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Comment les Roms ont été chassés de la porte de Choisy

TEMOIGNAGE


Depuis la rentrée de septembre, les squats et les bidonvilles occupés par des familles roumaines sont évacués à tour de bras. Après Saint Denis, Villepinte, Bondy, Argenteuil, Clichy la Garenne, le terrain de la Porte de Choisy où vivaient 10 familles a été évacué. Comme ailleurs, rien d'adapté n'a été proposé. Témoignage d'une riveraine sur ce qui s'est passé sur le terrain de Choisy et les semaines qui ont précédé l'évacuation.


Je connaissais à peine ces familles lorsque la mairie a commencé à s'intéresser à leur « terrain », appellation politiquement correcte pour ce qui est en réalité un bidonville. L'été approchait, les familles roms devenaient trop visibles.


Quelques jours plus tôt, j'étais passée les rencontrer pour leur proposer de les aider. Membre d'une association, ma mission est d'accompagner les personnes en situation précaire ; les familles roms comme les « sans domicile ».


Elena, son mari Micha, Nicolae et les autres cousins habitaient là, depuis six mois, au bord du périphérique. Une maisonnette et des containers squattés, quelques baraques faites de planches de bois. Ni eau ni toilette.


Ils ont quitté la Roumanie et sont venus en France, bercés par l'espoir d'y trouver une meilleure vie et un travail. Une migration économique comme tant d'autres, loin des stéréotypes d'opportunistes véhiculés par la croyance populaire, Micha et ses frères se débrouillent.


Comme tous les Roumains, ils bénéficient de la liberté de circulation mais ne peuvent pas travailler. Pour survivre, Micha fait les poubelles et vend ses trouvailles aux portes de Paris.


Avoir des toilettes, l'eau potable…


Rapidement, nous tentons de défendre leurs droits à la mairie : avoir des toilettes, de l'eau potable et scolariser les enfants. Pour seule réponse, ils apprennent que le terrain sera évacué « rapidement ». C'est le début d'un combat perdu d'avance.
Des cas de tuberculose contagieuse sur le terrain suspendent l'évacuation ; les pouvoirs publics ne peuvent se permettent de pousser « au déménagement » des personnes contagieuses. Chacun se rend à un dépistage, partagé entre l'espoir d'être sain et celui d'être contagieux pour pouvoir rester sur le terrain où ils se sont construits une vie.
Avec les parents, nous tentons d'inscrire les enfants à l'école. La mairie refuse : l'expulsion imminente fait que les enfants ne sont pas stabilisés. Le lendemain, une mère fait une tentative de suicide et les enfants reprennent leur mendicité au feu rouge regrettant que les bancs de l'école leur soient interdits malgré l'obligation légale.


L'angoisse de devoir partir « demain »


Les semaines passent et aucun avenir ne se dessine. Des associations ont proposé une alternative à la mairie afin de permettre l'insertion des familles volontaires. Aucune réponse n'a été donnée. Cela fait trois mois que l'évacuation est « promise » sans pour autant être précise. Personne ne semble au courant, à croire qu'il serait plus simple que la situation dégénère d'elle-même.
Les familles vivent dans l'angoisse permanente de devoir partir « demain ». De nouveaux visages passent sur le terrain apportant avec eux quelques trafics et histoires louches. Des policiers du commissariat voisin pointent leur nez pendant la nuit et ramasse deux types au passage.


L'OFII vient proposer régulièrement des « aides au retour volontaire » pour la Roumanie. Avec la promesse de toucher 300€ par adulte et 100€ par enfant, beaucoup se laissent séduire sachant qu'ils reviendront très vite.


Fin septembre, une proposition d'hébergement d'urgence est faite à Elena et sa famille par la mairie. Pour les autres, rien n'est proposé. Elena, Micha et leurs enfants partent pour quelques nuits dans un foyer avant d'être mis à la porte pour avoir découché une nuit ; ils devaient être rentrés à 20 heures et cela était trop tôt.


La mairie tente une seconde orientation ; la famille, lasse, accepte. Une nouvelle fois, ils sont mis à la porte, sous la pluie, « pire que si nous avions été des chiens ». Personne n'y est pour rien, naturellement… Elena et Micha reprennent possession de leur baraque.
Le mois d'octobre passe et le froid s'installe. La date fatidique du 1 novembre et de la trêve hivernale approche, le terrain doit être fermé avant. Un soir la mairie informe les familles qu'elles devront partir le lendemain. Il leur est proposé des hôtels à travers l'Ile de France. Loin de Paris, pour seulement deux semaines. Juste assez pour les éloigner.


Certaines familles acceptent mais n'y restent que quelques nuits. Depuis, elles errent. Certaines ont trouvé un abri a-t-on appris. Les autres se cachent. Plus aucun enfant n'est suivi. Plus aucune famille ne se présente aux hôpitaux ou aux associations. Elles ont peur et préfèrent s'isoler, malgré les risques. Pour la mairie, le traitement de ce terrain a été « positif ».


Par Evangeline Masson,
Rue89, le 6 novembre 2009