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Zoom sur le Centre Primo Levi : soigner après les violences de l’exil

Publié le : 16/09/2025

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© Jean-Christophe Lie

Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

 

Bien que la santé mentale ait été désignée Grande Cause nationale en 2025, l’accès aux soins psychologiques est toujours difficile en France, en particulier pour les personnes exilées qui ont besoin de soins adaptés aux violences subies dans leur pays d’origine et tout au long de leur parcours d’exil. Nous avons rencontré Maxime Guimberteau, responsable communication et plaidoyer au Centre Primo Levi, une association offrant un accompagnement médical et psycho-social aux personnes exilées victimes de torture et de violences politiques.

Les personnes exilées peuvent être victimes de violences tout au long de leur parcours d’exil, que ce soit dans le pays d’origine, durant le trajet ou même une fois arrivées en France. Pour Maxime Guimberteau, la violence rencontrée sur ce trajet est commune à l’immense majorité des personnes exilées, et affecte particulièrement les personnes du fait de sa dimension politique, intentionnelle. Perpétrées ou tolérées par les forces de l’ordre des pays de transit, par des groupes armés dans des pays comme la Libye, la Mauritanie ou le Soudan, ces violences font partie intégrante du parcours d’exil.

Tout cela fait partie d’une volonté de rabaisser, d’opprimer, de soumettre les personnes qui veulent s’exiler.

 

Alors qu’une personne exilée sur cinq est susceptible d’être atteinte d’un trouble psychique grave, arrivées en France, ces personnes se heurtent très souvent à un manque de prise en charge ou à un accompagnement inadapté, qui entravent leur reconstruction, voire aggravent leurs troubles.

 

Un système de soins en santé mentale en crise

Le service public actuel de soins en santé mentale est largement sous-dimensionné par rapport aux besoins, notamment en raison du manque d’effectifs et de ressources. Face à des services saturés, les temps d’attente dans les centres médico-psychologiques (CMP) ou médico-psycho-pédagogiques (CMPP) peuvent aller jusqu’à deux ans.

 

Pour les personnes exilées, qui ne bénéficient souvent que d'une couverture santé minimale, l’accès à ces soins est d’autant plus difficile. Les personnes qui sont reçues au Centre Primo Levi y sont orientées en moyenne deux ans après leur arrivée en France et n’ont, pour la plupart d’entre elles, bénéficié d’aucune consultation psychologique entre-temps. Les dispositifs existants, comme le « rendez-vous santé » de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) pour les demandeurs d’asile, ne permettent de repérer les troubles psychiques graves que dans des situations de « signes apparents très visibles », explique Maxime Guimberteau. Le manque d’interprétariat, peu financé par l’État dans les structures de soins, entrave également l’accès aux soins psychologiques. « C’est difficile de trouver un interprète […]  La dernière fois, j’ai pris un rendez-vous à […], mais je savais que c’est très loin. Donc après, je me disais si je vais à cet endroit et peut-être, il n’y a pas d’interprète, c’est difficile, car je dois déposer et récupérer mes enfants à l’école. C’est un peu difficile, donc », témoigne une personne hébergée dans un Centre d’accueil pour demandeur d’asile (Cada).

 

Toutes ces difficultés s’ajoutent à ce que les professionnels du Centre Primo Levi appellent le « trauma social ». Si des avancées ont été réalisées, les conditions de prise en charge sont en effet largement dégradées, inadaptées aux besoins et aléatoires selon les régions. Les conséquences psychologiques sont considérables. L’incertitude, le manque de ressources, la vie en collectivité dans les centres d’accueil ou les hôtels sociaux, le changement très fréquent d’hébergement, la promiscuité importante, le manque d’intimité, parfois l’insécurité, ravivent le traumatisme et parfois même le créent. Cela s’ajoute aux épreuves subies tout au long du parcours d’exil et empêche de soigner les traumatismes originels. Pour Maxime Guimberteau, l’accès des personnes exilées à des soins psychologiques adaptés représente un enjeu de santé publique. Il défend donc l’augmentation de moyens de dépistage et de prise en charge précoce, et la création de centres spécialisés, à l’image du Centre Primo Levi.  

 

Un accompagnement spécialisé en danger

Le Centre Primo Levi est doté d’une équipe pluridisciplinaire composée de psychologues, médecins généralistes, kinésithérapeutes, juristes et assistantes sociales, qui assurent un suivi adapté des personnes exilées victimes de torture et de violence politique. Le Centre accueille environ 400 personnes par an, dont « 40 % de demandeurs d’asile, 30 % de statutaires (personnes ayant obtenu un statut de protection internationale, ndlr) et 30 % de déboutés de l’asile ». L’objectif de l’équipe du Centre est de participer à la reconstruction des personnes après des traumatismes qui ont créé un « vide psychologique et social », souvent avec des « symptômes de reviviscences, cauchemars répétitifs, perte de conscience de l’environnement réel, amnésie dissociative ou déréalisation », précise Maxime Guimberteau. « On essaye de reconstruire une bulle autour de la personne pour qu’elle ne soit plus impactée par son environnement », poursuit-il, en utilisant l’image d’un puzzle éparpillé « qu’il faut reconstruire pour, petit à petit, recréer le puzzle d’avant ». La durée moyenne du suivi par le Centre est de trois ans, et son approche individualisée a permis à plus de 10 000 patients de retrouver une forme de normalité.

 

En plus de la prise en charge directe, le Centre Primo Levi organise des formations pour les professionnels et bénévoles travaillant auprès des personnes exilées. Près de 3 000 personnes sont formées ou sensibilisées par an, renforçant leur capacité à apporter un suivi adapté, voire à repérer les signes de troubles pour permettre une orientation à temps.

 

Mais malgré leur rôle essentiel comme acteurs de santé publique, les associations comme le Centre Primo Levi font face à des baisses ou des arrêts de financements. Avec seulement une dizaine d’associations offrant un tel accompagnement dans toute la France, et des besoins de prise en charge toujours croissants, « le risque est de laisser la santé mentale de milliers de personnes s’aggraver », alerte Maxime Guimberteau.

Le Centre Primo Levi est partenaire de France terre d’asile, qui lui oriente les demandeurs et demandeuses d’asile accompagnés au sein de la Spada et du Cada de Paris pour une prise en charge en santé mentale.