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Tribune - Trois membres de France terre d’asile sont emprisonnés à tort en Tunisie : libérez-les

Une tribune de Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France terre d'asile, parue initialement dans Libération le 27 mai 2025. 

 

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 Yadh Bousselmi, Mohamed Joo et Sherifa Riahi

 

Accusés d’avoir hébergé et accompagné des personnes migrantes vulnérables, des collaborateurs de l’ONG sont toujours détenus alors que l’association a été mise hors de cause par la justice tunisienne.

Depuis un an, trois de nos collègues en Tunisie – Yadh Bousselmi, Mohamed Joo et Sherifa Riahi – sont détenus dans le cadre de poursuites liées à nos actions d’accompagnement des réfugiés et des personnes vulnérables présentes sur le sol tunisien. Trois autres collègues sont également sous contrôle judiciaire. Pour autant, leurs missions ont été menées dans le cadre légal national, en conformité avec les engagements internationaux de la Tunisie, notamment la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Ce sont des professionnels ayant agi dans un cadre réglementé, clair et transparent. Cette situation, injuste et douloureuse, n’a plus aucune justification. La justice tunisienne a levé les accusations visant notre organisation. Il est temps que, par cohérence, cette décision s’applique à celles et ceux qui n’ont fait qu’agir pour elle.

En mai 2024, nos bureaux à Tunis, Sfax et Sousse ont été perquisitionnés. Six membres de notre équipe ont été interpellés. France terre d’asile elle-même a été mise en cause. Après plusieurs mois, le juge d’instruction a tout d’abord abandonné les charges criminelles contre nos collègues et notre association. Cependant, en février, sur appel du parquet, la chambre de mise en accusation a rétabli ces charges contre nos collègues, mais a écarté de toutes poursuites l’association. Pourtant, nos collègues restent détenus, comme si leur engagement pour le respect du droit pouvait justifier une suspicion durable.

L’accusation principale ? L’hébergement et l’accompagnement de personnes migrantes vulnérables. Or, ces hébergements ont été réalisés dans le cadre d’une réponse humanitaire et apolitique, concertée avec les autorités tunisiennes et les organisations internationales compétentes.

 

Derrière ces noms, il y a des vies

Depuis 2012, le bureau tunisien de France terre d’asile, inscrit au journal officiel, mène en Tunisie des projets au service des réfugiés et des personnes grandement vulnérables. Nos actions sont conduites avec rigueur, en partenariat avec les autorités nationales : le Haut-commissariat des Nations unis pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans le cadre d’accords officiels, suivis et audités. Ces actions constituent l’application concrète des engagements internationaux de la Tunisie. Rien dans l’activité de nos professionnels salariés de notre organisation ne s’est écarté de cette ligne.

Derrière ces noms, il y a des vies. Et ce sont ces vies que cette situation continue de bouleverser. Yadh Bousselmi, directeur de notre bureau en Tunisie, est un homme dont le parcours force le respect. Juriste, diplomate, conseiller au ministère des Affaires étrangères, représentant de la Tunisie aux Nations unies, il a choisi de mettre ses compétences et son expertise sur les questions migratoires au service de l’application concrète des textes internationaux et des normes nationales relatives aux droits de l’homme. Son engagement professionnel en tant que directeur prolonge son engagement pour son pays. Aujourd’hui, il est éloigné de son épouse, de sa famille, de sa mère malade et de sa fille de 6 ans, Aïsha (1) qui attendent toutes et tous son retour.

Mohamed Joo est directeur administratif et financier depuis 2020. Professionnel rigoureux, travailleur intègre, il est aussi père de famille. Lina (1), 13 ans, Selma (1), 10 ans et Youssef (1), 7 ans, ainsi que son épouse et sa mère gravement malade attendent depuis une année le retour d’un père, d’un mari et d’un fils qu’ils ne voient plus. Sherifa Riahi, ancienne directrice du bureau, est une voix reconnue dans la société civile tunisienne sur les questions de migration et de protection. Son expérience au sein de l’OIM et son engagement local en ont fait une interlocutrice respectée. Aujourd’hui, elle est tenue à l’écart de ses deux très jeunes enfants : Adam (1), 4 ans et Leïla (1), 1 an, séparée d’eux dans un moment de leur vie où la présence d’une mère est irremplaçable.

 

Une incertitude insupportable

Le maintien en détention de ces femmes et de ces hommes en raison de leurs fonctions professionnelles, alors que l’association a été mise hors de cause, soulève des interrogations légitimes. Nous souhaitons croire que la justice permettra de clarifier les faits avec sérénité et dans le respect des droits de chacun. Mais ce que nous savons déjà, c’est que rien ne justifie qu’ils restent enfermés.

Nous appelons les autorités tunisiennes à prendre la mesure de l’urgence humaine que représente cette situation. Le temps de la détention, dans des conditions extrêmement difficiles, loin de leurs proches et dans une incertitude insupportable, ne peut se prolonger indéfiniment, surtout quand les faits reprochés relèvent d’un travail accompli avec loyauté, sous mandat, et dans un cadre légal.

Nous appelons également les autorités françaises et européennes à intervenir avec responsabilité. Ces femmes et ces hommes ont agi au nom d’une ONG française, dans le cadre d’une solidarité prévue par le droit international, essentielle. Les protéger, c’est défendre les principes d’une coopération fondée sur l’humanité, la rigueur et la confiance mutuelle. Leurs proches les attendent. Leurs enfants grandissent dans l’absence. Et nous, leurs collègues, restons fidèles à cette exigence simple mais essentielle : justice, dignité, liberté. Libérez-les.

 

(1) Certains prénoms ont été modifiés.