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Le doute plane sur les motivations des Tamouls

Publié le : 17/08/2010

"Nous ne sommes pas des terroristes"

Les Tamouls du MV Sun Sea demandent aux Canadiens de les croire, mais le ministre Toews reste sceptique.

Les 490 Tamouls qui ont accosté vendredi en Colombie-Britannique et qui demandent l'asile au Canada affirment en chœur n'avoir aucun lien avec une organisation terroriste. Mais le ministre fédéral de la sécurité publique, Vic Toews, qui tient la ligne dure depuis trois jours, affirme qu'une organisation criminelle pourrait être derrière cette opération d'envergure.

Le Congrès tamoul canadien (CTC), un organisme sans but lucratif qui a son siège social à Toronto, a fait circuler hier une lettre qui aurait été écrite par deux journalistes tamouls qui étaient à bord du bateau MV Sun Sea lors de la traversée de trois mois jusqu'au Canada. Les deux demandeurs d'asile affirment parler au nom de tous les passagers. Ils écrivent que les 490 personnes à bord fuient «des massacres à grande échelle» perpétrés contre leur communauté au Sri Lanka.

La lettre explique que la fin de la guerre civile au Sri Lanka en mai 2009 — l'armée a alors écrasé la rébellion — n'a pas fait cesser la persécution contre les Tamouls. «Nous demandons aux Canadiens et au gouvernement canadien de nous croire. Nous sommes des victimes civiles innocentes affectées par un conflit. Nous ne sommes pas des terroristes.Nous voulons vivre selon les lois de ce pays», peut-on lire dans la lettre distribuée à certains médias.

Dans un rapport publié le 5 juillet dernier, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés affirme que les Tamouls doivent encore être considérés comme des réfugiés, et ce, malgré la fin officielle des hostilités au Sri Lanka. La minorité tamoule souffre toujours de persécution, peut-on lire. «Le Haut Commissariat considère que la situation au Sri Lanka, même si elle s'est améliorée depuis 12 mois, ne justifie pas encore la fin du statut de réfugié selon l'article 1c de la convention de 1951», affirme le rapport. «Tous les demandeurs d'asile doivent être considérés sur une base individuelle

Le rapport de l'ONU mentionne que plus de 9000 prisonniers politiques sont toujours derrière les barreaux au Sri Lanka. Ils sont soupçonnés d'appartenir à l'organisation des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (Tigres tamouls), une organisation séparatiste qui a fait la guerre au gouvernement de Colombo pendant 27 ans.

La lettre des Tamouls du MV Sun Sea n'a pas convaincu le ministre fédéral de la sécurité publique, Vic Toews, qui estime que ce voyage risqué depuis le Sri Lanka est probablement l'affaire d'une organisation criminelle. «Ce n'est pas 500 personnes qui ont tout bonnement décidé, à la dernière minute, de monter dans un bateau qui partait pour le Canada», a-t-il dit hier matin lors d'un point de presse à Winnipeg.

Selon le ministre, le bateau a été modifié, notamment les installations sanitaires, pour accueillir plus de passagers, ce qui suppose «une entreprise criminelle plus large», qui pourrait inclure les Tigres tamouls. Vic Toews a soutenu que les passagers du MV Sun Sea auraient payé entre 40 000 et 50 000 $ chacun pour ce voyage au Canada, soit près de 20 millions de dollars en tout. Du trafic humain «très profitable», a-t-il dit, soulignant au passage que les liens financiers entre les demandeurs d'asile et les résidants tamouls au Canada seraient étudiés pour avoir l'assurance que les sommes n'ont pas été payées par des sympathisants des Tigres tamouls au Canada. Près de 300 000 Tamouls vivraient au Canada, la forte majorité près de Toronto.

Depuis 2006, Ottawa considère les Tigres tamouls comme une organisation terroriste. Au Canada remettre de l'argent à une organisation terroriste ou participer à un trafic d'êtres humains est un délit interdit par la loi.

Le début d'une invasion?

De plus, le ministre Toews craint que ce bateau ne soit qu'un «test» et que d'autres navires remplis de Tamouls ne se préparent à prendre la mer vers le Canada. Une affirmation exagérée, estime Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des personnes réfugiées et immigrantes, à Montréal. «Rien n'indique qu'on est à l'aube d'une invasion», dit-il, citant les chiffres des dernières années. Depuis 2003, le Canada accueille en moyenne 1000 réfugiés tamouls par année. En 2009, le Canada a accepté la demande d'asile de 1017 Tamouls. «Les demandes de la communauté tamoule sont acceptées dans 92 à 95 % des cas, ce qui est très élevé», dit-il.

Dans les dix dernières années, alors que la guerre civile était encore très violente au Sri Lanka, à peine deux bateaux sont arrivés au Canada avec des demandeurs d'asile à bord. «La situation géographique du Canada est difficile pour les Tamouls. On est loin de leur pays. Je ne vois pas pourquoi il y aurait soudainement plus de bateaux en route vers le Canada», soutient Stephan Reichhold.

À Vancouver, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a commencé hier à entendre les 490 Tamouls qui demandent l'asile politique. Les autorités ont déjà confirmé que les dossiers des femmes et des enfants seraient traités en priorité. Au moins 50 femmes et autant d'enfants sont au nombre des demandeurs d'asile. C'est lors de cette comparution, où l'on contrôle l'identité des futurs réfugiés, que l'on pourra déterminer si certains sont liés à l'organisation des Tigres tamouls.

Ceux qui ne présentent pas de danger seront alors libérés en attendant que leur dossier soit traité par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Tous les demandeurs de statut de réfugié sont actuellement détenus dans des prisons de la Colombie-Britannique, à l'exception de certains qui sont traités dans un hôpital de Victoria.

Par Alec Castonguay, le 17/08/2010

Le Devoir.com