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Entretien avec Thierry Tuot

Publié le : 29/03/2013

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Un effort adapté prévenant dès l’arrivée des difficultés correctement diagnostiquées,

Thierry Tuot, conseiller d’État, auteur du rapport La grande nation, pour une société inclusive

Quel était l'objectif de ce rapport ?

Il résulte des termes mêmes de la lettre de mission que le Premier ministre m'a adressée le 1er août 2012. Il y indique sa volonté de : « rendre à la politique d'intégration un fondement, une cohérence, une unité et un élan, essentiel à l'apaisement des tensions, à la réparation des injustices et à la cohésion de notre nation. » Au regard de cette ambition, il me demandait de proposer une analyse de l'état de la politique, de proposer de nouveaux concepts et axes d'action pour en assurer un nouveau départ, de rechercher de nouvelles méthodes, moyens et organisations susceptibles de restaurer « les ambitions, le dynamisme et l'efficacité de cette politique ».  Au regard de la brièveté du temps imparti, je n'ai pu sur la plupart des sujets qu'esquisser une réflexion, ou tracer des axes de débats demandant des investigations supplémentaires. En tout état de cause, l'importance du sujet exclut qu'un rapport fonde à lui seul une politique : on ne doit le juger, à mon sens, qu'en tant qu'il offre un espace suffisant au débat public pour fonder de nouveaux choix, qu'il ne m'appartenait évidemment pas de faire.

L'une des principales polémiques soulevées par le rapport est la question du public cible. Pouvez-vous expliquer la position soutenue par votre rapport ?

Je n'ai connaissance d'aucune polémique sur la question du public cible. Les débats polémiques ont porté sur le fait que j'étais un collaborateur de l'islamo-fascisme, ou sur l'idée qu'on m'a prêtée à tort de régulariser les clandestins – je demande seulement que la régularisation quand elle a lieu soit précédée d'un travail social plutôt que d'un harcèlement administratif et policier...

La politique d'intégration a toujours été fondée sur l'ambition de parvenir à reconnaître en chacun son origine sans qu'à aucun moment elle ne puisse fonder une exclusion ou une discrimination de quelque nature que ce soit. Il en résulte que son public ne se définit jamais juridiquement comme étant celui des étrangers (la plupart d'entre eux n'ont aucun problème d'intégration) ni au regard de zones géographique ou culturelle de provenance, et encore moins au regard d'une pratique religieuse. Tout ce que la société identifie d'abord comme étrangers, à tort ou à raison – et la plupart du temps à tort car il s'agit de nos compatriotes français depuis plusieurs générations – pour ensuite les exclure, de fait, et même si cela ne repose que rarement sur une volonté expressément discriminatrice, exclusion du logement, du travail, de droits sociaux, de la réussite scolaire, de la santé, etc., toutes ces personnes relèvent du public de l'intégration. Il est donc beaucoup plus large que celui des primo arrivants, même si ces derniers constituent l'un des segments essentiels de la réussite d'une telle politique. Il va de soi qu'un effort adapté prévenant dès l'arrivée des difficultés correctement diagnostiquées est seul de nature à réduire la dimension du problème.

Nous pensons que l'urgence est de créer un service public de l'accueil destination des primo-arrivants, que pensez-vous de cette proposition ?

On ne peut parler à proprement dire de la création d'un tel service, et il est aujourd'hui trop difficile et  trop malmené pour ne pas commencer par rendre hommage à ceux des agents publics, des collectivités territoriales comme de l'État, et aux  associations survivantes à la rigueur budgétaire et à l'indifférence politique qui y contribuent.

Mais je partage évidemment, et le soulignais en de nombreux points dans le texte du rapport, l'ambition de créer les conditions d'intégration individuelle des nouveaux arrivants plus précoces  et  plus durables. Cela passe par l'abandon des dispositifs aveugles auxquels on prête des vertus qu'on n'a jamais démontrées – comme les formations linguistiques dispensées mais  jamais évaluées – pour recréer un droit général au diagnostic social, et à l'accompagnement individualisé, pour traiter les principales difficultés pouvant faire obstacle à l'intégration. Il s'agit d'une action personnalisée, sur mesure, prenant en considération l'ensemble des facteurs, qu'il s'agisse de socialisation, de  formation, d'accès à la santé, au logement, à l'éducation, bref, de tous les compartiments de la vie sociale. Le coût de ce service doit être regardé comme un investissement collectif dont la rentabilité est très supérieure aux politiques de réparation – ou de maintien de l'ordre,  ne serait-ce que par les économies ultérieures que son intervention précoce pourrait générer. La construction de ce service public, territorialisé, traitant les divers modes d'entrée sur le territoire et faisant toute sa place à une action associative rigoureusement conduite, mais à laquelle on donnerait enfin les moyens de sa continuité et de son développement, devrait être une priorité immédiate.

Article de la Lettre de l'Observatoire de France terre d'asile n°57, Mars 2013

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