fbpx
Main menu

Zoom sur la frontière franco-italienne : l’accueil des personnes exilées et le droit d’asile menacés

Publié le : 25/06/2025

Image

Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

À Briançon, dans les Hautes-Alpes, la militarisation de la frontière et les refoulements fréquents empêchent des personnes d’entrer sur le territoire français et de demander l’asile. Dans ce contexte, le tissu associatif s’organise pour mettre à l’abri, soigner et orienter inconditionnellement les personnes qui traversent la frontière franco-italienne.

Depuis 2015, les politiques migratoires restrictives et la militarisation des frontières françaises contraignent les personnes migrantes à emprunter d’autres parcours  plus longs, plus dangereux, parfois mortels. En dix ans, plus de 30 000 personnes exilées auraient rejoint la France à pied, notamment en passant par la frontière franco-italienne haute (Hautes-Alpes) et basse (Alpes-Maritimes). Depuis 2015, au moins 145 personnes exilées sont décédées en essayant de traverser les frontières alpines.

Pour Brune Béal, chargée de plaidoyer et de contentieux à l’association Tous Migrants, basée à Briançon et engagée pour la défense des droits des personnes exilées, « ce n’est pas la montagne qui rend la traversée dangereuse, c’est la militarisation ». Les personnes qui traversent la frontière vers Briançon tentent de contourner la surveillance policière en empruntant des chemins montagneux escarpés, de nuit, à plus de 1800 mètres d’altitude. L’hiver, les températures peuvent atteindre un ressenti de moins 20°C, la neige cache les sentiers et les risques d’hypothermie et de gelures sont importants. Certaines personnes qui atteignent Briançon ont déjà un long parcours d’exil derrière elles. Actuellement, elles viennent en majorité du Soudan, d’Ethiopie, d’Algérie ou du Maroc, et certaines d’entre elles ont déjà traversé le désert, été détenues en Libye, ont survécu à la traversée de la Méditerranée… Les personnes arrivent à Briançon, souvent à pied, épuisées physiquement et psychiquement.  « On est passés par la forêt, pour éviter les policiers. On a marché cinq heures, de la neige jusqu’aux genoux… C’était difficile » témoigne Franck, parti de Côte d’Ivoire et arrivé d’Italie par la montagne.

Des entraves au droit d’asile

À la frontière, les personnes peuvent être refoulées plusieurs fois par les autorités françaises avant de réussir à entrer sur le territoire, bien qu’elles indiquent vouloir déposer une demande d’asile ou qu’elles présentent des vulnérabilités. Ces violations sont documentées par le recueil de témoignages et des séances d’observations inter-associatives. Selon les autorités, 4 100 refoulements ont été recensés en 2023. « J’ai essayé 10 fois de passer… On a fait du bruit et c’est là que la police nous a repérés et nous a attrapés. La police m’a redéposé à Oulx [Italie], j’avais trop de douleurs… » témoigne une personne arrivée à Briançon, blessée plusieurs fois lors de ces tentatives de passages.

Depuis 2015, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures est utilisé comme un outil dans la lutte contre l’immigration « irrégulière » selon l’Observatoire des libertés associatives. La politique de refoulements des demandeurs d’asile qui en découle est pourtant contraire au droit européen et national. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme alertait dès 2018 sur l’« accès particulièrement difficile, voire impossible, à la demande d'asile, que ce soit à la frontière ou encore sur le territoire ». En 2024, la Défenseure des Droits soulignait « une entrave grave, généralisée et durable à l’accès à la procédure d’asile » à la frontière intérieure franco-italienne.

Image

Un migrant déballe ses affaires au contrôle de gendarmerie après avoir été appréhendé sur la route frontalière du Col de l'Échelle, entre Bardonecchia et Névache, Névache / France - 2017, © Julien Benard

 

La défense d’un accueil digne et inconditionnel

À l’initiative d’associations et de citoyens bénévoles, la solidarité avec les personnes exilées s’organise. Avec d’autres associations, Tous Migrants est présente à la frontière pour documenter les violations des droits et porter assistance aux personnes qui ont traversé la frontière. L’association oriente vers une mise à l’abri adaptée selon les profils et les vulnérabilités.

Les personnes sont orientées vers l’association Refuges Solidaires à Briançon, ou vers des hébergeurs citoyens. Refuges Solidaires ouvre ses portes aux personnes exilées jour et nuit pour offrir une mise à l’abri immédiate et un lieu de repos, rares dans le parcours migratoire. Depuis l’ouverture de l’association en 2017, 32 000 personnes ont été accueillies. Grâce aux bénévoles, les personnes hébergées peuvent bénéficier de trois repas par jour, d’un accès à l’hygiène et à un vestiaire, d’animations… Une permanence médicale est aussi proposée chaque jour, et une permanence juridique est assurée trois fois par semaine.

Les personnes identifiées comme vulnérables (femmes isolées, famille, personnes ayant des problèmes de santé…) bénéficient d’un accompagnement particulier. Elles peuvent rester plus longtemps que la durée moyenne d’accueil, sont hébergées dans des chambres non mixtes, et une attention particulière est portée aux risques de traite des êtres humains.

Aux Refuges Solidaires, les personnes sont accompagnées dans la suite de leur parcours, selon leurs attentes et leurs besoins. « La plupart des personnes ont déjà un projet dessiné dans leur tête, et on a cœur de ne pas aller à l’encontre de ces projets-là. »  explique Rozenn Hany, responsable du pôle accueil de l’association. Ce pôle assure un accès à l’information, et peut orienter les personnes vers d’autres associations dans les villes où elles souhaitent se rendre. Pour celles qui veulent déposer une demande d’asile, la structure de premier accueil des demandeurs d’asile la plus proche est celle de Digne-les-Bains, à plus de 140 kilomètres.

Image

Un migrant guinéen étend le linge sur la terrasse du centre d'accueil d'urgence de Briançon, Briançon / France, 2018© Julien Benard

 
 

Une solidarité en danger

Dans un rapport publié en 2024, l’Observatoire des libertés associatives fait état de la répression des associations qui portent assistance aux personnes exilées aux frontières intérieures. Des pressions financières, policières et judiciaires sont exercées pour dissuader les militants, alors que le « délit de solidarité » a été remis en cause par le Conseil constitutionnel en 2018.

Refuges Solidaires s’est toujours vue refuser ses demandes de subventions publiques et le maire de Briançon (issu des Républicains), aussi Vice-Président du conseil départemental des Hautes-Alpes, a tenté de privé l’association de ses locaux en 2020. Il a également fait retirer le cairn mémoriel qui rendait hommage aux personnes mortes et disparues à la frontière en 2024. Les douze ans de gouvernance municipale à gauche qui ont précédé son mandat, et les débats autour du non-accueil des exilés pourraient faire de Briançon une commune à bascule pour les élections municipales à venir.

En grande difficulté financière, Refuges Solidaires est régulièrement au bord de la fermeture. Pourtant, en 2021, la justice avait rejeté la requête déposée par Tous Migrants pour contraindre l’État à héberger les personnes migrantes dans le Briançonnais. Alors qu’aucune solution d’hébergement n’est garantie par les pouvoirs publics, « l’accueil humain, digne et inconditionnel est la seule solution réaliste », interpellent les associations.

Image

Rassemblement pour le droit d'asile, contre les accords de Dublin et pour la liberté de circulation organisé par le collectif Tous Migrants au Col de l'échelle, Hautes-Alpes, frontière entre l'Italie et la France, Névache / France, 2017 © Julien Benard