Les 14 et 15 novembre, France terre d’asile organisait la première édition du festival Exilées au Ground Control, à Paris. L’objectif : remettre la parole des femmes exilées au centre pour défendre leurs droits et construire un accueil digne.

© Yann Levy
« Je veux plus de droits pour les femmes exilées » ; « Je veux être libre et faire mes propres choix » ; « Je veux avoir une vie stable ». Sur la scène de la salle du Charolais, au cœur du Ground Control à Paris, douze femmes exilées s’emparent tour à tour du micro pour raconter leurs parcours, leurs espoirs et les obstacles qui jalonnent leur vie en France.
Mariages forcés, mutilations sexuelles, répression politique… Toutes ont fui leur pays en raison de violences et sont arrivées en France dans l’espoir d’obtenir une protection internationale. C’est ce qu’elles expliquent aux centaines de personnes venues assister à leur tribune le 14 novembre, jour de lancement du festival Exilées. Débats, témoignages, performances artistiques… Organisé par France terre d’asile, l’évènement vise à porter leurs voix et défendre leurs droits.
« Utiliser nos propres mots »
Inspirée des initiatives de mobilisation et de sensibilisation des « parlements de rue » belges et françaises, cette tribune des femmes exilées donne le champ libre aux participantes pour évoquer les difficultés et discriminations auxquelles elles sont confrontées.
L’accès aux droits, d’abord : arrivée en 2020, Aminata (1) se souvient avoir déposé sa demande d’asile huit mois après son arrivée, faute d’information. « Je ne savais pas que pour le mariage forcé, l’excision et les violences conjugales, on pouvait faire une demande d’asile. Je pensais qu’être réfugiée, c’était être réfugiée politique », relate-t-elle.
Le travail est aussi une grande source d’inquiétude pour les participantes. Infirmière depuis quinze ans, Coumba dénonce un déclassement professionnel : « Il n’y a pas d’équivalence des diplômes ni de validation des acquis de l’expérience. On te dit de tout reprendre, c’est du gâchis. » Pour Mariama, mère isolée, l’absence de solution de garde d’enfant pour les demandeuses d’asile bloque toute reprise d’activité : « Je dois évoluer toute seule. Ça m’empêche d’aller à des rendez-vous importants, de faire du bénévolat, de reprendre mes études, de passer des évaluations pour redevenir médecin comme j’étais avant. »

Illustration de la tribune des femmes exilées réalisée en direct par la dessinatrice Coline Grandpierre
Le manque d’accès à la santé et à l’hébergement est aussi pointé du doigt. Sans réponse depuis trois ans pour l’obtention d’un logement social, Aminata explique devoir rester chez un tiers : « Je veux partir mais je n’ai pas le choix. J’appelle le 115, j’appelle, mais il n’y a pas de place. » Odile, de son côté, craint de se retrouver à la rue : « J’ai eu un rejet de ma demande d’asile et j’ai fait un recours. Si je n’ai pas les papiers, je serai à la rue. » Une situation qu’elle a déjà subie à son arrivée en France : « Je n’avais personne, je dormais dans les gares jusqu’à ce que je demande l’asile. »
D’après l’étude de France terre d’asile Invisibilisation et ruptures au cœur des parcours des femmes isolées exilées à Paris parue en 2025, 74% des femmes interrogées ont déjà dû passer au moins une nuit à la rue. Dehors ou chez des tiers, cette précarité les surexpose aux violences sexuelles, alors qu’une femme exilée a 18 fois plus de risques d’être victime de viols que les autres femmes en France.
« Ça fait trop mal, résume Aminata. On est venues en France pour avoir la protection, on ne veut pas revivre la même chose, on a le sentiment d’être inférieures. » Dans le public, l’émotion est palpable : « Face au durcissement des politiques et discours sur l’immigration, ces prises de parole sont nécessaires, soupire Maya. Il faut que les gens sachent. Il faut briser ce silence-là. »
Ce temps fort du festival est le résultat de six ateliers hebdomadaires coanimés par France terre d’asile et Joëlle Tchdry, psychologue et art-thérapeute. Exercices de théâtre, prises de parole en public, partages de récits personnels… « Je tenais absolument à venir à cet atelier, il me permettait de parler et d’échanger plutôt que de rester seule dans mon logement », affirme Awa, une des participantes. Joëlle Tchdry explique avoir conçu ces ateliers en laissant les idées et ressentis des concernées guider chaque étape du processus de création : « L’objectif était de les aider à renforcer leur confiance en elles et à adresser leurs revendications », retrace l’art-thérapeute. « Nous avons vraiment pu utiliser nos propres mots », lui dira l’une d’elles au sortir de la tribune.
Le lendemain, quatre femmes exilées ont de nouveau pris la scène. Parmi elles, Raliat, qui a rédigé une lettre pour elle-même : « Il y aura des jours où les visages familiers te manqueront, même les visages de ceux qui t’ont fait du mal, mais ne laisse pas la nostalgie te leurrer et te faire croire que cette douleur a le droit de vivre ici. Tu te dois le bonheur. Tu te dois la liberté. » Shukufa, elle, explique « Les femmes exilées ne sont pas des victimes. Elles sont les gardiennes de la mémoire, les voix de celles qu’on ne veut pas entendre, celles qui ont trouvé un chemin vers la lumière à travers l’obscurité. »

Témoignages du samedi 15 novembre.

© Ophélie Chauvin (à gauche) © Yann Levy (à droite)
L’art et l’écriture pour témoigner autrement
Si certaines femmes exilées ont choisi la scène et la vidéo pour raconter leurs vécus, d’autres ont investi le champ artistique. Pour la photographe Pamela Tulizo, qui a présenté l’exposition Baadaye, ces différentes formes d’expression sont complémentaires : « Leur prise de parole est venue matérialiser mes photos, ça a tellement résonné ensemble », sourit l’artiste et résidente de la Cité internationale des arts. Pour réaliser et mettre en scène ces photographies, l’artiste, elle-même exilée, a mené des entretiens avec des demandeuses d’asile accompagnées par France terre d’asile, pour les représenter telles qu’elles se voient réellement, les replacer comme sujets de leur propre récit et déconstruire les représentations stéréotypées des femmes exilées. « Ce qu'elles ont dit pendant leurs prises de parole, c'est ce que j'ai pris en photo. C'était très émouvant de constater cet effet miroir. On vient mettre une image sur des statistiques. »
C’est aussi dans cette perspective que les résidentes des Centres d’accueil pour demandeur·ses d’asile (Cada) de Bègles, Blois, Gap, Melun, Toulon, de l'Hébergement d’urgence pour demandeur·ses d’asile (Huda) de Créteil et les jeunes de Boissy ont présenté témoignages écrits, dessins, collages, peintures ou encore livres-objets dans un autre espace du festival.
Les participantes aux ateliers d’art-thérapie de la Structure de premier accueil des demandeur·euses d’asile (Spada) de Paris, de leur côté, ont présenté Des autres possibles, une exposition immersive au cœur d’une réplique d’avion : des poupées de tissus suspendues, un tas de récépissés rappelant la détresse administrative et couvrant le sol, des créations textiles exposées sur des mannequins. Une manière d’explorer et de partager son expérience de l’exil, de l’identité et du chez-soi. L’affiche du festival a également été réalisée par les participantes de ce même atelier.

Exposition Baadaye signée Pamela Tulizo. © Ophélie Chauvin
Tables rondes et luttes collectives pour un accueil digne
« On peut voir les parcours des personnes exilées de différentes manières : l’art, la photographie, les tables rondes », témoigne un visiteur. « C’est inspirant de voir que ces personnes, qu’on présente habituellement comme des victimes, agissent et participent à la société. Ma famille est concernée par l’exil donc je voulais venir voir un récit de l’exil qui met en valeur les personnes concernées. »
Les tables rondes ont permis d’approfondir les thématiques de l’hébergement et de la santé, et d’apporter un éclairage supplémentaire sur la représentation et les luttes des femmes exilées.
Au fond, selon Ciel, visiteur·euse du festival, c’est l’inclusivité pensée dans sa globalité qui permet de construire des résistances collectives : « C’est important d'avoir des évènements qui impliquent entièrement les personnes concernées dans tous les dispositifs d'échanges et processus : conférences, expositions, et même la présence d’une garderie pour que les personnes avec des enfants, notamment les mères, puissent avoir accès à tous les aspects de l’évènement librement. »

Table-ronde : « Sororité sans frontières : luttes et résistances collectives ». © Yann Levy
Un point de départ, donc, pour continuer à libérer la parole et à se mobiliser pour un accueil digne – car les concernées, elles, regardent déjà vers l’avenir : elles espèrent « être protégée », « revoir [leurs] enfants », « travailler comme chauffeuse de bus », « reprendre les études ». C’est le message que Shukufa, au micro, rappelle une dernière fois : « Ne voyons pas l’exil comme une fin, mais comme le commencement d’un nouveau chapitre pour les femmes du monde entier - un chapitre où aucune femme n’est punie pour exister, et aucune fille n’est obligée de fuir son pays, ou de se fuir elle-même. »
Pour en savoir plus :
- Retrouvez la série documentaire Les vraies histoires de la migration, réalisée à l’occasion du festival, qui donne la parole à Chrysole, Coumba et Daria.
- Découvrez l’exposition Baadaye de Pamela Tulizo jusqu’au 31 décembre 2025 à la Cité internationale des arts
- Retrouvez les enregistrements des tables rondes
- Découvrez le reportage de Radio Nova sur le festival et l’émission La Dernière enregistrée à l’occasion de l’évènement
- Découvrez le dossier spécial de Libération publié à l’occasion du festival
(1) La majorité des prénoms des participantes de la tribune ont été modifiés




