fbpx
Main menu

Mayotte : ce qui se joue derrière l’opération Wuambushu

Publié le : 07/06/2023

Image

© Pixabay CC

Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

Intervention salutaire pour certains, action anti-migrants pour d’autres : l’opération « Wuambushu » menée par le gouvernement à Mayotte cristallise les tensions. De quoi s’agit-il exactement ? Comment s’inscrit cette opération dans le contexte mahorais et la politique migratoire de la France dans ce département ultramarin ?

L’opération Wuambushu a repris le 22 mai après plusieurs semaines de pause marquées par l’action de « collectifs » en faveur du renvoi des étrangers en situation irrégulière qui ont bloqué, entre autres, des centres hospitaliers. Le 17 mai, la chambre d’appel de Mayotte a donné le feu vert à la démolition du bidonville dit « Talus 2 » tandis que la France et les Comores ont renoué le dialogue, marquant le début effectif des éloignements de ressortissants comoriens sans-papiers. À la suite du véritable lancement de l’opération Wuambushu, voici quelques éléments pour mieux comprendre ce qu’il se passe à Mayotte. 

 

Une « reprise en main » de l’État 

Révélée par le Canard Enchaîné en février 2023, l’opération Wuambushu (« reprise » en mahorais) est enclenchée le 24 avril dans l’objectif de lutter contre la délinquance et la criminalité, détruire les bidonvilles et lutter contre l’immigration irrégulière. En première ligne, 1800 policiers et gendarmes sont mobilisés pour assurer les contrôles terrestres et maritimes et procéder à l’évacuation et la destruction des bidonvilles.

Pour le Gouvernement, il s’agit de mettre fin à l’insécurité qui règne à Mayotte en éloignant massivement les personnes en situation irrégulière, et en accentuant les efforts des années précédentes en matière de logement. En 2021, déjà, 24 000 personnes avaient été éloignées et 1 600 « bangas » – constructions précaires, souvent sans accès à l’eau potable ni à l’électricité – avaient été détruits. La spécificité de « Wuambushu » réside dans sa rapidité espérée : le Gouvernement a prévu de détruire 1000 cases et de renvoyer 10 000 personnes en situation irrégulière en deux mois.

L’opération s’est toutefois heurtée à des obstacles diplomatiques et juridiques. Les Comores ont d’abord refusé d’accueillir leurs ressortissants en situation irrégulière puis le tribunal judiciaire de Mamoudzou a mis un coup d’arrêt en suspendant l’évacuation du bidonville « Talus 2 » en raison de l’existence d’une « voie de fait ». En effet, les magistrats avaient demandé aux autorités de proposer aux familles des solutions de relogement et des lieux de stockage pour leurs biens, dans un contexte où les zones insalubres représentent 40% de l’habitat mahorais, avant que la chambre d’appel ne revienne sur la décision.

 

Mayotte, la mal-aimée

De fait, la situation à Mayotte est préoccupante. Le 101ème département français est le plus pauvre, les indicateurs socio-économiques (chômage, alphabétisation, santé) sont au rouge tandis que l’insécurité a atteint des niveaux extrêmes. Les violences urbaines et agressions de bandes rivales sont monnaie courante. De même, les cambriolages et vols avec violence sont respectivement trois et dix fois supérieurs à la métropole.

Mayotte se caractérise également par un nombre très important d’immigrés comoriens, souvent en situation irrégulière. Cette immigration s’inscrit dans la continuité des échanges humains et commerciaux historiques dans l’archipel qui précèdent le rattachement de Mayotte à la France suite au référendum de 1974. Aujourd’hui, ces flux perdurent malgré la création d’un « visa Balladur » pour les Comoriens en 1994 qui a rendu illégales les traversées sans visa. Depuis, au moins 12 000 Comoriens sont morts en tentant de rejoindre Mayotte sur des petites embarcations en bois, les kwasas kwasas. Actuellement, la moitié des 300 000 habitants que compte Mayotte sont étrangers, et presqu’en totalité Comoriens.

L’insécurité grandissante est régulièrement imputée à cette pression migratoire, comme l’illustrent les propos d’Estelle Youssouffa, députée de Mayotte : « Des mineurs, des jeunes adultes, la plupart étrangers en situation irrégulière, que nous appelons “terroristes” parce qu’ils mettent notre île à feu et à sang, et sèment la terreur pour nous faire fuir ». Ces discours rencontrent un écho important auprès de la population, bien que les chiffres de la préfecture et de la Protection judiciaire de la jeunesse prouvent que la proportion d’immigrés parmi les délinquants est identique à leur part dans la population totale de l’île.

 

Un laboratoire pour la politique migratoire française 

Outre le contexte socio-économique particulier, l’opération s’inscrit dans un cadre juridique exceptionnel. Afin de limiter l’immigration en métropole et du fait de sa position géographique spécifique, les titres de séjour ne sont valables qu’à Mayotte, et non sur tout le territoire français, bloquant les personnes sur l’île. Le droit du sol y est également restreint : pour en bénéficier, les parents doivent justifier d’un séjour régulier de trois mois avant la naissance de l’enfant, un délai que Gérald Darmanin aimerait étendre à un an pour un des deux parents.

De nombreuses autres dispositions s’appliquent au domaine de l’asile et de la migration. Par exemple, les délais pour déposer sa demande auprès de l’OFPRA sont réduits, l’allocation pour les demandeurs d’asile est remplacée par des bons alimentaires, l’Aide médicale d’état (AME) n’existe pas et le recours contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) est non-suspensif. Ce régime dérogatoire a des implications sérieuses en matière de respect des droits qui sont mis en lumière à travers l’opération Wuambushu.

 

Des risques dénoncés par des associations défenseuses des droits 

Alors que l’opération reçoit un important soutien de la population et des décideurs politiques, des campagnes anti-Wuambushu ont été lancées par des associations défenseuses des droits humains, à l’instar de la Cimade ou de la Ligue des droits de l’Homme, qui dénoncent un climat délétère et des risques d’atteintes aux droits fondamentaux. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a pressé le Ministre de l’Intérieur d’abandonner le projet par crainte d’une « aggravation des fractures et des tensions sociales ». Dans le but de protéger les droits des enfants et particulièrement ceux des mineurs isolés étrangers, Unicef France a également demandé l’arrêt de l’opération. 

Par ailleurs, des organisations locales se sont également dressées contre Wuambushu. Une tribune de plus de 170 soignants mahorais alertait sur les risques sanitaires qu’elle entraînera, de la « limitation à l’accès aux soins » à la généralisation «de situations à risque infectieux épidémique ». Plus largement, des associations demandent à l’État de changer de logique en matière migratoire : elles recommandent de supprimer le régime dérogatoire à Mayotte et de garantir les mêmes droits et services que dans les 100 autres départements nationaux.

Aussi, Wuambushu est-elle à la fois facilitée par la situation exceptionnelle mahoraise, et facilitatrice d’une politique migratoire de plus en plus restrictive à l’égard des personnes migrantes. L’opération devrait prendre fin d’ici deux à trois mois selon Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer. Ses effets et son symbole, en revanche, devraient continuer de structurer la vie politique locale et influencer celle des autres départements d’Outre-mer comme en témoignent les manifestations qui se sont tenues le 10 juin à la Réunion, opposant une nouvelle fois les partisans et les détracteurs de Wuambushu.