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La diaspora bangladaise mobilisée

Publié le : 01/03/2012

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La diaspora bangladaise sort de l'ombre en demandant à ce que le Bangladesh soit retiré de la liste des « pays sûrs »

Plusieurs centaines de personnes d'origine bangladaise, dont un certain nombre de demandeurs d'asile et de sans-papiers, ont manifesté, mercredi 29 février, à Paris, pour demander à ce que le Bangladesh soit retiré de la liste des "pays sûrs" qui limite les possibilités de se voir accorder le statut de réfugié. Une démarche inédite de la part de cette diaspora d'ordinaire très discrète, souvent employée dans la restauration ou dans les réseaux de vente à la sauvette de fruits et légumes, et qui constitue, depuis quelques années, l'un des plus forts contingents de demandeurs d'asile dans l'Hexagone.

Munis de banderoles réclamant "les libertés fondamentales" ou "la démocratie" au Bangladesh, les manifestants ont défilé entre la gare Montparnasse et l'Assemblée nationale. "Les droits de l'homme sont bafoués et la liberté de presse n'existe plus [au Bangladesh]", indiquait un tract distribué aux passants au nom de la Bangladesh Federation, principale association organisatrice de la manifestation. "Je suis arrivée le 10 novembre, on a pris mes empreintes digitales, et le 26 janvier j'ai appris que ma demande était rejetée. Je n'ai aucune famille en France. Je ne peux pas rentrer au Bangladesh et en même temps, le mois prochain je n'aurai plus de logement. On aurait dû nous prévenir !", s'alarmait elle, comme d'autres, une femme de 36 ans.

DEMANDES "INFONDÉES"

Depuis le 2 décembre 2011, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) a en effet décidé d'ajouter le Bangladesh à la liste "des pays sûrs" (une vingtaine y sont inscrits au total). Cette liste a pour conséquence de placer en procédure dite "prioritaire" tous les ressortissants des pays concernés qui font une demande d'asile en France. Or cette procédure aboutit à un examen plus rapide des dossiers et ne protège pas de l'expulsion : même en cas de recours, la décision d'éloignement n'est pas suspensive.

Cette décision administrative, en apparence technique, est très importante aux yeux de la diaspora bangladaise. Elle chamboule en effet toute les filières migratoires qui conduisaient jusque-là en France. Avant cela, l'immense majorité des Bangladais qui venaient dans l'Hexagone le faisaient dans le cadre d'une demande d'asile. Or, c'est parce que le ministère de l'intérieur a considéré qu'une grande partie de cette demande était "infondée" et recouvrait plutôt des motifs économiques qu'il a été décidé de placer le Bangladesh sur la liste des pays sûrs.

Depuis plusieurs années, le nombre de demandeurs d'asile originaires du Bangladesh a par ailleurs considérablement augmenté : +122,6 % entre 2009 et 2010, selon le dernier rapport d'activité de l'Ofpra. Or leur arrivée s'est inscrite dans le cadre d'une hausse générale de la demande d'asile et de la saturation du dispositif national d'hébergement des demandeurs d'asile, sous-doté depuis longtemps. Une raison supplémentaire, aux yeux du ministère de l'intérieur, de classer le pays sur la liste des destinations "sûres".

"INEXACTE APPRÉCIATION DE LA SITUATION"

Dans la conclusion d'un rapport de mission effectué au Bangladesh en novembre 2010, l'Ofpra émettait toutefois un certain nombre de réserves sur la situation du pays. "Si la parenthèse d'un pouvoir civil contrôlé par l'armée semble s'être refermée pour laisser la place à l'avancée, au moins formelle, des principes élémentaires de la démocratie, une attention particulière devra être portée dans les prochains mois à l'exercice du pouvoir par la coalition gouvernementale", était-il écrit.

Le rapport de l'Ofpra pointait de nombreux problèmes encore à résoudre : une "corruption qui affecte le fonctionnement des institutions […] et obère l'impartialité", "des expropriations foncières déguisées visant les plus pauvres", ou encore une "manifeste faiblesse des contre-pouvoirs". D'après la loi du 10 décembre 2003, qui a instauré la liste des pays sûrs, une destination n'est toutefois considérée comme telle que si elle "veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales".

"L'un des grands problèmes que nous rencontrons aujourd'hui pour rendre solides les dossiers de demande d'asile est lié à la difficulté de déposer plainte au Bangladesh. Pour le faire, il faut l'autorisation de gens dans les partis au pouvoir", explique Klaudia Miosga, une avocate spécialiste du droit des étrangers, qui était présente à la manifestation. "Le placement du Bangladesh sur la liste des pays sûrs résulte d'une inexacte appréciation de la situation", justifie de son côté Abdul Maleque Forazi, 53 ans, et président de la Bangladesh Federation.

Dans les prochaines semaines, ce commerçant dans le textile, membre influent de la diaspora, compte alerter les parlementaires sur le sujet. Il a aussi préparé un mémorandum à l'adresse de Nicolas Sarkozy. Le réseau d'avocats spécialistes du droit d'asile, ELENA, a, de son côté, déposé un recours devant le Conseil d'Etat. La décision devrait être connue d'ici quelques mois.

Le Monde, le 01/03/2012