
À l'heure où les parlementaires étudient plusieurs propositions de loi visant à durcir le caractère répressif de la rétention administrative et à restreindre l’accès des personnes étrangères retenues à leurs droits, les associations intervenant dans les centres de rétention administrative (CRA) – Forum réfugiés, France terre d’asile, Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte – publient collectivement leur rapport annuel. 40 ans après la création du premier CRA, elles y dressent le constat accablant d’une utilisation de plus en plus massive et disproportionnée de l’enfermement administratif, de situations individuelles dramatiques et de violations fréquentes des droits fondamentaux des personnes retenues.
Si le texte examiné au Sénat le 12 mai prochain visant à confier à l’OFII la mission d’assistance juridique dans les CRA était adopté, il porterait un coup grave à l’accès aux droits des personnes privées de liberté, à la transparence démocratique et à la place des acteurs de la société civile dans le contrôle des politiques publiques.
En 2024, plus de 40 000 personnes ont été enfermées dans les CRA de France hexagonale et d’Outre-mer.
A l’occasion du 40ème anniversaire de la rétention, ce rapport retrace son histoire, du scandale du hangar d’Arenc aux structures ultrasécuritaires des CRA d’Olivet et de Lyon 2. Il décrypte les principales évolutions observées ces quatre dernières décennies, où les réformes successives ont élargi le cadre de son utilisation, réduit les dispositions protectrices et laissé de plus en plus de place à la libre appréciation des préfectures et à l’arbitraire qui en découle.
La loi asile et immigration du 26 janvier 2024[1] a supprimé les protections contre l’éloignement dont bénéficiaient certaines personnes du fait, notamment, de leur état de santé ou de l’intensité de leurs liens familiaux sur le territoire français. Elle a sacralisé l’utilisation de la notion de « menace pour l’ordre public » comme critère central pour justifier les décisions de placement et de prolongation de la rétention, en dépit de son caractère flou et discrétionnaire. Les décisions administratives d’expulsion et de placement en rétention prennent ainsi de moins en moins en compte la situation individuelle des personnes concernées. Aussi, à rebours de nos constats répétés sur l’impact délétère de l’enfermement sur la santé physique et mentale, notamment des personnes les plus vulnérables, la durée moyenne de rétention n’a cessé d’augmenter, atteignant en 2024 près de 33 jours.
L’augmentation progressive du nombre de places dans les centres et locaux de rétention, ainsi que l’allongement au fil des réformes de la durée maximale d’enfermement sont autant de mesures pensées exclusivement à l’aune de la chimère selon laquelle enfermer plus permettrait d’éloigner plus. Le taux d’éloignement depuis les CRA n’a cependant que très peu augmenté, de 36 % environ en 2023 à 39 % en 2024 depuis l’Hexagone. Ce chiffre met en lumière l’utilisation détournée, à visée presque carcérale, de la rétention, pourtant légalement conditionnée à l’existence de perspectives réelles de renvoi et justifiée uniquement par des motifs administratifs.
Dans les Outre-mer, notamment à Mayotte qui concentre la majorité des placements, de graves atteintes aux droits fondamentaux sont constatées chaque jour et facilitées par l’application d’un régime dérogatoire qui permet des éloignements rapides, souvent antérieurs à (et donc en l’absence de) tout contrôle judiciaire. De nombreux enfants continuent notamment d’y être enfermés, malgré les condamnations multiples de la France par la Cour européenne des droits de l’homme.
Face à ces constats alarmants, le rôle de vigie et de contre-pouvoir exercé par nos associations, directement menacé par le projet de loi visant à confier à l’OFII (organisme sous tutelle du ministère de l’Intérieur) le travail d’information des personnes retenues sur leurs droits, est plus que jamais essentiel. A l’occasion de la sortie de ce nouveau rapport, nous appelons les parlementaires à ne pas franchir une ligne rouge : celle qui sépare une démocratie respectueuse de ses principes d’un système où le respect des droits fondamentaux devient une variable d’ajustement. Maintenir une assistance juridique indépendante en CRA, ce n’est pas défendre un intérêt sectoriel. C’est défendre l’Etat de droit, la transparence et la dignité dans un domaine où ils sont trop souvent mis à mal. Et plus que jamais, nous appelons nos élus à mettre un terme à ces politiques migratoires stigmatisantes et répressives, et à assurer le respect scrupuleux des cadres légaux et des droits fondamentaux des personnes étrangères.
[1]LOI n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (1) NOR : IOMV2236472L
Contact presse : Yohan Cambet-Petit-Jean, Responsable communication : 07 63 57 72 73