé aux migrants s’est renforcé en France, en Hongrie ou aux Pays-Bas.

Concernant la France, HRW attaque la loi sur l’immigration, adoptée en juin, qui "a affaibli les droits des migrants et des demandeurs d'asile". Comment ? En élargissant l'utilisation des zones de transit (où les migrants ont moins de droits et sont plus aisément expulsables) et en allongeant la période maximale de détention avant expulsion (à 45 jours).

En Hongrie, une loi de décembre 2010 prévoit désormais une période maximale de 12 mois d’enfermement pour les migrants, et une détention prolongée pour les demandeurs d’asile.

Le gouvernement des Pays-Bas a quant à lui pris la décision de faire payer aux demandeurs d’asile déboutés "la totalité du coût de leur rapatriement forcé", tout en limitant le droit d’appel suspensif. Et HRW de déplorer l’acquittement en juin de Geert Wilders, chef du parti de la Liberté, accusé "d’incitation à la discrimination contre les musulmans, les immigrants non occidentaux et les Marocains".

La Grèce demeure quant à elle encore et toujours décriée par HRW pour les conditions de vie des migrants sur son sol, qui n'ont pas progressées en 2011.

3. LOIS ANTITERRORISTES VS. DROITS HUMAINS

  • L’Allemagne et le Royaume-Uni abusent de l'antiterrorisme

La première a reconduit pour 4 ans son dispositif antiterroriste, accusé par HRW "d’exercer des surveillances et de recueillir des données sur une large échelle".

Outre-manche, le Parlement planche sur 4 nouvelles lois antiterroristes. L’une d’elles prévoit de réduire de 28 à 14 jours la garde à vue dans les affaires de terrorisme… mais instaurerait une possibilité de renouveler la garde à vue pour 28 nouveaux jours "en cas d’urgence".

  • Et l’UE dans tout ça ?

Benjamin Ward, de la division Europe de HRW, estime que seules la CEDH et la Commission européenne sont en mesure d'influencer les Etats. Retenant deux exemples - l’expulsion de Roms par la France lors de l’été 2010 et la loi sur les médias en Hongrie - il constate cependant que "dans les deux cas, des mesures de coercition ont été prises par la Commission, pour ensuite être révoquées ou mises en suspens sans que les facteurs déclenchants aient été correctement traités". Et de conclure :

"Si la Commission ne fait pas preuve de davantage de courage, la pente descendante en matière de droits au sein de l’UE semble devoir se poursuivre".

Benjamin Leclercq

Myeurop, le 25/01/2012