
Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
Alors que les femmes représentent plus de la moitié des personnes migrantes en France, les politiques d’accueil et d’intégration ne sont pas pensées en fonction de leurs besoins spécifiques, ce qui crée ou exacerbe des situations de vulnérabilité. Nous avons rencontré Marie Lazzaroni, responsable de la Promotion de l’égalité au Samusocial de Paris, afin d’analyser les conséquences de la précarité sur les parcours d’insertion des femmes exilées.
Quels sont les besoins spécifiques des femmes exilées en termes d’accompagnement sanitaire et social, du fait de leur genre et de leur parcours ?
Lorsqu’elles sont à la rue, les femmes exilées rencontrées par le Samusocial expriment d’abord un besoin de mise en sécurité : trouver un lieu d'accueil et d’hébergement en non-mixité, avec des services d'hygiène et de soins, et un accompagnement qui prévient des violences. Pour celles hébergées en hôtel social, le besoin d’accompagnement est différent : beaucoup vivent avec leurs enfants, expriment des inquiétudes vis-à-vis de leur santé mentale, des conditions de vie difficiles en hôtel, et de l’incertitude liée à la continuité de l’hébergement.
L’une de nos enquêtes montre que les femmes exilées sont confrontées à un système de soins parfois illisible, notamment si elles ne maîtrisent pas la langue. Elles peuvent se retrouver sans couverture maladie, ou confrontées à des refus de soins. Ces problèmes sont amplifiés si elles sont en situation de précarité : faute d'accompagnement social, le repérage des troubles, notamment psychologiques, et leur prise en charge en est d’autant plus complexe. La santé sexuelle et affective est également un enjeu majeur : au Samusocial, nous portons un programme de médiation en santé au sein des hôtels sociaux d’Ile-de-France pour y répondre.
À quelles formes de violences les femmes exilées sont-elles exposées en France, en raison de situations de précarité (sociale, économique, administrative...) ?
Les femmes exilées évoluent dans un continuum de violences : dans leur pays d’origine, lors de leur parcours migratoire, puis à leur arrivée en France. Dans notre enquête « Repère » à paraître, nous avons suivi des femmes en situation de périnatalité en Île-de-France, notamment exilées. 2/3 des femmes interrogées sont excisées, et 1/3 ont subi un mariage forcé - qui est très souvent la raison de leur départ.
Une fois en France, elles subissent d’autres formes de violence comme l'errance résidentielle, qui accentue les risques déjà encourus. Par exemple, le fait d'être hébergée chez un tiers augmente les risques d’être victime de traite des êtres humains, comme l’exploitation sexuelle ou le travail forcé. Les centres d'hébergement ou hôtels sociaux, souvent mixtes, sont aussi des lieux où peuvent avoir lieu des violences sexistes et sexuelles, et la rue constitue une situation de risque encore accrue.
Les femmes exilées sont aussi quotidiennement confrontées à de multiples discriminations, ce qui complexifie l’accès à leurs démarches et à leurs droits, constituant une violence administrative. Selon les retours du terrain et de nos études, les violences institutionnelles vécues en France sont nombreuses : négligence, maltraitance, re-traumatisation, remise en doute de la parole et suspicion autour des parcours de migration et des violences vécues... Lorsque les femmes veulent porter plainte par exemple, leur situation administrative peut les dissuader d’avoir recours aux autorités, par crainte de faire l’objet d’une mesure d’éloignement.
Comment le manque de prise en compte du genre dans l’élaboration des politiques publiques françaises participe-t-il à la précarisation des femmes exilées ? Quels obstacles rencontrent-elles dans l’accès aux droits ?
En France, nous avons une approche universaliste des politiques publiques, ce qui conduit en réalité à invisibiliser les problématiques propres aux femmes. La question de la prise en compte des violences ou de la précarité nécessiterait une approche genrée dans la mise en œuvre des politiques publiques, qui ne sont par conséquent pas adaptées aujourd’hui. Les accueils de jour et hôtels sociaux sont souvent mixtes alors que les femmes concernées expriment leur besoin de lieux en non-mixité.
L’insertion économique constitue un enjeu majeur : l’une de nos enquêtes montre que les difficultés liées à la garde des enfants est le plus gros frein dans l’accès au travail rencontré par les femmes hébergées en hôtel social. De plus, les orientations professionnelles sont très genrées : les femmes sont régulièrement dirigées vers des emplois précaires, peu rémunérés, peu reconnus, qui les maintiennent dans une situation de vulnérabilité.
La recherche montre que les femmes ont aussi plus de difficultés à accéder aux soins, pour des raisons financières ou une incapacité à faire valoir leurs droits. Or elles sont plus exposées aux troubles psychologiques que les hommes, à cause des violences de genre qu’elles subissent.
Les femmes exilées en situation de rue peuvent avoir recours à des stratégies d’invisibilisation - en se cachant le plus possible dans l’espace public - comme mécanisme de protection. Quelles conséquences cela peut avoir sur leur accompagnement, leur prise en charge et leur intégration ?
Les femmes à la rue sont en état d’hypermobilité et d'hypervigilance constante. Certaines vont invisibiliser leur genre pour repousser les hommes, ou au contraire essayer de se fondre dans la masse en termes d’apparence - pour elles, l'accès à l'hygiène et aux soins est donc une question de survie pour fuir les stigmates liés au fait d’être sans abri.
Mais le fait qu’elles se cachent les invisibilise : les acteurs de la veille sociale ont plus de mal à aller vers elles, ce qui minimise le nombre de personnes que l’on estime concernées. Les réponses proposées sont ni proportionnées ni adaptées : en termes de quantité – pas assez de places disponibles en accueil de jour - et en termes de qualité (manque d’adaptation et de sécurisation des lieux d’accueil).
Selon vous, quels mécanismes sont nécessaires pour un accompagnement et un accueil dignes et adaptés aux femmes exilées en France ?
Tout d’abord, renforcer le repérage des femmes sans abri en adaptant les dispositifs de la veille sociale pour améliorer la connaissance de leurs réalités et l’aller-vers. Puis leur proposer un hébergement adapté, ainsi qu’une prise en charge pluridisciplinaire par des professionnels formés au post-traumatisme et à l'accompagnement des victimes de violences. Cela demande un travail d’adaptation de nos lieux d'accueil.
Il faut également faciliter l’accès aux titres de séjour et l’insertion par le travail. Les femmes exilées voudraient avoir du temps pour la recherche d’emploi et la formation, mais ne peuvent pas toujours s’y consacrer du fait de leur situation familiale.
Concernant les questions de santé, il est là-aussi primordial de former le corps médical et paramédical au repérage et à l'orientation des victimes de violences. Le recours aux médiateurs et médiatrices en santé est important pour l’accompagnement dans les parcours de soins, la prévention et la sensibilisation. Il faut aussi améliorer le recours à l’interprétariat dans le soin : la barrière de la langue est un énorme frein à l'autonomie. De manière générale, investir dans des moyens pour rendre le plus accessible possible l'information sur les droits des personnes est fondamental.
France terre d’asile a publié, en 2023, 10 recommandations pour mieux prévenir les violences à l’encontre des femmes migrantes et prendre en charge leur conséquence. Ces recommandations demeurent d’actualité. Vous pourrez les retrouver ici.




