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Abol Hassan Bani Sadr

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Photo : John Vink/Magnum

Abol Hassan Bani Sadr né le 22 mars 1933 à Hamedan (Iran), a été le premier président de la République islamique d'Iran élu à une large majorité après la révolution islamique de 1979 en janvier 1980. Il est destitué par l’ayatollah Khomeini le 21 juin 1981 et fuit son pays. Il s'exile d'abord en Turquie puis trouve refuge en France où il vit toujours et écrit des articles sur l’Iran (Source Wikipédia)

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Texte extrait du recueil J'ai deux amours, portraits d'exil, de Brigitte Martinez, Le cherche midi éditeur, 1998. Voir tous les portraits d'exil du livre

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REGIME SEC
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 Derrière la haute grille, la maison s’impose, bourgeoise de banlieue chic. Chic mais fripée. « Les journalistes surnomment cette maison le palais des glaces. Elle est impossible à chauffer. Il y fait bon seulement deux mois dans l’année. ». Dans l’allée, au milieu du jardin touffu, plutôt sauvage, l’âge de la Mercedes marque aussi la retraite. « À l’époque du Shah, mes biens n’avaient pas été confisqués. Aujourd’hui si. Ceux de ma femme et de mes filles aussi ». Une retraite de quinze ans, gardée par la police. Pour pénétrer ici il faut montrer patte blanche. « Avant, il y avait la menace de la Savak, tous les jours, mais je pouvais sortir. Aujourd’hui, avec le régime des Mollahs, la menace est permanente. Je passe ma vie enfermé dans cette maison.»

 Habol Hassan Bani Sadr vit son deuxième exil. À ce jour, il a passé presque autant d’années en France, trente, que dans son pays, l’Iran. « Je suis un militant. Je n’ai pas le goût de la politique, en tant qu’activité professionnelle. Même quand j’étais président, j’étais un militant. On me qualifiait de président anarchiste, de président chef d’opposition ». Bani Sadr rit. L’homme rit beaucoup en évoquant son passé. Sans doute pour marquer son recul, temps de réflexion consumé, sur l’Histoire . Mais pas son désengagement. Ni, l’expression se fige, pour exclure sa responsabilité d’une alliance perfide, conclue avec Khomeiny. « C’est une grande déception, une grande tromperie ». En France, L’Ayatollah est devenu « le porte-parole d’une pensée qui n’était pas la sienne, celle d’un islam de liberté. Il s’engageait devant le monde entier. En fait, il répétait aux journalistes les réponses qu’une commission lui préparait. » Khomeiny un homme de paille ? « Oui. Je le considérais comme un chef religieux désintéressé. Ce que je me reproche, ce que je ne me pardonne pas encore, c’est la façon dont je me censurais pour ne pas voir le goût de cet homme-là pour le pouvoir. C’est sans doute parce qu’on voulait en finir avec le Shah, quoiqu’il arrive. Et sans doute aussi parce que la vie en exil était très crispée.»
 
 L’exil pour Bani Sadr commence en 1963. À Paris. Les plats de son enfance, «  sham Kebab, sans sucre, shiring kebab, avec sucre, ou encore kebab kadjari», sont loin, comme la maison familiale remplie « du matin jusqu’à dix heures du soir, parfois minuit, d’une population de vieillards, de mollahs et de non-mollahs, de modernes et d’anciens ». Des visites pour le père, premier homme religieux de Hamadan, qui forgeront son « goût pour le peuple », et sa conscience nationaliste. Car les consuls défilent aussi chez lui. Ils sont Soviétiques ou Anglais. « J’ai compris qu’il y avait deux puissances qui intervenaient dans les affaires locales ». De quoi révolter un jeune homme. De quoi l’inciter à s’engager en politique. À Dix-sept ans, il soutient Mossadegh dans sa lutte pour la nationalisation du pétrole. « Tout le peuple iranien participait. Tous les jours il y avait des manifestations. Tous les jours je pensais que ma dernière heure était arrivée: Les soldats tiraient, s’élançaient sur nous avec des baïonnettes ».

Dix-sept ans. Le combat pour l’indépendance. La lutte contre le régime du Shah. Une lutte sans merci, poursuivie plus tard depuis Paris avec des « communistes honnêtes et actifs ». Et surtout avec Jean Paul Sartre, président du « comité de défense des prisonniers politiques en Iran ».

 En France, le militant Bani Sadr s’active et se déplace. Parfois en Europe, parfois plus au sud, jusqu’à Nadja, Irak, terre d’exil, jusqu’en octobre 1978, de Khomeiny. À partir de cette date, la résistance géographique se limite à un village : Neauphle le château. Bani Sadr endosse alors, en toute confiance, le rôle de conseiller privilégié de l’Ayatollah.

Et que mange-t-on à la table de Khomeiny? « Je n’ai jamais mangé avec lui ! » La réponse tombe. Sèche. Et les explications suivent « Mais, même quand j’étais président, j’acceptais rarement de manger en compagnie, car je mange peu et lentement. Comme je ne suis pas tout à fait rassasié à la fin du repas, pour ne pas être tenté, je quitte la table. Ce n’est pas très convenable. Donc j’essaie de manger seul. »
 Cette habitude alimentaire suit Bani Sadr depuis Téhéran. L’étudiant, chétif, refuse les médicaments et jette les vitamines prescrites par les médecins. Il préfère s’« acheter des casseroles », devenir son propre cuisinier et s’imposer une discipline alimentaire. « Je mâchais 40 fois chaque bouchée ». Son régime est simple « Le matin : pain, beurre et miel. A midi, je me préparais un kebab avec de la viande saignante, et le soir, une salade avec un œuf, de l’oignon, des tomates, des carottes, des pommes de terre, des olives et juste un peu de citron. En six mois, je suis passé de 46 à 80 kilos. »
 
 L’étudiant reprend des forces tandis que, petit à petit, le régime du Shah se fait, lui aussi, plus musclé. Les réunions des jeunes républicains, - « avec un système monarchique il était impossible d’avoir un pays indépendant »- sont clandestines, mais, malgré de nombreuses précautions, Bani Sadr n’évite pas la prison. « Le risque n’était pas très grand à l’époque, mais on ne voulait pas être arrêté pour pouvoir rester actif ». Pourtant, avec le lancement de la « révolution blanche » les condamnations, tortures, exécutions se multiplient. Parmi les prestigieuses arrestations, celle du 5 juin 1962, fera date: L’homme s’appelle Khomeiny. C’est l’émeute. « Cet homme qui tenait tête au Shah, plus résolu que les autres, nous plaisait beaucoup ». La répression, sanglante, est à la mesure du soulèvement populaire, énorme. « J’avais organisé une grève générale pour le 7ème jour suivant le massacre du 5 juin. C’était extraordinaire! Toute la ville était en grève, les rues étaient désertes.» Une réussite, un auteur : La Savak l’identifie sans tarder. Le nom de Bani Sadr s’inscrit sur la liste des condamnés. Le départ pour la France est programmé. L’heure de l’exil sonnera dix-sept ans plus tard pour le Shah.
 
 À deux heures du matin le 16 janvier 1979 le téléphone sonne : « Le Shah va partir à dix heures ». À dix heures, l’information se vérifie: le Shah quitte effectivement l’Iran. « Si le Shah avait su que cet homme, Khomeiny, était plus assoiffé de pouvoir que lui », confie Bani Sadr bien des années plus tard, « il n’aurait jamais quitté l’Iran. Il aurait choisi, soit de faire un compromis, soit de le démasquer en tant que religieux qui souhaite échanger son turban contre une couronne ».
 
 Le départ du Shah c’est « une grande joie ». Elle signe en premier lieu la fin d’un exil. Elle marque ensuite la « victoire de la science. Ma méthode d’analyse l’avait prévue 5 ans auparavant. Comme j’avais prévu dès 1972 la chute du bloc communiste. La troisième joie, c’était de voir la fin de la structure despotique du régime. Car ce qui restait de pire comme dictature en Iran, c’était la monarchie. » Il marque une pause et ajoute avec un rire qui se veut détaché : « Mais j’avais oublié les mollahs ».
 
 Quand Bani Sadr évoque les mollahs, il réserve son rire franc pour un seul souvenir: Celui des craintes émises par la fille de Khomeiny, à l’annonce de l’exil français de son père. « Elle pensait que Paris serait un suicide pour un chef religieux musulman chiite. En Iran, quand on dit « Paris, Paris! », on sait que cela n’évoque pas une ville de prière.»

 Mais Bani Sadr n’imagine pas que « Paris, Paris » sonne aussi comme le refrain d’un exil à deux temps. Le sien, de nouveau. Par refus de se rendre complice de l’ultime (?) trahison venue du religieux . « Je ne le savais pas, je ne pouvais pas le croire, comme un croyant ne peut pas croire à un péché commis par le pape. » Le péché : La négociation de Khomeiny avec le « grand Satan ». À Paris. En 80. En secret. C’est l’Irangate. Le président Bani Sadr, mis devant le fait accompli, en juin 1981, laisse éclater sa colère: « Je suis l’élu d’un peuple qui pense que je suis en route pour l’indépendance de l’Iran ! Comment voulez que la révolution iranienne accepte une telle responsabilité ? » réplique-t-il au fils de Khomeiny qui lui demande sa collaboration. «  Quelques jours plus tard, c’était le coup d’état pour ce refus. Si j’avais dit oui, Je restais en Iran »

 Alors Paris, de nouveau Paris. Entre-temps son pays, l’espace de deux années. Seulement deux années. « Après 30 ans de vie ici, la France, c’est ma deuxième patrie. J’aime beaucoup la France, même si je n’ai pas beaucoup de rapport avec les Français. Mais à travers la pensée, l’art, la télévision, je vis le milieu, je suis la politique française. Maintenant, je me sens ici comme chez moi, mais il me manque tout. Tous ceux que je connaissais, de mon milieu, de mon enfance, de ma jeunesse, aujourd’hui sont morts. Ceux qui ont grandi, je ne les connais pas. »
 
 Alors dans sa maison, bourgeoise de banlieue chic, mais bourgeoise fripée, Bani Sadr se souvient. De son arrivée à Téhéran, le 1er février 79. « Tout le monde est venu à notre rencontre. J’ai vu ce qu’on n’aurait jamais pu imaginer : un pays, une mer sans limite, toute jeune, toute gaie. Gaie ça se comprend, mais confiante. Confiante, je ne pouvais pas le croire avec la police politique toujours présente ».
 Et devant les fenêtres ouvertes sur un jardin touffu, touffu mais sauvage Bani Sadr se souvient. Des premiers pas de la révolution :« les militaires avaient prévu de faire un coup d’état. Le bain de sang risquait de se répandre. J’ai proposé que Khomeiny lance un appel à la population, pour que les gens sortent, restent dans les rues toute la nuit et le jour suivant. Ce qu’il a fait. Le peuple en envahissant la rue a rendu impossible le coup d’état. Le lendemain la ville était dans nos mains avec un nouveau régime ».
 
 Le soleil inonde le salon, le palais n’est pas à la saison des glaces. La cheminée est éteinte et Bani Sadr se souvient. Il était ministre. Opposé à la prise d’otage à l’ambassade américaine, estimant « que c’était un acte contraire à l’indépendance. L’indépendance signifie ne pas se servir d’une puissance étrangère dans la politique intérieure. Or là, c’était le cas ».
 
 Il était une fois, il était un jour. Bani Sadr était président. Président de la république d’Iran. « Quand je me suis présenté à la présidence, ce n’était pas de gaîté de cœur. C’était par obligation de lutte, pour empêcher la dictature des mollahs. Ce n’était pas par goût. » Une élection pourtant remportée avec 76% de voix. Une grande joie ? Non ! « J’étais très angoissé. Mon vrai sentiment, c’était un sentiment d’angoisse, forte » : Crise des otages, blocus du pays, menace irakienne... La situation n’est certes pas confortable.
 
 Il était une fois et l’Histoire continue. Ceux qui l’écrivent sont pressés de tourner la page : Bani Sadr ne sera plus Président de la République iranienne. Il est déchu de ses fonctions. De son poste de commandant en chef des forces armées. Le 21 juin 81. Après 18 mois d’exercice à la tête de l’état. Mais il reste confiant, le peuple veut Bani Sadr. « On pensait que Khomeiny n’allait pas s’opposer au peuple. Nous pensions que nous irions parmi le peuple et qu’avec lui on imposerait de nouveau la loi démocratique au dictateur! Mais déception! Il a tiré sur le peuple! C’était inimaginable. On n’imaginait pas qu’il pouvait exécuter tous les soirs 400, 500 jeunes. »
 
 L’Histoire, alors, s’écrit d’ailleurs: D’un ancien lieu d’exil, où trouve refuge un ancien Président de la République. Mais il est rempli d’ardeur comme un jeune combattant. « Je suis venu ici parce que le champ de bataille est là, en occident. Nous avons réussi à délégitimer ce régime en révélant les relations organiques entre le régime des Mollahs et le régime de Reagan. À l’époque, je ne pouvais pas tout dire à cause de la guerre. Mais beaucoup d’autres Irangate se sont révélés, autrichiens, suédois, allemands, italiens surtout ».
 
 L’Histoire, en Iran, continue. Bani Sadr à la marge, relit son texte. Celui de sa destitution. « Ce n’était pas un échec. C’est au contraire une victoire de la démocratie. Car chaque fois que les Iraniens ont élu quelqu’un, cet élu est resté fidèle aux principes démocratiques. Comme Mossadegh. Fidèle à l’indépendance, fidèle à la liberté. Et Bani Sadr est resté fidèle. Cela montre que ce peuple a une culture démocratique et que, librement, il n’a pas choisit un dictateur. Moi je suis premier élu de ce peuple, de son histoire. C’est un fardeau très lourd, je dois le porter jusqu’à ce que ce peuple retrouve sa liberté et sa démocratie. Si je ne reste pas fidèle à ce principe, ça retarde le retour de la démocratie en Iran. Si aujourd’hui l’Iran crie la liberté, c’est en partie grâce à cette résistance à cette force dictatoriale ».
 
 Quand l’Histoire regarde vers l’avenir, l’homme, l’Iranien et l’ancien président se joignent pour rire en chœur : « Pourquoi voulez-vous que je sois pessimiste? Le régime lui-même parle de banisadrisation ! Les libéraux ont « réoccupé » les universités, et les étudiants crient « ‘à bas la dictature’ !... »
 
 En ce jour de printemps 1998, le sourire de Bani Sadr persiste sur ses lèvres, comme s’il était heureux. Loin de l’Iran, dans une maison gardée où, ne bougeant « pas beaucoup, il faut faire attention à son repas pour ne pas grossir », il s’impose un régime strict, « sobre mais complet ». La prière du matin est suivie de thé. Une demi-heure après d’un fruit. Une heure plus tard d’un petit-déjeuner : Un verre de lait accompagné de miel et de pain sans beurre. À midi c’est Kebab ou bien Khoreshe au pruneau, avec du riz et des petits pois. Le soir, Bani Sadr mange un yaourt. « Je suis prisonnier, d’accord, il y a des terroristes d’accord, mais la liberté n’est pas dans l’environnement, elle est dans la tête. Alors l’horizon, je me le crée. Je crée mon horizon de vie. Je travaille tous les jours. En ce moment j’écris un livre. Sur la démocratie. J’en suis au dernier chapitre. »

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