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Chemins croisés

Se reconstruire loin des siens

Roman Chhetri
- Pays d’origine: né au Népal de nationalité bhoutanaise
- Né le 24 novembre 1990
- Arrivé en France à 17 ans en avril 2008
- Pris en charge par un dispositif de France terre d’asile en juin 2008
- Âge actuel: 27 ans


Moussa N’Diaye
- Chef de service à la Maison d'accueil et accompagnement vers l'autonomie pour mineurs isolés étrangers de Boissy St Léger ("Stéphane Hessel")
- Entré à France terre d’asile en novembre 2008
- Travaille avec un public mineur depuis dix ans
Roman symbolise le modèle d’intégration réussie par excellence selon Moussa N’Diaye. Lorsqu’ils se rencontrent en 2008, Roman est l’un des tout premiers à être confié à Moussa, à l’époque éducateur.

Roman, dans quel contexte êtes-vous arrivé en France?

Roman : J’ai la nationalité bhoutanaise mais mes parents ont fui le pays. Je suis né et j’ai été scolarisé au Népal. À 16 ans, j’ai du quitter ma famille pour New Delhi avec l’ambition de rejoindre l’Europe. Je ne connaissais pas la France. Je voulais juste pouvoir vivre en sécurité. On dirait que je suis bien tombé!

Moussa : Roman, c’est la performance. C’est un garçon très sérieux, l’un des rares à avoir autant réussi : en trois ans, il a appris le français, obtenu un diplôme, des papiers et signé un CDI!

Comment se déroulent les premiers temps passés ensemble ?

Roman : À chaque fois que j’ai un problème, je viens voir Moussa. Je suis à l’aise avec lui, il est gentil. Je le considère comme un ami.

Moussa : Roman est réservé. Il demande juste ce dont il a besoin. Le reste du temps, il veut passer inaperçu. Je lui explique qui je suis et le travail qu’on va faire ensemble. Il ne faut surtout pas rester dans une situation de face à face mais plutôt trianguler la relation. Je travaille pour une institution. Nous sommes donc trois : Roman, France terre d’asile et moi. Cela permet de garder une certaine distance tout en étant proche du jeune. Je suis là pour l’aider sans qu’il s’accroche à moi. C’est très dur ! Le danger, c’est de vouloir le garder ici quand tout se passe trop bien, alors qu’il est prêt à partir.

Quelles sont les premières étapes qui mènent vers la reconstruction ?

Moussa : Apprendre la langue et les codes de la vie en société. Il ne faut surtout pas forcer le jeune à raconter ce qu’il ne veut pas partager. Le secret, c’est de respecter son rythme. On n’est pas obligé de tout savoir sur lui pour l’aider.
Quand il est arrivé, Roman ne savait pas parler un mot de français. Il a intégré une classe interne de remise à niveau globale et a passé des tests d’orientation.

Roman : J’avais beaucoup de mal pour la prononciation mais je voulais rester ici. Je me suis demandé ce qu’il était possible de faire, et j’ai choisi la restauration.

Moussa : Roman a été pris en CAP dans un lycée très sélectif. Il avait des dispositions, il savait déjà cuisiner!

Roman : J’ai de l’imagination ! Le dimanche, j’aimais bien préparer le repas pour tout le monde quand je vivais ici.

Comment a évolué la prise en charge de Roman au centre ?

 

Moussa : Nous l’avons accueilli ici dans un premier temps. Au bout d’un an, Roman est devenu assez autonome pour vivre à côté du centre, dans un autre appartement. Il savait se faire à manger et se lever le matin pour aller à l’école. Je n’ai jamais reçu d’appel de son lycée pour me signaler un retard ou une absence.

Roman : J’ai traversé ces trois années avec Bipul, mon ami d’enfance. On a fait le trajet ensemble pour arriver en France, on a suivi la même formation et partagés nos appartements.

Moussa : On se demandait comment on allait séparer ces deux-là! Ils étaient comme des frères.

À l’école et au travail, Roman a-t-il rencontré des difficultés ?

 

Moussa : Il était excellent en maths et dans les matières pratiques.

Roman : J’ai obtenu un contrat jeune travailleur entre mes deux années de CAP. Du coup, je suis parti vivre dans un foyer de jeunes travailleurs. J’avais trouvé mon apprentissage sur Internet. Je m’entendais très bien avec le patron, qui tenait une brasserie à Gare de l’Est. Il voulait me garder une fois mon diplôme en poche mais il n’avait pas de place pendant l’été. Moi, je ne pouvais pas me permettre de ne pas travailler. J’ai décroché un CDI dans un restaurant. Il m’a débauché quelques mois plus tard. Depuis, j’ai changé d’établissement mais pas de patron.

Quel genre d’épreuves les MIE traversent-ils une fois arrivés en France ?

 

Moussa : Les problèmes diffèrent selon les jeunes. Ceux qui parlent déjà la langue et arrivent à 16 ans s’intègrent plus vite. On a du temps pour construire un projet avec eux : on vise un CAP ou une formation en alternance et en général, le patron les garde après. Pour les autres, c’est plus compliqué. Certains ont 17 ans et demi, ne comprennent pas un mot de français et sont traumatisés par ce qu’ils ont vécu. Ils ne peuvent pas penser à l’école! On manque de temps pour les aider avant leur majorité. On se sent démunis. Roman n’était pas traumatisé quand il est arrivé. Il voulait juste travailler et avoir des papiers.

Être intégré, qu’est-ce que cela signifie?

 

Roman : C’est avoir tout ce dont j’ai besoin pour vivre ici. Être autonome et savoir m’exprimer pour me débrouiller seul.

Moussa : C’est aussi lié au fait d’avoir une formation, un travail et des papiers.

Roman : Aujourd’hui, je me sens intégré. J’ai acquis la nationalité française en 2014, ça a été un soulagement. J’étais réfugié avant. Pour moi, les deux statuts reviennent au même sauf qu’être Français, ça rend les choses moins compliquées. Je peux enfin voyager librement pour aller voir ma mère au Népal. Elle est âgée et ne peut pas se déplacer très loin. Je me suis aussi marié et ma femme est venue me rejoindre à Paris. Nous avons une petite fille de huit mois.

Moussa : Il ne faut surtout pas chercher à couper le jeune de ses origines et de ses attaches. Au contraire, mieux vaut faire des ponts entre hier et aujourd’hui pour que son histoire continue à s’écrire.