
Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
L’association Acceptess-T accompagne depuis 15 ans les personnes trans, notamment exilées, dans leurs démarches administratives, sociales et dans l’accès aux soins. France terre d’asile a rencontré Giovanna Rincon, co-fondatrice et co-directrice d’Acceptess-T et Adèle Lepoutre, juriste au sein de l’association.
De quelle manière est-ce qu’Acceptess-T accompagne les personnes trans exilées dans leur parcours de soin ?
À Acceptess-T, nous avons une vision globale de l’accès aux soins : on s’intéresse aux besoins sociaux et matériels, à l’ensemble des facteurs qui peuvent améliorer ou détériorer l’état de santé d’une personne. Une attention particulière est portée à la santé sexuelle, et de plus en plus à la santé mentale. Les deux sont très liées, car beaucoup de personnes trans exilées ont vécu des violences sexuelles. Nous accompagnons les personnes dans la durée, de la préparation à la demande d’asile et/ou d’un titre de séjour, jusqu’à leur vie après avoir été régularisées.
Certaines personnes sont au début de leur questionnement sur leur parcours de transition, mais ont déjà été persécutées dans leur pays pour ça. Les terminologies et l’activisme trans ne sont pas forcément présents dans leur pays d’origine, elles ne savent pas toujours qu’elles peuvent commencer un parcours de transition si elles le souhaitent, alors on leur explique comment cela se passe ici. On les accompagne aussi pour qu’elles puissent expliquer leur situation et les persécutions subies au cours de leur demande d’asile.
En fonction de la situation de la personne, on peut l’orienter vers l’initiation d’un parcours de transition ou vers la reprise d’un parcours de transition de manière à éviter les ruptures, notamment dans la prise d’hormones. Quand la personne ne connait pas encore son statut sérologique, on lui propose de faire un dépistage rapide des infections sexuellement transmissibles.
On peut aussi fournir un accompagnement administratif et juridique, notamment vers la régularisation à travers le titre de séjour étranger malade pour les personnes séropositives par exemple, en complémentarité avec l’accompagnement dans l’accès aux soins.
Quelles sont les difficultés d’accès aux soins rencontrées par les personnes trans exilées en France ?
À Paris, malgré qu’on ait créé un réseau sensibilisé et formé à la prise en charge des personnes trans, il y a toujours des défaillances dans l’accès aux soins. Déjà parce qu’il est difficile pour nous de former tous les professionnels médicaux quand les changements d’équipes sont fréquents. Ensuite parce qu’aujourd’hui, il n’y a pas de protocoles de qualité adoptés par les institutions dans l’offre de soins. Les personnes accèdent bien aux soins, mais après avoir traversé des situations de discriminations. Par exemple, depuis 15 ans on a signé une convention avec un hôpital à proximité de notre association pour faciliter l’entrée des personnes trans dans le circuit de soins et réduire les incompréhensions entre les patients et le personnel médico-hospitalier. Pourtant, le non-respect du genre et du prénom des personnes trans persiste. Ces pratiques ont aussi lieu lors d’admissions en psychiatrie, à un moment où les personnes sont déjà dans une situation de grande souffrance psychologique : elles peuvent avoir été victimes de transphobie dans leur famille, avoir vécu des violences physiques, avoir traversé des épisodes suicidaires…
Pour les personnes exilées, à ces difficultés s’ajoute le fait de ne pas être françaises. Parfois, elles sont moins bien traitées par le personnel médical qui aurait une vision de la transidentité très eurocentrée.
Dans quelle mesure le statut administratif des personnes trans exilées influence-t-il leur accès aux soins ?
La situation administrative et la difficulté croissante à être régularisé font partie des principaux obstacles dans l’accès aux soins.
Il y a eu une volonté forte des gouvernements successifs de réduire l’accès au séjour pour raisons médicales, et donc l’accès aux soins de santé. Par exemple, maintenant, si on veut faire une demande de titre de séjour étranger malade, il faut attendre un an de présence en France. Donc pendant un an, les personnes ont un suivi médical beaucoup plus difficile, mais doivent tout de même accumuler les preuves de ce suivi.
À l’inverse, les personnes qui demandent l’asile ont seulement trois mois si elles souhaitent faire une demande de titre de séjour pour soins en parallèle de la demande d‘asile. Entamer plusieurs démarches administratives en même temps peut être compliqué pour elles, surtout si elles ne sont pas soutenues par une association. Et souvent, elles n’ont pas vu la mention de ce délai parmi tous les documents délivrés à la préfecture, souvent dans une langue qui n’est pas la leur. Or si elles n’obtiennent pas l’asile, une fois passé le délai des trois mois, elles ne peuvent pas refaire de demande de titre de séjour pour soins si leur situation n’a pas évoluée.
De quelle manière est-ce que les difficultés d’accès au changement d’état civil pour les personnes trans exilées constituent un obstacle supplémentaire dans leur accès aux soins ?
Le principal problème, ce sont les ruptures de droits, car elles complexifient l’accès au remboursement en prolongeant les délais, et peuvent mener à une perte de couverture sociale. Ces ruptures peuvent venir d’erreurs de procédures ou de problèmes informatiques avec l’ANEF notamment. Mais il y a aussi des situations dans lesquelles il y a des accusations de fraudes injustifiées, si une personne a un numéro de sécurité sociale qui indique que c’est un homme et qu’elle reçoit des soins perçus comme féminins, par exemple dans le cas d’un homme trans traité par un gynécologue.
Les ruptures de droits impactent aussi la santé mentale des personnes qui se retrouvent à nouveau dans l’attente et les démarches administratives. Et par anticipation de la complexité du système de santé, de la barrière de la langue et des risques de transphobie, les personnes peuvent s’auto-exclure des soins, ne plus aller chez le médecin et devenir encore plus malades.
Comment adapter l’accueil des personnes trans exilées à leurs besoins de santé ?
Au niveau médical, il faudrait que les structures adoptent un protocole de qualité et intègrent de la formation continue pour que toutes les nouvelles personnes (agents d’accueil, infirmiers, médecins…) puissent être formées à l’accueil et l’accompagnement des personnes trans.
Une autre problématique centrale est le manque d’hébergements adaptés pour les personnes trans exilées. Transitionner pour une personne née en France est déjà difficile, cela l’est encore plus pour une personne étrangère qui arrive dans un système d’hébergement saturé, qui n’offre pas la possibilité d’être orienté vers les bons dispositifs de soins et d’être accompagné dans son parcours de transition.