L’Europe ne peut faire du troc de réfugiés avec la Turquie ni transiger sur ses valeurs et ses principes
Communiqué de presse
Suite au sommet entre l'Union Européenne et la Turquie du 7 mars, un projet d'accord d'une brutalité invraisemblable a été mis sur la table: l'Union Européenne, prix Nobel de la paix, s'y déshonore en entendant traiter des êtres humains, ayant fui leur pays en guerre, comme de vulgaires marchandises.
Le droit d’asile est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Alors que selon le HCR, 91% des personnes débarquant sur les côtes grecques sont de potentiels réfugiés et que 60% sont des femmes et des enfants, les pays européens font preuve d’inhumanité face à cette détresse. Pourtant, cet exode implique l’accueil et les pays européens font preuve d’inconséquence, en ne faisant que repousser une prise de décision inéluctable.
Le projet d’accord UE-Turquie bafoue le droit international et européen. Il envisage des expulsions collectives interdites par la Convention européenne des droits de l’Homme. Il met à mal le droit individuel de chacun à l’asile et le principe de non refoulement, garantis par la Convention de Genève et la législation européenne sur l’asile. La Turquie ne peut être considérée comme un pays sûr pour tous les demandeurs d’asile et elle renvoie de nombreuses personnes vers leur pays d’origine sans étudier leur besoin de protection.
Cet accord est aussi immoral car il organise un troc d’êtres humains qui conditionne les chiffres de la réinstallation au nombre d’expulsions de personnes ayant risqué leur vie. Pour chaque Syrien expulsé vers la Turquie, un Syrien serait accueilli en Europe.
L’Europe se voile la face en imaginant qu’elle peut se barricader et se décharger de ses responsabilités sur la Turquie, pays qui accueille déjà plus de 3 millions de réfugiés. Ces derniers, mus par l’énergie du désespoir, d’un côté, et sollicités par les passeurs attirés par l’appât du gain, de l’autre, trouveront d’autres routes, plus dangereuses et plus coûteuses, pour atteindre leur but.
L’augmentation de la proportion de femmes et d’enfants en Grèce est une conséquence directe de la fermeture des frontières et de la restriction des possibilités de regroupement familial. N’ayant d’autres solutions que de risquer leur vie pour rejoindre les membres de leur famille déjà présents en Europe, des familles entières, des bébés aux vieillards, se voient contraintes d’embarquer sur des radeaux de fortune.
Et pourtant le plan européen laisse entrevoir une solution humaine : pour contrer le business des passeurs, il faut proposer des voies légales d’accès, comme la réinstallation ; mais aussi les visas humanitaires ou le regroupement familial. Des mesures pour organiser la venue des réfugiés, depuis la Turquie, mais aussi la Jordanie, le Liban, l’Irak, peuvent être mises en œuvre. Mais cela ne doit pas empêcher les États européens d’assumer leurs responsabilités pour ceux qui arrivent par leurs propres moyens : en garantissant un examen individuel de la demande d’asile et en faisant preuve de solidarité avec les pays en première ligne, notamment par un mécanisme de redistribution.
Obsédés par la crainte de l’étranger et quelques bruyants extrêmes, l’Europe se déshonorera en entérinant cet accord lors du Conseil européen des 17 et 18 mars.
Nous attendons du Président de la République qu'il exclue de cet accord toute mesure illégale et immorale et qu'il préserve la tradition d'accueil que la France réserve aux réfugiés depuis des siècles.
Alain Le Cléac’h, Président de France terre d’asile
Pierre Henry, Directeur général de France terre d’asile
Le 16/03/2016