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L’accueil de Mineurs isolés réfugiés : Quels enjeux ?

Publié le : 02/05/2019

 

analyse de la pratique

Depuis 2012, un établissement d’accueil d’urgence de France terre d’asile basé à St Omer (Pas-de-Calais) reçoit des mineurs isolés réfugiés, en les protégeant des enjeux des populations en transit vers la Grande Bretagne depuis la zone de Calais. Jean-François ROGER, Directeur régional, en charge de l’établissement, en explique le contexte de la création, le dispositif original mis en œuvre à ses débuts et les caractéristiques de l’équipe d’accueil. Il s’exprime sur les motivations de l’ouverture à l’automne 2018 d’un dispositif de groupe d’analyse des pratiques.

 

Dans quel contexte s’inscrit la création de l’établissement d’accueil d’urgence que vous dirigez ?

« Il faut revenir à l’année 2002, année de la fermeture de l’établissement d’accueil de Sangatte, établissement de la Croix Rouge. L’émigration dans le Pas-de-Calais y est régulière et soutenue. Les accords du Touquet en fixent la répartition entre la France et la Grande Bretagne. La Grande Bretagne est perçue par les migrants comme la destination la plus favorable à leur accueil : pas de titre de séjour, un marché du travail libéralisé et la représentation d’un travail aisé à trouver. Le territoire de Calais reçoit un flux continu de populations parmi lesquelles de mille à deux mille mineurs isolés sont présents. Le dispositif de Protection de l’Enfance répondait alors au besoin d’accueil, mais le taux de fugue, de l’ordre de 98 %, ne permettait pas de stabiliser leur situation. »


Qu’est-ce qui se jouait dans cet appel des mineurs à poursuivre leur transit ?

« Le territoire de Calais a cette spécificité que, placé en face de la Grande Bretagne, il accueille en majorité des populations anglophones décidées à faire la traversée. Les adultes qui entourent les mineurs isolés peuvent faire obstacle à leur protection en les incitant à continuer leur chemin. Certains des mineurs ont déjà contracté une dette économique importante lorsqu’ils arrivent à Calais. S’arrêter en France est représenté comme un échec tant à l’égard de la famille que du pays de destination. »


Comment France terre d’asile aborde cette question de la protection des mineurs isoles depuis le Calaisis ?

« Les populations de mineurs isolés sont majoritairement originaires d’Erythrée, d’Afghanistan, d’Ethiopie. Ces jeunes ont connu un risque pour leur vie qui les a poussé à fuir. D’autres ont eu un parcours traumatisant du fait de pays traversés comme la Libye, en conflit ou en guerre. En 2009, France terre d’asile a proposé un dispositif inédit avec de la maraude, c’est-à-dire aller vers les populations dans les zones de transit. Discuté à partir de 2009, le dispositif a été ouvert en 2012. Il est financé à 99% par le Conseil Départemental du Pas-de-Calais et pour 1% par la Direction Départementale de la Cohésion Sociale – DDCS – qui relève des services de la Préfecture. Il aura fallu trois ans pour trouver une commune d’accueil. La Ville de St Omer avait répondu à l’appel aux collectivités par son maire. L’accueil de mineurs isolés à St Omer s’inscrivait dans une position du Préfet du Département, de ne pas ajouter de dispositif à Calais, pour que les jeunes puissent être accueillis et puissent se reposer en dehors de ce qui se joue à Calais. Initialement, notre établissement avait été ouvert pour trente places. Aujourd’hui, il en compte quatre-vingt. »


En quoi consiste la maraude ?

« L’équipe de maraude comprend des professionnels travailleurs sociaux et anciens mineurs isolés. Leur rôle est de se rendre sur le site de transit de Calais, de rencontrer des jeunes, leur donner de l’information sur les possibilités d’accueil en France, de témoigner de leur expérience. Les rencontres ont lieu dans la langue des pays d’origine des jeunes. Le premier temps de présence régulière à Calais consiste à créer une relation de confiance. Proposition est faite aux jeunes de s’éloigner quelques jours de Calais, de se reposer, de répondre à leurs besoins vitaux : se vêtir, manger, dormir, et de réfléchir avec l’équipe de France terre d’asile à leur projet de vie (principalement la stabilisation en France mais également le regroupement familial lorsqu’il est envisageable. L’équipe de maraude dispose d’une bande dessinée, distribuée sur le site de transit de Calais. »


Certains des mineurs isolés ont de la famille en Grande Bretagne. Quelle est la position votre association ?

« Depuis 2016, France terre d’asile a développé une expertise dans l’accompagnement de jeunes auprès de leur famille dans le cadre des procédures de réunification familiale. Le règlement Dublin III permet aux jeunes ayant de la famille proche (père, mère, soeur, oncle ou tante) de les rejoindre légalement lorsque ces derniers disposent de moyens d’accueillir le jeune. France terre d’asile informe les jeunes de cette possibilité et les accompagne ensuite dans la démarche qui peut prendre plusieurs mois, en relation avec les autorités préfectorales françaises et le Home Office britannique. »


Une fois accueilli à St Omer dans votre établissement, se pose la question de l’évaluation de la minorité.

« Le Conseil d’Etat a contraint l’Etat à mettre en place des moyens d’identification des MIE sur les camps du Calaisis. L’évaluation sociale est mise en place depuis la circulaire Taubira de juin 2013 et reprise dans les dernières évolutions législatives en matière de protection de l’enfance. A ce stade, la moitié des mineurs demandent à être évalués, l’autre moitié repart volontairement vers le Calaisis. L’évaluation médicale est contestée depuis des années par les experts médicaux pour son imprécision due à des critères obsolètes et non appropriée aux mineurs étrangers.»


Que signifie évaluation sociale ?

« Dans le dialogue avec chaque mineur, nous prenons en compte des éléments tels que la famille, la scolarité, les étapes du parcours migratoire, les conditions de l’arrivée en France. Ce sont des faisceaux d’indice qui confirment ou infirment la minorité. Dans l’évaluation, l’apparence physique du jeune nécessite de s’en détacher, pour écouter le récit et analyser le discours. Si nous disposons d’une trame d’évaluation depuis la Loi Taubira, son interprétation et la mise en oeuvre de méthodologies diffèrent. Un échange entre évaluateurs a pour but de confronter ces pratiques. L’évaluation reste une responsabilité engageante pour les professionnels et France terre d’asile du fait que les décisions du Parquet (Procureur de la République) reprennent les conclusions de l’évaluation. »


Qu’est-ce qui du rôle du Parquet a des effets sur la responsabilité de France terre d’asile ?

« Depuis 2012, les Parquets ne recourent plus à l’évaluation médicale, jugée non pertinente. Aussi cela renforce la responsabilité des évaluateurs. »


Venons-en à votre choix d’ouvrir en 2018 un dispositif de groupe d’analyse de pratiques pour l’équipe de votre établissement.

« Depuis 2012, je suis directeur d’une équipe pluri-disciplinaire aux profils différents. Des travailleurs sociaux, des évaluateurs et des maraudeurs au profil de médiateur. Une équipe jeune. Pour certains des professionnels, c’est une première prise de fonction dans le secteur social.

Le tableau des mineurs que j’ai présenté tout à l’heure faisait état d’une population aux parcours différents, et très souvent lourds, chargés. Les professionnels entendent des récits de jeunes qui ont vécu plusieurs années dans la rue ; d’autres sont passés par des pays en conflit ; d’autres ont été vendus comme esclaves objets de violence sexuelle. D’autres ont traversé la Méditerranée, secourus in extremis. Ils ont pu voir périr leurs homologues.

Par l’ouverture d’un dispositif de groupe d’analyse des pratiques, j’entendais proposer à l’équipe qu’elle mette à distance et au travail l’accompagnement de jeunes, de prendre du recul et de revisiter des situations individuelles et groupales complexes (NDLR : les mineurs entre eux). Cet espace d’analyse et de parole s’adresse à de jeunes professionnels, comme je l’ai indiqué, certains en première expérience du secteur social, animés par un idéal de travail avec des mineurs isolés qui, dans ce qui se passe au travail : le réel, s’avère engageant, lourd et complexe. »

 

Le Billet de Marc LASSEAUX
Donner de la visibilité aux Invisibles à l’œuvre

La question de la migration fait clivage et le langage dit ce clivage sociétal et politique. Le terme de « migrant » en lui-même ramène dans le débat politique des personnes à une catégorie, avec ses effets de systématisation d’une représentation enlevant toute humanité et singularité à des Sujets. Comme le rappelle Jean-François Roger dans l’interview, la cause du départ de jeunes de leur pays d’origine n’est pas de rechercher du confort ou une quelconque commodité. Les causes ce sont la guerre, la misère, l’injonction à trouver du travail pour survivre, toutes formes de violences politiques qui sont exercées à l’endroit de personnes.

La loi française sur l’accueil de populations en errance a ses limites, et de ce fait elle a aussi son cadre. En répondant à la demande d’accompagnement des deux équipes de France terre d’asile à St Omer, dont celle qu’anime Jean-François Roger, j’avais pour but de soutenir celles et ceux travailleurs sociaux qui humanisent le lien à de jeunes mineurs par leur présence, leur engagement professionnel, et répondent de leur responsabilité à des questions éthiques, sociétales et cliniques dans leur travail quotidien.

 

Analyse des pratiques, par Marc LASSEAUX le 02/05/2019