fbpx
Main menu

La Frankfurter Rundschau dénonce ce “nettoyage ethnique”.

Publié le : 18/05/2010

Notre pays a les mains sales

Berlin vient de signer avec Pristina un “accord de rapatriement”, prévoyant le renvoi de 10 000 Roms vers le Kosovo. La Frankfurter Rundschau dénonce ce “nettoyage ethnique”.

Entre 1999 et 2004, l’Allemagne a accueilli quelque 25 000 réfugiés kosovars, dont une majorité de Roms. Si les Kosovars, d’une façon générale, ne craignent plus rien chez eux – et n’ont donc, selon Berlin, aucune raison de demander l’asile –, il n’en va pas de même pour les Roms : les Kosovars albanais les accusent en effet d’avoir été les auxiliaires des Serbes pendant la guerre.
La façon dont l’Italie traite les boat people africains provoque dans notre pays une légitime indignation. Le nettoyage ethnique perpétré dans notre pays à l’égard des Roms du Kosovo mériterait au moins la même réprobation. Sous le terme anodin d’“accord de rapatriement”, le pacte signé entre l’Allemagne et cette jeune république balkanique ne dissimule pas seulement une catastrophe humanitaire. Il annule a posteriori la compassion suscitée il y a dix ans en Allemagne par le sort des Albanais chassés du Kosovo. Ce texte dévoile ce que vaut la politique allemande dans les Balkans, avec son pathos et ses grands mots de “soutien” et de “préparation à l’entrée dans l’UE”.

Aux termes de cet accord de rapatriement, plus de 10 000 personnes sont menacées de déportation dans les quatre ou cinq prochaines années. Ces gens viennent de petites villes allemandes proprettes dans lesquelles beaucoup d’entre eux sont nés. Ils y ont pour la plupart grandi, dans les cabanes de campements boueux, sans travail, sans écoles, sans aide sociale et souvent sans papiers. Ce qu’on leur propose comme “aide à l’intégration” permet aux responsables de Berlin de s’en laver les mains en toute innocence. C’est le seul intérêt de la chose.

Le gouvernement du Kosovo, qui dépend entièrement de l’aide de l’UE, n’a eu aucune véritable possibilité de négocier cet “accord”. Il joue le rôle du serviteur muet sur qui l’on se décharge de toute responsabilité. Après seulement deux ans, la souveraineté du Kosovo, reconnue avec tant de solennité, est bafouée.

La bonne réputation dont jouissait l’Allemagne au Kosovo est d’ores et déjà sérieusement entamée. Quand on traite les gens de cette façon tout en faisant des sermons sur la tolérance et la cohabitation des cultures, on ne mérite que le mépris.

Selon la lecture officielle, le Kosovo doit, comme tous les Etats des Balkans, être “préparé” à entrer dans l’Union européenne. Les responsables politiques ont en principe bien conscience que cela posera des problèmes et entraînera des contraintes. Soit les Européens s’engagent réellement à contribuer à résoudre les problèmes de l’est du continent, soit la perspective d’une entrée dans l’Union européenne n’est qu’une carotte qu’on met sous le nez du cheval pour le faire avancer dans la bonne direction. Si les Balkans entrent dans l’UE, ils amèneront leurs Roms avec eux, et il ne sera alors plus question de politique d’expulsion.

Si Berlin prenait au sérieux les ambitions du Kosovo au lieu d’en faire une poubelle ethnique hermétiquement close, elle ouvrirait les frontières aux citoyens kosovars. Avec l’accord de rapatriement, la politique allemande dans les Balkans se met au même niveau moral que la politique des homelands menée par l’Afrique du Sud dans les années 1970 : on invente des Etats pour pouvoir y expulser des gens. Pour la plupart des personnes visées par l’expulsion, atterrir au Kosovo n’a aucun sens : ils n’ont pas de papiers kosovars, ne parlent pas la langue, et s’ils peuvent pas produire le certificat de naissance de leurs parents et de leurs grands-parents, ils n’obtiendront pas la nationalité. Les Roms doivent partir, si possible quelque part vers l’Est : tel est le message.

En signant cet accord, l’Allemagne espérait se préserver de la saleté et de la misère des Balkans. C’est le contraire qui se produira : quand on veut nettoyer, on se salit – une expérience, justement, que les sociétés des Balkans ont faite. 
 
Note : Entre 1999 et 2004, l’Allemagne a accueilli quelque 25 000 réfugiés kosovars, dont une majorité de Roms. Si les Kosovars, d’une façon générale, ne craignent plus rien chez eux – et n’ont donc, selon Berlin, aucune raison de demander l’asile –, il n’en va pas de même pour les Roms : les Kosovars albanais les accusent en effet d’avoir été les auxiliaires des Serbes pendant la guerre.


Par Norbert MAPPES-NIEDIEK,


Frankfurter RUNDSCHAU et Courrier international, sélectionné par France terre d'asile, le 12/05/2010