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Sélim Ben Abdesselem: le dissident d'Ettakatol

Publié le : 25/01/2013

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Qui aurait pensé qu’il quitterait Ettakatol, lui qui incarne parfaitement le profil-type de la nouvelle génération du parti de Mustapha Ben Jaâfar?

Sélim Ben Abdesselem, 42 ans, avocat à Paris, tête de liste d’Ettakatol dans la circonscription de France Nord, vice-président du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale constituante, a fini par rompre les amarres.Il n’est pas le premier à le faire, Khemaies Ksila avait ouvert la brèche, et la liste s’allonge, mais son départ ainsi que celui de trois autres élus, Ali Bechrifa, Selma Mabrouk et Fatma Gharbi, est symptomatique du malaise interne et de l’érosion accentuée. «La seule casserole que je traîne, confie-t-il à Leaders sur le ton de la plaisanterie, c’est celle d’être resté 10 mois à Ettakatol». Retour sur un malaise profond qui fragilise ce parti, pourtant porteur de grandes promesses.

Il avait failli faire une brillante carrière politique en France avec le Parti socialiste et s’était même porté candidat aux législatives, en 2007, en tant que suppléant, dans le 93. Mais, c’est en Tunisie que Sélim Ben Abdesselem voulait s’engager dans le combat. De son père originaire de Kalaa Kebira, au cœur du Sahel, ancien conservateur de la Propriété foncière, puis avocat de renom, il a hérité la droiture, le sens de l’Etat et l’amour de servir la Patrie. De sa mère, Française, il avait été nourri aux valeurs de la Révolution, de la Démocratie et de la République. Ce double ancrage sera toujours le sien. Parti faire son droit à Paris, il s’engagea rapidement dans l’action associative, choisissant France Terre d’Asile, dédiée à l’accueil des réfugiés. Volontaire, puis salarié, il y apprendra beaucoup. Mais, c’est surtout à l’Assemblée nationale française qu’il fera son véritable apprentissage politique. Militant du PS et par les réseaux, il sera, pendant 10 ans, assistant parlementaire  successivement de trois députés socialistes, de 1999 à 2002, dans la majorité, puis de 2002 à 2009, dans l’opposition. Sélim mesurera alors le rôle crucial que joue un assistant auprès d’un élu (ce qui nous manque le plus) et découvrira le travail en profondeur à accomplir tant à l’Assemblée que sur le terrain.

Parallèlement, et après un DEA en droits de l’Homme et un mastère en droit du travail, il réussira le diplôme de l’Ecole d’Avocats. Il rejoindra alors un cabinet parisien prestigieux pour entamer une laborieuse carrière. Cependant, son cœur  battra toujours pour l’associatif, les réfugiés, les opprimés. «De toute façon, je ne me voyais pas passer toute ma vie au Barreau en France, dit-il. Je piaffais d’impatience de pouvoir m’investir en Tunisie».

Un choix, un engagement, mais… La révolution lui en donnera la meilleure opportunité. De retour à Tunis dès les premières semaines, il aura une discussion très intéressante avec celui qui deviendra ambassadeur de Tunisie à Paris, Adel Fekih, qui, d’emblée, lui propose de rejoindre Ettakatol. « En fait, j’avais le choix entre Ettajdid, le PDP et Ettakatol, évoque-t-il. A bien y réfléchir, j’ai relevé que ce dernier avait refusé de participer au gouvernement et a eu la cohérence de ne pas s’associer à la campagne contre l’UGTT. Aussi, Mustapha Ben Jaâfar m’avait paru simple, mesuré et juste dans ses analyses. Dès le mois de mars 2011, ma décision était alors prise. De retour à Paris, il fallait s’atteler avec les quelques militants que nous étions alors à l’implantation d’Ettakatol en France. L’équipe, bien réduite, ne comptait pas plus d’une dizaine de militants dont notamment Adel Fekih, Sondès Zouaghi, Borhan Rassaa, Hakim Becher et Amina Béji. En un mois, on a réussi la tenue d’un grand meeting dans le XIVe arrondissement, sous la présidence de Ben Jaâfar. On s’attendait entre cent et deux cents présents, mais nous avons eu l’agréable surprise d’en accueillir près d’un demi-millier, grâce à une mobilisation sur les réseaux sociaux et la distribution de tracts. Ce fut un bon lancement pour préparer la campagne électorale initialement prévue en juillet 2011. Son report au 23 octobre nous a offert un délai supplémentaire précieux que nous avons pleinement mis à profit, pour nous battre dans les deux circonscriptions de France, celle du Nord et celle du Sud».
«La composition des listes n’était pas facile à faire, poursuit Selim Ben Abdesselem. Il fallait se décider sur les meilleurs candidats capables de se battre contre de grands partis ancrés de longue date au sein de l’immigration tunisienne et qui acceptent, une fois élus, de tout abandonner en France pour revenir s’installer en Tunisie. C’est ainsi que j’ai été désigné tête de liste pour le Nord (avec comme coéquipiers Chama Turki, Taher El Ouni, Helà Ben Youssef et Foued Laroussi), alors que Karima Souid l’a été, de son côté, pour le Sud. Malgré la modestie de nos moyens, comptant surtout sur nos propres ressources, nous avons pu tous deux nous faire élire, au terme d’une merveilleuse et exaltante campagne». Et commencent les frustrations: la toute première déception ressentie aura lieu le jour même de la déclaration des résultats provisoires. Après son élection, Sélim attendait les félicitations du chef de son parti. En vain. Pendant trois jours, personne ne l’avait appelé, tout comme Karima, même pas un membre du Bureau politique. Invité sur une chaîne TV française, il cherchait pourtant un cadrage de discours comme il en avait eu l’habitude au sein du PS, mais Tunis était sous silence radio. Qu’à cela ne tienne ! Sélim le mettra sur le compte du débordement de l’après-élections, même s’il en gardera un petit pincement au cœur. Il finira par avoir un dirigeant au bout du fil qui, au terme d’une discussion cordiale, lui demandera de rentrer le plus tôt possible à Tunis, ce qu’il fera en prenant hâtivement ses dispositions professionnelles et personnelles.

«Je débarque à Tunis, plein d’enthousiasme, se rappelle encore Sélim, et j’essaye de faire la connaissance des équipes et m’y intégrer. D’emblée, on m’associe à la commission de négociation avec les autres partis de la Troïka. Il faut dire que j’étais favorable à la participation d’Ettakatol à une coalition afin de ne pas laisser Ennahdha gouverner seule, en espérant la voir la plus élargie et la plus équilibrée possible et en pensant rester cependant ferme sur les principes, prêt à rompre si le parti majoritaire s’entête dans une logique de domination. J’aurais alors cependant à faire une double surprise et un mauvais pressentiment. D’abord, au sein même de mon parti, où j’ai découvert l’existence d’un premier cercle restreint autour de Ben Jaâfar, qui se réservait toutes les décisions sans nous consulter. Ensuite, lors des négociations avec Ennahdh aet le CPR, on cédait sur presque tout, sans discuter. Sur la composition du bureau de l’Assemblée, par exemple, j’étais pour 4 ou 5 vice-présidents, en réservant un ou deux sièges aux partis de l’opposition, comme cela se pratique en France, et sur plein d’autres points importants de l’organisation provisoire des pouvoirs publics, on n’était que dans l’alignement, sans pouvoir faire passer nos propositions ».

En fait, Selim Ben Abdesselem n’était pas au bout de ses surprises et de ses déceptions. «La direction d’Ettakatol s’acharnera à diaboliser le PDP et dénigrer son score et voulait nous démontrer que nous sommes plus près d’Ennahdha que des autres forces démocratiques. Et comme pour nous en convaincre, on nous disait qu’Ennahdha a changé au contact d’Ettakatol, qu’elle va s’installer pour au moins 20 ans au pouvoir, et que nous devons constituer avec elle un bon partenariat. Un discours effarant. Au sein du groupe parlementaire d’Ettakatol, on était les plus mal à l’aise. On voyait la direction céder sur tout, nous laissant loin des promesses tenues à nos électeurs, frustrés de ne pas pouvoir agir. Les relations commençaient alors à se tendre et la rupture s’amorcer. Mon cœur était de sortir, mais je m’étais dit qu’il fallait essayer de changer de l’intérieur du parti, en se battant sur une ligne critique ».

Hausser le ton n’a pas suffi !

«Le débat au sein d’Ettakatol n’avait pu répondre aux attentes de Sélim. Toutes les critiques en interne n’ont rien apporté. Pas d’écoute réelle, pas de congrès en perspective. On se sentait méprisés, trompés, dupés. Le discours de Ben Jaâfar est digne de la Pravda: mépriser l’opposition, s’aligner sur Ennahdha. Il n’hésitait pas à nous dire: c’est vrai qu’on a sacrifié le parti, mais l’histoire nous donnera raison. Paradoxalement, il était applaudi par une partie de la salle lors de nos instances, mais notre discours à nous était lui aussi applaudi. Du coup, on ne comprenait plus rien. La direction nous réduisait au respect des consignes de vote et je me voyais mal obéir à l’ordre de lever la main pour…»

Rompant cet alignement systématique et haussant graduellement le ton, Sélim Ben Abdesselem commencera à prendre des positions différentes que celle de son parti sur une série de questions. La loi sur les recrutements massifs dans la Fonction publique sans affectation motivée ou l’extradition de Baghdadi Mahmoudi seront les premiers points d’achoppement, après qu’il s’est abstenu sur la loi de finances 2012. Poussant plus loin, il votera contre le limogeage du gouverneur de la Banque centrale, Mustapha Kamel Nabli, et l’investiture de son successeur Chedly Ayari et signera la motion de censure contre le gouvernement.  Il dénoncera les nominations partisanes, le laxisme face à la violence salafiste, l’échec de l’action de nombre de ministres, le refus d’accorder l’autonomie à la nouvelle instance de la magistrature, toujours avec un certain respect pour les institutions et les personnes, mais avec beaucoup de pugnacité. Il n’y sera pas le seul. D’autres élus d’Ettakatol seront eux aussi sur la même ligne, à commencer par Ali Bechrifa, Selma Mabrouk et Fatma Gharbi. Autant de signes avant-coureurs de ce grand malaise dans les rangs qui n’étaient pas perçus à temps par la direction d’Ettatkatol, ou du moins n’ont pas été pris au sérieux.

De nouveaux horizons

L’été a porté conseil et épuisé la patience du quatuor. A la rentrée, la décision était prise : démissionner du parti. Dès le 9 octobre, Fatma Gharbi l’annoncera le matin sur une station radio et une conférence de presse le confirmera dans la journée. «On a drôlement bien fait de partir, affirmera Ben Abdesselem. Quelques jours seulement après notre démission, la fuite de la vidéo de Ghannouchi avec des jeunes salafistes fera tomber les masques sur les véritables intentions. Et pas de réaction forte de la part de ses partenaires au gouvernement! Plus encore, le pays était de plus en plus menacé dans sa stabilité, le coût de la vie s’enflammait, et nous ne pouvions pas cautionner tout cela !». Comment a réagi la direction d’Ettakatol à cette démission ? «Très mal, répond-il. Parce qu’ils ne l’ont sue que par les médias et ne nous croyaient peut-être pas capables d’aller si loin. Pourtant, nous avions boycotté la réunion du conseil national qui s’était tenue quelques jours auparavant à Sousse. C’était là un signe avant-coureur très net. Vous savez, pour nous, un parti n’est pas un syndicat de carrière. Il est plutôt un outil pour défendre nos idées et contribuer à la transformation de la société. Si on n’y parvient pas, autant quitter le parti ».

La démission du parti et, partant, du groupe parlementaire étant consommée, les quatre dissidents ont fait le choix de rester indépendants et de ne rallier aucune autre formation politique. Il est vrai qu’ils se sentaient proches des forces démocratiques, mais ils se sont donné un délai de réflexion. Deux mois après, ils ont décidé de se joindre au groupe parlementaire des Démocrates. «C’est un groupe assez divers, estime Ben Abdesselem. Il permet de participer à la construction d’une opposition qui tienne tête au sein de l’Assemblée. Si cette coalition prend forme et porte ses fruits, le choix d’un parti à rejoindre devient secondaire».

Pour le moment, Sélim Ben Abdesselem s’estime à l’aise dans cette posture. Mais quid des prochaines échéances électorales? Se portera-t-il de nouveau candidat, sous quelle bannière et où? «Rien n’est encore décidé, répond-il. Mais, si je me représente, ce sera dans ma circonscription de France Nord !». D’ici là…

 Leaders, 25/01/2013