fbpx
Main menu

Chemins croisés

Ensemble au quotidien

Ruhollah Mohamadi
- Pays d'origine: Afghanistan
- Né le 13 juillet 1992
- Arrivé en France en 2009
- Pris en charge par un dispositif de France terre d’asile le 12 mars 2009

Christophe Bertani
- Directeur de l’établissement d'accueil et accompagnement vers l'autonomie pour mineurs isolés étrangers de Caen
- Entré à France terre d’asile en décembre 2009
- Travaille avec un public mineur depuis 19 ans
Lorsque Christophe Bertani intègre le centre de France terre d’asile de Caen, Ruhollah a 16 ans. Le jeune Afghan est ici depuis quelques mois. Christophe devient son éducateur référent et le suit au quotidien. Aujourd’hui, Ruhollah est manager d’une franchise de sushis et Christophe, directeur du centre. Les deux hommes reviennent sur le chemin qu’ils ont parcouru ensemble.

Ruhollah, quelle route vous a mené jusqu’à Caen ?

Je suis né en Afghanistan mais ma famille et moi avons été obligés de fuir en Iran. J’ai été scolarisé jusqu’au collège avant d’arriver en France. Au départ, je voulais vivre en Angleterre. J’avais une connaissance là-bas. Je n’ai pas pu passer la frontière et j’ai finalement changé d’avis. Je me suis installé à Caen début 2009.

Christophe, dans quelles dispositions se trouvait Ruhollah quand vous l’avez rencontré ?

Il commençait à apprendre le français. J’utilisais des mots simples, je parlais lentement pour qu’il me comprenne. Ruhollah a toujours été très joyeux et respectueux envers l’adulte et la France, son pays d’accueil. Il était très motivé pour faire des études. C’est quelqu’un de déterminé et de volontaire.

Comment avez-vous construit un projet professionnel ?

Ruhollah : Au début, je ne savais pas quoi faire puis on m’a conseillé la restauration. C’est un secteur où on trouve du travail facilement.

Christophe : Le projet se construit ensemble en fonction de ce que le jeune est capable de faire et des débouchés. Ruhollah a passé un CAP puis un Bac Pro cuisine. On a démarché les écoles: il fallait convaincre les directeurs d’établissement de le prendre, mais il n’avait pas de bulletin de notes pour attester de son niveau scolaire. On n’avait aucune preuve de sa motivation, mais ça a fini par fonctionner. En fait, l’éducateur a un rôle de commercial envers son jeune!

Ruhollah, comment avez-vous trouvé vos stages en entreprise ?

On m’a aidé pour le premier stage. J’ai appris à me présenter en quelques phrases avec des formules de politesse. J’ai commencé comme commis de cuisine puis barman dans un café lounge. J’avais de bonnes relations avec le patron mais je n’osais pas aller voir les clients pour prendre leur commande. Je ne connaissais pas les boissons alcoolisées. Ici, une bière peut s’appeler blonde, 16 ou pression. J’étais perdu! Alors il m’a dit: «Tu vas les voir, tu notes tout ce qu’ils disent et tu reviens me voir». Ma première commande, je m’en souviens encore.

Christophe, comment s’organise le suivi avec le jeune ?

On se voit une fois par semaine pour faire un point global sur tous les sujets: la santé, l’école, le stage, les loisirs, le moral. Au début, je l’aide à trouver un stage puis il démarche seul pour le suivant. L’objectif de l’accompagnement, c’est de devenir inutile. Le jeune ne doit plus avoir besoin de moi lorsqu’il devient autonome. Il faut construire avec lui et pas à sa place.
La scolarité, l’insertion professionnelle et la régularisation sont les trois principaux challenges à surmonter. Avoir des papiers, c’est fondamental. Ils lui ouvrent plein de droits. Mais attention, ce n’est que le début du parcours d’intégration. Il faut aussi faire des études puis trouver un emploi.

Avez-vous déposé une demande d’asile ?

Ruhollah :J’ai fait une demande de protection subsidiaire mais l’Ofpra l’a refusé. J’étais trop stressé, je n’arrivais pas à répondre aux questions, je ne savais plus par où commencer.

Christophe :Le rendez-vous est très important pour ces jeunes. Ils ont l’impression de jouer leur vie et ont une grosse pression sur les épaules. Quand les questions sont trop générales, ils perdent pied.

Ruhollah :Je me suis dit: «Mon destin n’est pas en France». Mais Christophe a eu les mots pour me consoler et me motiver.

Christophe :Je lui ai conseillé de déposer un recours, c’était inenvisageable de faire sans. Il faut se battre pour le jeune. En 2012, Ruhollah a obtenu la protection subsidiaire.

Ruhollah :On est passé devant la CNDA. C’est comme un tribunal là-bas. Je me suis préparé et mon avocat m’a bien formé. Grâce à lui, mes parents et mes sœurs ont obtenu le statut de réfugié quand ils m’ont rejoint en France il y a deux ans.

Que s’est-il passé lorsque Ruhollah est devenu majeur ?

Christophe : Il a eu 18 ans au beau milieu du CAP. On a pu poursuivre sa prise en charge jusqu’à 21 ans grâce au contrat jeune majeur et aller jusqu’au bout de son projet professionnel.

Ruhollah : Dès que j’ai eu mes papiers, ça a été une libération! J’ai été débauché du restaurant iranien où j’étais en apprentissage, mais je faisais beaucoup d’heures en service et j’avais très mal aux pieds. Je voulais repartir en cuisine, alors j’ai déposé des CV un peu partout à Caen. Ca a marché : j’ai décroché un CDI dans un restaurant de sushis.

Ruhollah, quels sont vos projets à venir ?

Je suis devenu manager d’une franchise de sushis et me suis marié, ma femme travaille avec moi. On a fait une demande de prêt à la banque pour pouvoir acheter un logement. Je voudrais aussi monter en grade et devenir gérant.

Quels conseils donneriez-vous aux autres mineurs isolés étrangers qui veulent s’installer en France ?

Pour s’intégrer, il faut être courageux. Je ne pensais pas trouver ma place ici il y a cinq ans. J’ai eu le déclic quand mon recours a été accepté et que j’ai enfin eu un titre de séjour. Depuis, j’ai acquis la nationalité française. Je peux tout faire maintenant, voyager et travailler librement!

Christophe, quel regard portez-vous sur le métier d’éducateur ?

La base du métier, c’est de toujours y croire. On fait ensemble le pari de s’améliorer, de rebondir en cas de difficulté et de trouver une solution. Quand on garde espoir, il y a toujours une porte qui s’ouvre.