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Jour 2 - Lesbos : le « Je-ne-sais-quoi et le presque-rien »

Il y a un parfum de morale qui flotte dans le petit port de Skala Sikamineas à Lesbos. De cette morale de l’instant qui agit là où l'humanité souffre. Ils sont venus, ils sont tous là, du monde entier. Enfin presque. Norvégiens, Néerlandais, Allemands, Britanniques, Américains postés sur les hauteurs de Lesbos, arborent fièrement les tee-shirts ou le drapeau de leur organisation d'aide et de secours aux réfugiés, scrutent l'horizon des côtes turques à quelques encablures, en tout cas, pourrait-on croire, à portée de mains.

Mais aujourd'hui la morale est contrariée. Il flotte un parfum d’ennui, d'absurdité ou simplement de farniente sur les quelques terrasses qui bordent le port. Les Antifa, les No Borders, les volontaires arrivés là il y a quelques jours ou quelques semaines n'ont rien d'autre à faire que de surveiller leur portable, à s'émouvoir sur le miaulement des chats, espèce proliférant dans cette contrée. Depuis 4 jours, depuis le 11 février, 33 réfugiés sont parvenus sur toute l’île, là où ont été dénombrées jusqu'à 130 000 arrivées au mois d’octobre. Aujourd’hui, 16 février, le HCR annonce bien quelques 500 nouveaux naufragés, mais pas ici. Au nord et tout au sud de l’île.

Trente-trois ! Quelle est donc la potion magique, le remède chirurgical qui a stoppé net l’exode ? Le bateau de l’Otan qui croise au large ? À dire vrai, personne ne se risque encore à donner une explication définitive. Une volontaire allemande après avoir copieusement étrillé "notre"  premier ministre me dit que c'est les autres, avec un mouvement du menton désignant la Turquie, qui sont responsables de cette situation. Les turcs, cherchant à plaire à Angela Merkel, renforceraient leur contrôle sur les passeurs. Certes, mais il y a aussi la volonté du gouvernement grec de reprendre le contrôle de la situation avec l'aide de quelques partenaires patentés, l'OTAN, Frontex, les Nations unies et une organisation américaine, l'IRC, qui a établi son camp de base, on se demande pourquoi, sur une route casse-carrosse a cinq kilomètres de toute habitation dans la montagne. Un sommet européen se tient dans deux jours et il importe de sauver la face. Parce que l'exode reprendra, ailleurs, tant que la situation en Syrie, en Afghanistan, en Irak ne sera pas stabilisée. 

Pour aujourd'hui, les bateaux de sauvetage resteront au port. L'antenne médicale fabriquée de bric et de broc n'accueillera personne. Les activistes devront peut-être déménager, ailleurs sur une autre plage plus fréquentée, pire, se faire enregistrer auprès des autorités grecques. Comme les réfugiés qui sont ensuite dirigés vers le port de Mytilène à une heure d'ici pour une traversée de 12 heures, destination le Pirée. Les plus riches d'entre eux, pourvu qu'ils soient parmi les 3 nationalités que la Macédoine laisse passer, s'achèteront un billet direction la frontière macédonienne. Pour eux la route se poursuivra jusqu'à la destination finale. Pour les autres, ce sera l’attente, la débrouille, la violence, dans un pays en crise qui ne peut ni les accueillir ni leur offrir de quoi reconstruire leur vie. Un pays de 10 millions d'habitants qui continue d'espérer plus de solidarité et à qui on envoie l’OTAN. L'identification des réfugiés est nécessaire pour rendre acceptable leur accueil en Europe mais les décisions sont lentes à se mettre en place dans la vieille Europe. Trop lentes, trop partielles, trop pingres. Et les réfugiés eux n'ont cure de ces atermoiements.

Il flotte ici, à Lesbos, un Je-ne-sais-quoi d'absurde en même temps qu'un presque-rien d’espoir. 

Pierre Henry, Directeur général de France terre d'asile

 

bateau 2                                                    medical care greece 2

 

 

 

 

Zoom sur...

L’Union européenne et la Turquie ; la situation particulière de la Grèce, pays frontalier

Les relations entre la Grèce et la Turquie s’organisent autour du plan d’action mis en place le 29 novembre dernier, entre cette dernière et les pays membres de l’Union européenne. Trois milliards d’euros ainsi qu’une aide humanitaire et des promesses de réinstallation de réfugiés se trouvant en Turquie ont été engagés pour permettre à la Turquie de mieux gérer ses frontières et de lutter contre les passeurs.

La décision grecque de reconnaître la Turquie comme un pays tiers sûr se situe dans la lignée du discours européen ambiant au sujet de ce pays et va permettre d’intensifier les expulsions. Classer un pays dans la catégorie des pays tiers permet en effet d’organiser les retours de migrants et de demandeurs d’asile non ressortissants turcs mais qui ont transité par la Turquie ou dont le pays d’origine se situe dans une zone géographique proche.

Alors que des renvois au départ de la Grèce ont déjà eu lieu en coopération avec l’agence Frontex les dirigeants européens, qui se rendent régulièrement à Ankara ces derniers mois souhaitent accroître cette pratique et par ricochet dissuader les candidats à la traversée vers la Grèce.

 

            

 

Les volontaires mieux encadrés par la Grèce

La Grèce souhaite contrôler plus étroitement les associations de volontaires qui viennent en aide aux réfugiés lors de leur arrivée sur les îles grecques : désormais, les volontaires devront s’enregistrer auprès des forces de police. Dans la même logique, International rescue committee (IRC) a signé courant janvier une convention avec les autorités grecques pour coordonner l’aide apportée au nord de l’île de Lesbos, où la plupart des réfugiés syriens débarquent.

Le 14 janvier, deux danois et trois espagnols ont été arrêtés sur l’île de Lesbos, soupçonnés de « tentative de facilitation d’entrée des migrants illégaux dans le pays », ayant tracté un bateau en difficulté des eaux territoriales turques jusqu’à Lesbos. Le 9 janvier, sept volontaires ont été arrêtés, suspectés d’avoir « volé des gilets de sauvetage ». Ils ont été relâchés, après avoir prouvé que ces gilets devaient servir de matelas pour les réfugiés.