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La rupture du contrat social

Publié le : 21/07/2011

La solidarité nationale française est elle morte ?

Par Pierre Henry, Directeur général de France terre d’asile

Paru dans Le Plus, le 21/07/2011

Les alertes et les coups de gueules se sont succédés, chaque fois plus pressants, mais ils sont tous restés lettres mortes. Cette fois, deux actions se conjuguent pour amplifier la colère : le relais par la presse d’histoires dignes d’un autre âge - celles de familles sans abri trouvant pour seul refuge les urgences d’hôpitaux - et la démission de la présidence du Samu social d’un personnage emblématique de la lutte contre la grande exclusion, Xavier Emmanuelli.                                                                                                                  

Il faut en effet voir dans le geste protestataire de cet acteur reconnu du secteur associatif et social, d’ordinaire plutôt discret et que l’on aurait imaginé encore plus taiseux aujourd’hui à cause de son marquage à droite - le cofondateur de médecins sans frontières est aussi un ancien secrétaire d’état du gouvernement Juppé- un véritable tremblement de terre. Ses répliques suffiront-elles à faire bouger les lignes d’un état néoconservateur qui désigne l’exclu comme un poids coûteux pour la nation ? Rien n’est moins sûr, mais la grogne qui couve depuis longtemps dans le secteur social en France vient de trouver là le point de départ d’une mobilisation salutaire : il est temps de dénoncer la mise en danger d’une valeur essentielle dans la République, la solidarité, et de proposer une alternative à la casse programmée du secteur social. 

Aujourd’hui, sous prétexte d’économies et d’optimisation des coûts de « l’aide aux autres », l’ensemble du secteur social est malmené. La « réforme » ne dit pas son nom. Ni son objectif politique, même si on peut le deviner. Quant aux projets d’accompagnement des personnes en difficultés, au nombre pourtant croissant, ils sont drastiquement réduits.

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                                                Salariés du Samu social en maraude©Le Plus Le nouvel Observateur

Le service rendu aux plus fragiles est la raison d’être d’associations auxquelles les pouvoirs publics délèguent cette tâche qui ne saurait être source de profit. Et nous, associations depuis longtemps professionnelles, avons appris à gérer au plus serré l’argent public toujours plus limité que l’on nous confie. Et notre expérience révèle que nos actions profitent autant aux plus fragiles qu’à leur environnement : un bon accompagnement est gage d’une intégration sociale réussie, quel que soit le profil de la personne exclue.

Il nous faut pourtant aujourd’hui continuer à « réduire les coûts » sous la dictée de cabinets de consultants privés très onéreux. Ils construisent en 1 mois des « référentiels » démontrant que les actions « utiles » peuvent être « resserrées ». Résultat : ils finissent par nous dresser la liste du service minimum financé par l’État pour les « pauvres » ! Au-delà du minimum, il nous faudra miser sur la générosité des bénévoles et du secteur caritatif. 

La démarche néolibérale de l’état fait inévitablement dériver notre société vers davantage de charité et moins de financement public. Outre l’aberration d’un tel système, il faut insister sur le fait qu’il est contraire à la tradition française. Notre tradition est en effet celle du financement étatique de la réparation de l’exclusion. N’oublions pas que la « fraternité » est inscrite dans la devise de la République française. Que notre système social repose depuis l’après-guerre, via l’impôt, sur la solidarité nationale. Et que le travailleur social ne demande pas ses papiers à un sans-abri avant de lui offrir le gîte et le couvert. 

La charité ou la loi du marché, c’est un choix qui ne nous ressemble pas. La solidarité nationale doit être réinstallée au centre de tout dispositif parce qu’elle est fondatrice d’égalité et d’homogénéité des droits sur l’ensemble du territoire. Pour lui redonner toute sa place, il est impératif de se mobiliser afin de lancer un véritable plan alternatif à l’entreprise de démolition des services publics. C’est la seule manière de redonner confiance et espoir à ceux qui en ont déjà trop pâti.