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"Défenseure des enfants": 16% des réclamations - les mineurs isolés

La Croix - Les lourds dossiers de la « défenseure des enfants »
 

D’ici peu, l’institution présidée par Dominique Versini pourrait disparaître au profit d’un « défenseur des droits » aux compétences élargies. « La Croix » a suivi le travail de son équipe
 

C’est en regardant la télévision qu’Aline (1), 12 ans, a entendu parler de la défenseure des enfants. Alors, avec l’aide d’un infirmier, elle a rédigé une lettre pour elle. La jeune adolescente a été confiée à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) en raison de graves problèmes familiaux.

Aline est une enfant difficile, souffrant de troubles du comportement qui exigent un placement en famille d’accueil dite « thérapeutique ». Seulement voilà : en Guyane, où elle réside, le manque de telles familles a conduit les services sociaux à la « placer » provisoirement dans un hôpital psychiatrique pour adultes, dans l’attente d’une solution.

« Je devais y être pour quinze jours, mais je crois qu’on m’a oubliée », écrit en substance l’enfant désespérée, qui demande simplement à « aller à l’école » et à vivre « comme les autres ». Le courrier fut pris très au sérieux par la défenseure des enfants, Dominique Versini, et son équipe.

Des lettres d’enfants et d’adolescents – pas toute aussi graves, heureusement –, il en arrive plusieurs centaines par an dans la boîte postale ou électronique de cette institution indépendante, créée en 2000. Au total, en 2009, plus de 1 500 nouvelles « réclamations » lui ont été adressées, émanant de jeunes eux-mêmes, mais aussi de parents, de grands-parents, de voisins, d’associations, qui s’inquiètent de la situation d’enfants. Maltraitance, conflits familiaux, défaut de prestations sociales, mineurs étrangers isolés, handicap… la palette est très large, mais tous les courriers sont examinés.

Face aux lenteurs, Dominique Versini monte, elle-même, au créneau

Ils passent d’abord entre les mains de Carol Bizouarn, chef du service des réclamations, qui en évalue l’urgence. Le cas d’Aline en est une. L’adolescente n’a rien à faire au milieu d’adultes atteints de troubles psychiatriques graves, elle y est même en danger. Le correspondant territorial en Guyane est immédiatement envoyé sur place et confirme la situation. Au siège, à Paris, dans le 13e arrondissement, on s’active pour qu’une place appropriée soit trouvée rapidement. Des contacts sont pris avec le président du conseil général, le procureur...

Face aux lenteurs, Dominique Versini monte, elle-même, au créneau et finit par obtenir gain de cause. Aline peut enfin poser ses valises et ses soucis dans un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep). « Il y a une autorité morale de l’institution. Quand j’appelle un élu ou un magistrat, on me répond tout de suite », fait observer la défenseure.

Les réclamations sont étudiées au sein d’un comité d’évaluation qui, trois fois par semaine, réunit la juge des enfants, Carol Bizouarn, et les chargées de mission. Chacune a sa spécialité : assistante sociale, juriste, parfois avec une expérience associative (à SOS Enfants disparus, France Terre d’asile, etc.)...

Cet après-midi-là, les courriers examinés ne posent pas de grandes difficultés. Il s’agit d’abord d’une mère qui écrit parce qu’elle ne touche pas d’allocations familiales pour ses enfants de 4 et 7 ans. Une autre, dont le fils de 15 ans vit actuellement en Haïti, se plaint de blocages administratifs dans la procédure de regroupement familial, qui devrait normalement être facilitée compte tenu du tremblement de terre. Carol Bizouarn donne ses directives : « Il faut lui demander des pièces justificatives puis contacter l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration), afin de comprendre où ça bloque. Si besoin, on interviendra auprès de la préfecture. »

Plus du tiers des réclamations sont liées aux séparations

Le troisième document examiné ce jour-là est un courriel signé par Martin, 7 ans. Le texte est succinct, bien écrit malgré des fautes d’orthographe. Il raconte que l’enfant souffre de relations très conflictuelles avec sa « belle-mère », qui serait violente non seulement avec lui mais aussi avec son père. Autour de la table, l’équipe est d’abord prudente. Ce message, en effet, pourrait avoir été écrit par un adulte, compte tenu de sa syntaxe élaborée ; en outre, en admettant qu’il émane bien de Martin, sa démarche pourrait être téléguidée par sa mère pour, par exemple, qu’il n’aille plus séjourner chez son père. À ce stade, il est trop tôt pour le dire. Ce sera à Géraldine, l’une des chargées de mission, de décortiquer l’affaire et de veiller à ce que l’institution ne soit pas instrumentalisée.

Année après année, les conflits familiaux demeurent le premier motif pour lequel on écrit au défenseur des enfants. Plus du tiers des réclamations sont liées aux séparations. Contestation des droits de visite, d’autorité parentale... il arrive même que des grands-parents s’adressent à l’institution pour proposer d’assumer la garde de l’enfant afin de le protéger des déchirements de ses parents.

« Souvent, on commence par expliquer aux familles que nous ne pouvons pas contester une décision de justice, explique Carol Bizouarn. Ce n’est ni notre rôle, ni en notre pouvoir. » Pour autant, l’intervention de la défenseure s’avère souvent essentielle : soit parce qu’en filigrane elle identifie une situation de danger pour l’enfant, qui peut alors conduire au signalement ; soit, tout simplement, parce qu’elle parvient à apaiser les tensions. Il faut parfois peu de chose : expliquer les motivations du juge, aider la famille à renouer le dialogue… « Nous mettons de l’huile dans les rouages ; notre rôle, c’est surtout d’être un tiers médiateur », souligne Nathalie, coordinatrice dans l’équipe.

C’est surtout vrai pour les mineurs étrangers, qui représentent 16 % des réclamations en 2009 et qui n’ont souvent aucun autre recours. À l’instar de Denis, un Congolais de 16 ans arrivé seul en France, après avoir subi la torture dans son pays. Se fiant à son « âge osseux », l’aide sociale à l’enfance refusait de le prendre en charge, le condamnant à l’errance. « Nous avons saisi le conseil général, en rappelant que cet adolescent avait obtenu le statut de réfugié, précise Nathalie. Il est aujourd’hui pris en charge, bénéficie d’un logement et d’un suivi éducatif. Il peut enfin se construire. »

Par Marine LAMOUREUX

La Croix, le 14/03/2010