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Un réfugié afghan raconte sa traversée du Channel et sa vie à Londres

Réfugiés : l'après Calais

Parti de la jungle de Calais, il a gagné l’Angleterre clandestinement. Un réfugié afghan raconte sa traversée du Channel et sa vie à Londres

Walid Handan, 19 ans, nous a donné rendez-vous devant une station de métro du nord de Londres. Nous avions proposé de le rencontrer chez lui ; il a refusé. C’est une bénévole de l’association Salam – qui aide les réfugiés coincés à Calais – qui nous a donné son numéro de téléphone. Elle avait peur qu’il refuse de nous rencontrer et de se faire photographier. Il est finalement le seul à avoir accepté.
 
Le téléphone sonne, c’est lui, dans un anglais encore plus approximatif que le nôtre. “Excusez- moi, je suis en retard. Je suis dans le bus.” Une demi-heure passe, personne. On s’inquiète un peu. Le téléphone sonne à nouveau, on se retourne, un jeune type balèze tient un téléphone contre son oreille. Il raccroche et s’avance vers nous. “Je viens de mon travail, je suis venu vous chercher. Si vous voulez, je vous emmène là-bas.”
 
Walid travaille comme garagiste, à quelques stations de bus. On le suit vers l’un des bus à impériale rouges qui traversent la ville. Il marche vite dans ses grosses Nike. On grimpe dans le bus qui démarre. Il est déjà assis au fond, nous fait signe de le rejoindre : il n’a pas beaucoup de temps. On branche donc le magnétophone tout de suite.
 
Je suis né en Afghanistan, à Djalalabad. Je suis l’aîné de la famille, j’ai un frère. Mes parents ont décidé de m’envoyer en Europe pour que ma vie soit meilleure. Je suis parti d’Afghanistan par camion. La Russie, Moscou où je suis resté un peu, la Pologne, l’Allemagne, la Belgique puis la France. Un long voyage de plusieurs mois.”
 
Walid raconte son histoire sans nous regarder. Il suit des yeux les enseignes qui défilent, vérifie son portable, un vieux Nokia tout défait, regarde le magnéto qui tourne. “Je suis resté quatre mois à Calais, dans la jungle, je dormais dans une tente que je déplaçais presque tous les jours. Il pleuvait sans arrêt, il faisait froid, les policiers nous traquaient. C’était affreux. J’ai détesté la France, j’ai encore quelques amis là-bas, j’espère qu’ils vont bien.”
 
"Je n'ai pas fermé l'oeil pendant tout le trajet"
 
A la descente du bus, Walid interpelle un vieux type qui lui répond en afghan, il lui parle sans se retourner et continue de dérouler son histoire en cavalant sur les trottoirs de Londres. “Un jour, on m’a donné le numéro d’un type de la mafia kurde. Il faisait passer les gens pour 15000 livres, que je pouvais payer en Angleterre. Il fallait simplement donner un acompte, je ne sais plus combien. J’ai dit d’accord, j’avais de l’argent de mes parents. Deux soirs plus tard, ils sont passés me chercher en camion, ils m’ont caché dans une caisse qu’ils ont refermée sur moi. Nous avons pris le tunnel sous la Manche. Je n’ai pas fermé l’oeil une minute pendant tout le trajet. Je tremblais de peur, je respirais mal. Et puis un type est venu ouvrir la caisse, j’étais en Angleterre. Il m’a dit au revoir et m’a donné un numéro de téléphone pour rappeler les Kurdes après m’être déclaré aux autorités anglaises.”
 
Walid aperçoit un bobby et interrompt son récit. Il décide d’avancer seul et nous demande de le rejoindre plus loin une fois le flic parti. On le retrouve au bas d’une rue qui monte vers un garage à l’enseigne en arabe et en anglais. C’est ici qu’il travaille. Autour d’un premier hangar, des tonnes de voitures, certaines en bon état, d’autres défoncées. Walid désigne un vieux tas de tôle en souriant : “Une voiture française.” Il nous emmène devant un second garage où l’attend un ami, en combinaison rouge.
 
Shapour, 24 ans, travaille également ici. “Vous êtes Français ? Je connais bien la France, moi aussi j’étais à Calais. Je suis arrivé en 2007, c’est pour ça que je parle mieux que Walid”, plaisante-t-il. Walid lui envoie une gentille bourrade et ouvre la porte de son garage. Il monte se changer et nous propose un thé en attendant. Il redescend peu après, vêtu d’un vieux futal plein de cambouis et d’un T-shirt Moschino dans le même état. Il pose fièrement devant l’objectif.
 
"Votre pays m'a traité comme un animal"
 
Il reprend son histoire : “Je suis allé me déclarer à la police britannique et on m’a placé dans un centre d’hébergement à Douvres avant de m’envoyer vers le nord de l’Angleterre, près de Leeds, dans un petit village. Je suis resté là-bas deux mois, c’était déprimant, il faisait nuit à 15 heures. Puis un type de la mafia kurde m’a appelé et m’a dit qu’il y avait de la place pour moi à Londres. Je suis descendu en bus et une famille afghane est venue me chercher à la gare routière. Je vis chez eux, dans une gigantesque tour en banlieue de Londres. Je travaille dans ce garage depuis mon arrivée à Londres. Je gagne 160 livres par semaine, qui sont entièrement reversés aux Kurdes jusqu’à ce que j’ai réglé ma dette envers eux. Ils passent une fois par mois au garage pour récupérer l’argent.”
 
 
Walid sirote son thé et nous fait comprendre qu’il va devoir retourner au travail, le pare-choc d’une Peugeot à retaper. La France est un très mauvais souvenir pour lui. “Là-bas, personne n’a jamais rien fait pour m’aider, à part les bénévoles des associations qui passaient nous apporter à manger de temps en temps. Votre pays m’a traité comme un animal. En Angleterre, c’est mieux : je n’ai jamais dormi dehors ici, les policiers ne m’ont jamais traqué.”
 
Il poursuit : “En Angleterre, je touche 180 livres par mois d’allocation. Ça me permet de vivre puisque mon salaire part dans mes remboursements aux Kurdes. Je peux même envoyer un peu d’argent à ma famille. Je suis pauvre à Londres, mais plus heureux qu’en Afghanistan ou qu’en France. Je n’ai encore presque rien vu de le ville, même si je suis là depuis assez longtemps. J’espère avoir du temps pour visiter quand j’aurai fini de payer mes dettes.”
 
Il tripote quelques outils. “La vie est dure, je travaille six jours sur sept. Je suis parfois très fatigué mais il faut que je rembourse. J’ai demandé un visa, j’espère l’obtenir. Un jour, je pourrai peut-être retourner en Afghanistan voir ma famille. On s’appelle sur Skype, on s’envoie des mails mais c’est difficile. Mon frère viendra sûrement me rejoindre à Londres un jour.”
 
Walid doit s’occuper de son pare-choc. Nous le saluons, il nous serre la main et nous raccompagne à la porte du garage. Quelques jours plus tard, à Paris, un texto tombe sur le téléphone portable. “C’est Walid à Londres. J’espère que vous êtes bien rentrés chez vous.” 
 

Par Pierre SIANKOWSKI


Les Inrocks, le 14/04/2010