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Echos du terrain

L’essentiel, c’est de recréer du lien

Alexandre Thiriet - Educateur à la Maison d’accueil provisoire pour mineurs isolés étrangers d’Amiens
Entré à France terre d’asile en février 2015
Travaille avec un public mineur depuis 10 ans
Après avoir travaillé pendant 8 ans avec des mineurs, Alexandre est devenu éducateur à la Maison d’accueil provisoire pour mineurs isolés étrangers d’Amiens en février 2015. Au centre, une quinzaine de professionnels encadrent et accompagnent 32 adolescents.

Dans quel état psychologique arrivent les jeunes au centre de France terre d’asile ?

Ils sont déboussolés et isolés. Ces ados n’ont plus de repères et sont bien souvent en carence affective. Ils ont vécu des traumatismes avant, pendant ou après l’exil. Ils ont donc besoin de contact, d’être rassurés… et de retrouver une vie de jeune.

Représentent-ils un public particulièrement difficile ?

J’ai travaillé auparavant dans un centre éducatif renforcé pour délinquants multirécidivistes, âgés de 16 à 18 ans. On ne parle pas des mêmes jeunes. Quand je rentre de congés, ils me font une haie d’honneur pour m’accueillir! On a vraiment tissé une relation de confiance et de proximité.

Quel rôle jouez-vous auprès d’eux ?

Il y a beaucoup de choses à leur apprendre. L’essentiel, c’est de recréer du lien. Montrer ce qui leur est possible d’accomplir grâce à l’école. Je leur apprends aussi comment vivre en société de manière autonome dans un pays dont ils ne maitrisent pas les codes. Père, grand frère: j’endosse un peu tous les rôles pour pallier à ce qui leur manque, tout en gardant une certaine distance. Je n’hésite pas à hausser la voix, à dire stop quand ils dépassent certaines limites. Pour faire manger tout un groupe d’ados à table, de 12 à 17 ans, il faut bien faire respecter certaines règles de bonne conduite!

Quelle est la première difficulté à surmonter pour eux ?

Apprendre notre langue. Or c’est indispensable pour pouvoir communiquer et vivre avec les autres! Mais ça vient très vite: les jeunes sont des éponges. Au bout de trois mois, ils arrivent déjà à se faire comprendre.

Quel type d’activités proposez-vous à ces mineurs ?

J’aime bien les emmener à l’extérieur: on fait du sport au parc ou lors de séjours organisés. Cet été, on est partis cinq jours en baie de Somme. On faisait 20 km de VTT le matin et trois heures de canoë l’après-midi: les jeunes étaient au calme, en pleine nature. Ils s’encourageaient mutuellement pour dépasser leurs propres limites. Certains sont venus en France par la mer, l’eau leur rappelle de mauvais souvenirs. À moi de les rassurer sur le canoë pour les mettre en confiance. Je leur propose aussi des sorties culturelles. Les jeunes sont très curieux, ils veulent connaitre leur environnement. On est donc allés au Mémorial de Caen et sur les plages du Débarquement. Ils étaient touchants. En voyant des photos d’exilés pendant la guerre, ils ont compris qu’ils n’étaient pas les seuls à fuir leur pays et que, même en France, on avait connu ça.

Vous organisez aussi des chantiers découverte. Quel est le principe ?

Nous partons vivre une semaine en immersion totale au beau milieu de la nature, sans réseau téléphonique ni télévision, dans un village participatif. Le hameau de Vaunières se trouve dans le Vercors. Il est basé sur le principe d’autogestion: chaque année, des bénévoles venus d’un peu partout dans le monde s’y retrouvent pour mener des travaux de restauration. Les ados découvrent d’autres cultures et comprennent qu’on peut vivre ensemble par choix, sans y être contraint. Chaque matin, les jeunes choisissent l’activité qui leur plait: restaurer la pierre, bricoler, cuisiner, s’occuper du potager, etc. Ils participent aussi à l’organisation d’un festival de musique et de théâtre. Chez certains, des vocations se sont confirmées. Tout ce qu’on propose au centre vise un objectif : les aider à trouver leur place dans la société. Il existe plein de métiers à leur portée mais qu’ils ne connaissent pas!

Quel est le conseil que vous pourriez donner aux mineurs que vous accompagnez pour qu’ils réussissent à trouver leur voie ?

Je prends toujours en compte deux notions, la réalité et ce qui est possible de faire. Je leur dis souvent: «Si une occasion se présente mais que ce n’est pas ton premier choix professionnel, tant pis, fonce! Tu pourras toujours reprendre tes études plus tard. Il n’y a pas d’âge pour ça en France».