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Santé mentale des demandeurs d'asile : les résultats de l’étude de France terre d’asile

Publié le : 18/09/2023

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@ France terre d'asile / Ophélie Rigault

Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

 

Une nouvelle étude publiée par France terre d’asile confirme que la santé mentale constitue un enjeu majeur dans l’accompagnement des personnes exilées. Par la participation des professionnels et des demandeurs d’asile eux-mêmes, elle fournit des clés de réponse émanant du terrain pour encourager une réponse adaptée des pouvoirs publics. 

Rédigée par Gesine Sturm, enseignante-chercheuse en psychologie interculturelle, et Andrea Tortelli, chercheuse et psychiatre, l’étude rappelle d’abord que les demandeurs d’asile et réfugiés sont plus fréquemment sujets à la détresse psychologique, voire aux troubles psychiatriques, que d’autres migrants ou natifs. Les parcours migratoires sont en effet ponctués d’évènements potentiellement traumatiques. Aux persécutions et conflits dans les pays de départ, succèdent le choc du déracinement et les risques d’exploitation sur le chemin de l’exil. Une fois arrivées, les personnes doivent gérer l’isolement, le stress ou encore la précarité administrative et socio-économique.

De plus, de nombreux facteurs aggravent ces risques psychologiques, aussi bien culturels que liés à la situation du secteur de la psychiatrie et du soin psychologique en France. D’abord, la santé mentale reste un tabou pour beaucoup des demandeurs d’asile. Les échanges ressortis pendant les groupes de discussion montrent que les personnes parlent peu naturellement de détresse psychologique, bien que les symptômes associés (fatigue, tristesse, insomnie…) soient mentionnés. Parfois défiantes à l’égard de l’aide psychologique, certaines personnes exilées peuvent ainsi renoncer aux soins, d’autant plus qu’elles manquent de connaissances sur leurs droits et l’offre médicale, font face à la barrière de la langue, et ne peuvent pas toujours accéder facilement à des psychologues en raison notamment de l’implantation de centres d’hébergement dans des « déserts médicaux » ou de l’application du délai de carence de trois mois qui ne leur permet pas de se soigner gratuitement dès leur arrivée.

Les recherches et rapports sur cette problématique dressent un tableau inquiétant. Ainsi, un quart des personnes reçues par le Comité pour la santé des exilé·e·s (Comede) présentait des pensées suicidaires ou avait fait une tentative de suicide. Selon un rapport de Médecins du monde, 68 % des personnes exilées en situation précaire relèvent de psycho traumatismes. Une enquête réalisée dans l’ancien Centre de Premier accueil de la Chapelle à Paris, avait aussi montré que 41 % des résidents étaient victimes de violences psychiques. Cette nouvelle étude, plus qualitative, permet de mieux comprendre comment se manifestent les troubles psychologiques au quotidien. Les participants font état de stress, d’isolement, de cauchemars, d’instabilité émotionnelle jusqu’à la mention d’« idées sombres ». Les résultats de l’étude soulignent néanmoins que des initiatives en apparence simples peuvent aider à surmonter l’isolement et l’angoisse de l’exil. Les participants mentionnent par exemple les bienfaits du sport, des activités créatives, des sorties culturelles organisées par les Cada, des thérapies douces (art-thérapie, yoga…) ainsi que l’importance du lien social.

Des conséquences néfastes sur la protection, l’intégration et la prévention de la santé publique

Alors que la demande d’asile est un parcours éprouvant, exigeant du requérant qu’il livre un récit étayé de son parcours de vie, les fragilités en matière de santé mentale peuvent nuire à sa capacité à défendre son droit à une protection internationale. En retour, le besoin de revenir sur des évènements traumatisants ralentit le processus de résilience. Les demandeurs d’asile peinent ainsi souvent à se projeter dans le futur, et leur intégration dans la société est freinée faute de prise en compte de ces vulnérabilités dès les premiers mois.

Plus largement, se concentrer sur la santé mentale des personnes exilées est indispensable à la prévention de la santé publique. Les prises en charge tardives de pathologies engendrent des surcoûts beaucoup plus importants et l’absence ou la limitation des conditions matérielles d’accueil génère un phénomène d’usure qui entrave la résilience. L’étude souligne également l’importance d’un accompagnement psychologique dans les structures afin de prévenir les risques de mise en danger des intervenants sociaux et des résidents qui partagent les espaces de vie commune.

L’identification et l’orientation : deux zones d’ombre majeures

Du côté des professionnels, des difficultés ont été dégagées concernant l’identification des besoins et l’orientation vers les soins. Les premiers entretiens en Spada sont, selon les intervenants sociaux, trop courts pour pouvoir détecter la détresse psychologique. En Cada, il est très rare que les demandeurs d’asile abordent ces sujets d’eux-mêmes. Dans un contexte où ils doivent gérer de nombreuses démarches éprouvantes, la santé mentale est souvent tenue à l’écart. Or, en l’absence de personnel soignant sur place, certains professionnels se disent désemparés et se questionnent sur leur légitimité à s’immiscer dans ces questions intimes et délicates.

Concernant l’orientation vers les soins, l’étude expose de nombreux obstacles. Les rendez-vous de santé de l’Ofii ne sont accompagnés, dans la plupart des cas, d’aucun suivi concernant la santé mentale. Par ailleurs, l’interprétariat est souvent manquant ou de qualité hétérogène avec un besoin de formation. Enfin, le maillage territorial est inégal. La majorité de l’offre de soin et des structures associatives spécialisées en santé mentale se concentrent dans les grandes villes, et particulièrement en Île-de-France. Ainsi, en dehors des centres urbains, les intervenants sociaux se tournent souvent vers les structures les plus proches, et non les plus adaptées aux besoins des personnes.

Les recommandations de l’étude

De nombreuses mesures et solutions sont pourtant envisageables. Bien que le « Plan vulnérabilité » du Ministère de l’Intérieur prévoit une action spécifique sur la santé mentale en développant l’information des professionnels de santé sur le psycho-trauma, d’autres actions sont nécessaires telles que la mise en place de psychologues dans les structures et d’un rendez-vous obligatoire pour mieux identifier les besoins ; le renforcement de l’interprétariat ; ou encore la création de dispositifs spécialisés avec un triple suivi juridique, administratif et médical. De manière plus large, l’amélioration de la santé mentale passe aussi par la suppression du délai de carence pour réduire les délais de prise en charge ou l’ouverture de l’emploi et de la formation aux demandeurs d’asile afin de favoriser la résilience et l’intégration.

Au niveau associatif, les initiatives se multiplient autour des problématiques de santé mentale, à l’instar du projet de musicothérapie instauré par le Cada de Nantes en janvier 2023. Grâce à la musique, les demandeurs d’asile sont encouragés à s’exprimer, à développer un sentiment de fierté et à créer du lien avec les autres résidents. Dans une perspective plus médicale, les psychologues de l’association Terra Psy - Psychologues Sans Frontières, en Normandie, promeuvent une démarche d’« aller-vers » avec des consultations à l’extérieur, des groupes de paroles, ainsi qu’une meilleure prise en compte de la dimension culturelle de la psychologie via des interprètes. Toutefois, faute de fonds nécessaires à l’interprétariat, il est souvent compliqué pour les personnes exilées d’être suivies par des professionnels de santé, en particulier en ce qui concerne la santé mentale. Des projets entendent aussi outiller les intervenants sociaux du secteur de l’asile afin de mieux identifier et accompagner les personnes souffrant de troubles psychiques. L’association The Ink Link, en collaboration avec France terre d’asile, vient notamment de produire un guide sur l'accompagnement psycho-social des personnes exilées.

Ainsi, cette étude permet de mieux mettre en lumière les besoins et obstacles en matière de santé mentale des personnes exilées et des professionnels sur le terrain. Elle invite également les décideurs politiques à reconnaître qu’elle constitue un pilier fondamental de leur dignité et de leur intégration et qu’elle mérite dès lors une attention particulière.

Retrouvez ici l'étude !